En physique, on parle régulièrement de champs : champ magnétique, champ électrique, champ gravitationnel… Plus généralement, on peut même être emmené à parler des « champs quantique », qui sont utilisés en physique quantique pour décrire le monde.
Je parle parfois de « champs » dans mes articles, comme si c’était quelque chose de trivial. En lisant vos commentaires, vous m’aviez fait savoir que ce n’était pas forcément le cas. Qu’il pourrait être utile d’expliquer ce qu’est un champ, en physique ou en math, et comment ils sont utilisés en sciences pour expliquer des phénomènes divers.
Modèle corpusculaire en physique classique
Dans la physique classique, ou Newtonienne, on parle de particules. Les protons, les électrons, tout ça ce sont des particules. On peut les voir comme des petites billes de matière élémentaire qui composent tous les matériaux que l’on voit.
Ce modèle fonctionne bien pour beaucoup de choses, mais n’explique pas tout non plus. Il n’explique pas, par exemple, comment les particules peuvent interférer entre elles.
On sait depuis environ un siècle que les particules ont toutes également une composante ondulatoire. On sait faire diffracter des électrons, des neutrons…
On dit que ces éléments ont une dualité onde-particule, bien que ce ne soit pas un concept pratique pour travailler : si on considère que c’est une particule, une partie de la théorie ne marchera pas. Et inversement, si l’on a besoin de considérer la particule comme une onde, seules certaines équations pourront être appliquées.
Ceci n’est pas acceptable en physique : une équation devrait pouvoir s’appliquer n’importe quand, n’importe où.
La physique quantique a donc introduit la notion de paquet d’ondes : des sortes de particules-ondes qui regrouperaient les deux composantes de la matière sous un même modèle mathématique. Ces paquets d’ondes agissent sur des champs quantiques.
Notion des champs quantiques
En plus du problème de la réalité physique des particules élémentaires, il faut étudier la façon dont ces dernières interagissent.
Par exemple, deux particules massiques interagissent par une force attractive — la force gravitationnelle — parce qu’on a considéré qu’il y avait un champ gravitationnel partout et qui véhicule l’information de la masse, et provoque le déplacement des deux particules l’une vers l’autre, ce que nous appelons « force d’attraction gravitationnelle ».
Dans ce cadre, le champ gravitationnel est un champ. Mais c’est quoi un champ ?
Notion de champ en math
Prenez un repère à deux ou trois dimensions, peu importe. Visualisez un point dans ce repère, n’importe lequel. Associez à ce point une valeur, n’importe laquelle.
Faites la même chose pour un autre point, puis un autre. En fait, à chaque point dans ce repère, associez une valeur. Quand vous avez fait ça, vous avez un champ.
Un champ représente un repère sur lequel on a associée une valeur à chaque point.
Par exemple : prenez la pièce où vous vous situez, puis mettez l’origine (0 ; 0 ; 0) dans un des coins. Maintenant, chaque endroit de la pièce possède des coordonnées. Enfin, à chaque endroit de la pièce, associez-y la température en ce point. On obtient alors une cartographie de la température dans votre pièce : mathématiquement, cette cartographie constitue un champ : le champ de température.
On peut associer plusieurs valeurs à un même point. Dans notre exemple, en plus de la température, on peut associer la pression atmosphérique, l’hygrométrie, la pureté de l’air, le taux de CO2, etc.
On a alors un repère avec une multitude de champs.
On peut aussi avoir un champ de vecteur, permettant donc d’associer un vecteur à tout point de l’espace. Par exemple, si l’on associe à chaque point de l’espace la vitesse du vent en ce point, on obtient un champ de vecteur.
Ces différents champs peuvent être liés : ainsi, le vecteur vitesse, ou encore l’hygrométrie en un point va dépendre de la pression et de la température de l’air des points alentours.
Ce travail est ce qui est fait en météorologie : à l’aide des relevés physiques (température, pression, hygrométrie) on peut déterminer s’il va y avoir du vent, dans quel sens, ou encore prédire l’évolution de l’hygrométrie, de la pluie, bref, prévoir le temps qu’il fera dans les heures ou jours qui viennent.
On peut aussi associer des tenseurs à chaque point (un objet plus général que les scalaires et les vecteurs).
Un champ est donc quelque chose comme une carte de valeurs (scalaires, vecteurs, tenseurs…) dans un repère. Chaque point du repère possède donc une valeur donnée. En mesurant différents champs pour différentes grandeurs, on peut modéliser des phénomènes plus complexes.
Usage des champs en physique
Prenez le champ de température dans une pièce : vous savez maintenant ce que ça veut dire : il s’agit de voir des nombres — la température — associés à chaque point de la pièce.
Maintenant, si vous allumez une bougie à un endroit, la température va être très haute à l’endroit où se trouve la flamme. Le champ de températures rendra compte de ça, avec des valeurs de température nettement plus hautes aux coordonnées où se trouve la flamme de la bougie.
Inversement, si vous observez la carte des températures de la pièce et que vous voyez que la température monte de façon importante à un endroit bien précis, vous pouvez déduire que quelqu’un a allumé une bougie à cet endroit.
Idem, si vous voyez que cette « anomalie » de température change de coordonnées au fil du temps, vous pouvez en déduire assez simplement que quelqu’un est en train déplacer la bougie au sein de la pièce.
Si cette anomalie de température disparaît subitement, alors c’est que la bougie a été éteinte.
Ceci est un exemple très simple pour étudier un champ en fonction d’un paramètre physique.
À la place de la température, on peut prendre la valeur de la charge électrique à cet endroit. Si l’on se place dans le vide absolu, on notera que le champ électrique et le champ magnétique sont nuls en tout point. Si maintenant on envoie un photon à travers le vide, on notera une perturbation qui se propage dans les champs électriques et magnétique. Cette perturbation correspond au photon qui traverse le vide.
Notion des champs quantiques en physique quantique
Plus haut, dans notre exemple du vide traversé par un photon, on considère une particule, le photon, et on le modélise par une perturbation sur le champ électromagnétique.
Mais si l’on faisait l’inverse ? Si on considérait que le photon n’était dans sa description la plus fondamentale, qu’une perturbation sur des champs et que l’on modélisait cette perturbation comme une particule ?
En physique quantique, dans la théorie quantique des champs, c’est ce que l’on fait : on considère non plus les particules comme des petites billes de matière condensées, mais comme des perturbations présentes à la surface d’un champ quantique. La « petite particule » est alors une description simpliste, censée être plus intuitive.
Dans ce cadre de la théorie quantique des champs, l’univers est rempli de différents champs : électrique, magnétique, gravitationnels, et une particule correspond à une excitation sur ces différents champs.
Par exemple :
- une perturbation positive sur le champ électrique et une perturbation sur le champ gravitationnel, correspond par exemple à un proton ;
- si seul le champ gravitationnel est perturbé, c’est un neutron : en effet, un neutron possède une masse, mais pas de charge, et seul le champ de gravitation sera alors perturbé ;
- si la perturbation ne concerne que les champs électriques et magnétiques et pas le champ gravitationnel, on peut conclure que l’on a à faire à un photon, qui n’a pas de masse.
En physique quantique, on travaille avec ce genre de choses. On ne parle plus de particules comme des billes de matière mais comme des ondes ponctuelles : les fameux paquets d’ondes évoluant à travers un ou plusieurs champs quantiques et réagissant avec.
En résumé
Si l’on résume, on peut voir l’univers comme un canevas rempli avec différents calques, correspondant aux différents champs quantiques : le champ électrique, le champ magnétique, le champ gravitationnel, etc.
Chaque point de cet espace est donc caractérisé par une valeur correspondant à l’intensité du champ électrique, magnétique, gravitationnel, etc. à cet endroit :
Une particule donnée qui entrerait dans cet espace viendrait modifier les différents champs en fonction de ses paramètres physiques (charge électrique, masse…). En analysant les valeurs de ces champs en un endroit donné, on peut déduire quelle est la particule qui vient de traverser cet espace.
C’est ce qu’ils font dans les accélérateurs de particules : nos modèles théoriques prédisent l’apparition ou l’existence de certaines particules, et le but est de les détecter effectivement, pour valider le modèle théorique.
Les interactions entre les particules correspondent à l’action d’une perturbation d’un champ sur les autres perturbations du même champ, ou des autres champs, comme des interférences.
À chaque interaction d’une particule sur une autre correspond à un transfert d’énergie d’un champ à un autre. Une perturbation sur le champ électrique peut se transférer au champ magnétique, ou gravitationnel, etc. Quand une paire de particule-antiparticule s’annihile, de la masse peut être convertie en un photon, donc en énergie électromagnétique.
Dans l’ensemble, l’énergie est conservée, mais elle peut passer d’un champ à un autre.