Quand il est question de votre facture d’électricité, cette dernière compte votre énergie consommée en kWh (kilowattheures). Votre compteur, par contre, affiche la puissance en kVA (kilovoltampère).
La première grandeur est une énergie : c’est l’énergie électrique consommée. La seconde est une puissance électrique. Pourtant, l’unité habituelle de la puissance est le W, qu’elle soit électrique, thermique ou autre.
On a appris à l’école que la puissance (en Watt, W) d’un appareil électrique s’obtenait en multipliant la tension à ses bornes (en volts, V) par l’intensité qui la traverse (en ampères, A). La puissance étant alors des volts × ampères, donc des VA. Autrement dit, les watts sont bien équivalents à des voltampères.
Pourquoi EDF distingue les deux ? Quelle différence ?
Cet article est là pour mettre les choses au clair.
kW ? kVA ?
Selon le site d’Engie, un grand distributeur d’électricité français :
Le kW est l’unité qui représente la puissance électrique d’un appareil alors que le kVA est l’unité qui représente la charge maximale qu’un compteur électrique peut supporter. Il est ainsi important de choisir un compteur électrique adapté aux installations, sinon, avec une surcharge, le disjoncteur risque de sauter !
— source
L’explication d’Engie dit que le kVA correspond à une « charge », et le kW à une puissance. Or, les deux unités sont homogènes à la même chose : une puissance. Cette définition n’est pas claire du tout.
La tension et l’intensité, en alternatif, prennent la forme de signaux sinusoïdaux, dont le produit n’est égal à la puissance que lorsqu’elles sont synchronisées, c’est-à-dire que les sinusoïdes varient en même temps.
Or, ceci n’est vrai que pour les appareils purement résistifs : bouilloires, chauffages électriques, chauffe-eau… Sur ces appareils, oui, le produit de la tension par l’intensité donne bien la puissance consommée.
Dans les autres cas, pour les autres appareils (lampes fluocompactes, frigos, machines à laver…), cela n’est plus vrai. À cause des phénomènes électromagnétiques au sein de ces appareils, la tension et l’intensité ne sont plus du tout synchronisés, et le produit de la tension par l’intensité ne permet plus de calculer la puissance électrique fournie par EDF, ni l’énergie consommée.
Par exemple, un condensateur branché en alternatif ne consomme pas d’énergie : il se charge puis se décharge à chaque alternance du courant. Durant la décharge, il restitue au réseau l’énergie qu’il a emmagasinée lors de la charge. L’énergie consommée est nulle, mais il y a bien une puissance électrique appliquée au réseau : il y a bien un courant de charge du réseau vers le condensateur, puis un courant de décharge du condensateur vers le réseau.
Ces courants circulent dans tout le réseau et y constituent une charge, mais ne sont pas facturés par EDF, car ils ne sont pas consommés. Dans ce cas-là, la « charge » sur le réseau est évalué et sont unité est le voltampère, ou VA (dont le kVA est le multiple). Les kVA sont une puissance instantanée.
Dans un condensateur, ces voltampères sont stockés puis renvoyés. Ils sont qualifiés de « voltampère réactif », ou « VAr », car il s’agit d’une forme de puissance obtenue par réaction du circuit (voir plus bas).
Si la puissance électrique est véritablement consommée, comme le fait une résistance électrique, l’énergie électrique est transformée en énergie thermique et ne retourne jamais dans le réseau, et seulement dans ces conditions on parle de watts (puissance) et de wattheures (énergie).
Le besoin d’évaluer la puissance réactive sert à EDF : elle n’est pas consommée par le client, mais va tout de même « alourdir » le réseau. Le gestionnaire du réseau doit donc en tenir compte pour dimensionnement du réseau, qui doit pouvoir supporter cette charge supplémentaire. Sauf que surdimensionner le réseau à cause de quelques appareils électriques qui tirent du courant et le renvoient sans le consommer, ça coûte cher. Il y a donc lieu d’analyser le problème et de trouver des solutions.
Note : ci-après, et dans tout l’article, je dirais « EDF » indifféremment pour désigner EDF, RTE ou Enedis.
Puissance apparente, puissance active et puissance réactive
Pour rappel : la différence entre la puissance et l’énergie, c’est que la puissance est un débit d’énergie.
Dans ce qui précède, on doit comprendre que le problème pour l’exploitant du réseau est que certains appareils absorbent puis renvoient de l’énergie électrique dans le réseau sans la consommer. Ceci est un problème, car le réseau subit sur charge inutile. Voyons d’où vient ce renvoi d’énergie dans le réseau.
Bien que généralement on parle de « la » puissance électrique, on peut en distinguer plusieurs :
- la puissance apparente, ou instantanée : c’est la puissance qui alimente un appareil en instantané (en fonction de la tension appliquée et l’intensité du courant qui est envoyé dessus). Elle est notée obtenue par le produit de l’intensité par la tension appliquée sur l’appareil, et se note en VA ou kVA ;
- la puissance active : c’est la puissance que l’appareil consomme et transforme (en puissance thermique, mécanique…). Elle correspond à une partie de la puissance apparente. Elle est notée en W ou kW ;
- la puissance réactive : c’est la puissance que l’appareil ne transforme pas et renvoie dans le réseau de manière différée. C’est l’autre partie de la puissance instantanée, que l’on note en voltampères réactive, ou VAr, voire kVAr.
La façon dont certains composants consomment de l’énergie provient de leur nature et des phénomènes électriques et magnétiques qu’ils induisent. Ce sont les circuits capacitifs et inductifs, en régime alternatif, qui consomment ou produisent de la puissance réactive.
Rappelons mon article sur la capacité et l’inductance : pour le condensateur en charge, la tension maximale apparaît bien après l’intensité maximale. Pour la bobine, c’est l’inverse : le retard d’établissement du courant en sortie de la bobine fait que l’intensité maximale apparaît bien après la tension maximale à ses bornes.
Ceci est à mettre en perspective avec une résistance, où l’intensité et la tension montent en même temps tous les deux, exactement en phase :
La puissance instantanée, qui est le produit des deux (intensité × tension) est donc toujours positif (oscillant, oui, mais positif à chaque instant). L’énergie s’écoule donc en permanence du réseau vers la résistance. Il n’y a pas de puissance réactive. La puissance instantanée est égale à la puissance active.
Pour les charges inductives et capacitives — plus globalement on parle de charges réactives (qui englobent les deux) — l’intensité et la tension ne se superposent pas : elles sont déphasées. C’est ce déphasage qui fait que, mathématiquement, la puissance instantanée (le produit intensité × tension) est négative une partie du temps :
Cette puissance négative provient de la réaction du dipôle, d’où la notion de puissance « réactive ». Elle correspond à de l’énergie refoulée dans le réseau.
Pour le condensateur, la puissance réactive provient de la décharge du condensateur dans le réseau. Pour un circuit inductif tel qu’une bobine, le stockage d’énergie se fait sous forme magnétique. L’énergie magnétique va continuer à pousser les électrons dans le fil et à maintenir la circulation d’un courant même lorsque la tension est nulle. Il y a là aussi une puissance résiduelle. Ceci se produit à chaque alternance du courant.
Pour les charges inductives ou capacitives, le déphasage ne se fait pas dans le même sens. On dit par convention que le condensateur produit de la puissance réactive, mais que la bobine la consomme. Bien que dans les deux cas, de l’énergie est physiquement renvoyée dans le réseau, c’est le sens du déphasage entre l’intensité et la tension qui varie.
Sur les graphiques précédents, qui sont des cas idéaux, on voit que la puissance active et la puissance réactive sont égales (elles ont la même durée). Ce que le composant absorbe une moitié du temps, il la rejette intégralement l’autre moitié du temps. La puissance nette, en kW, est donc nulle. EDF ne peut donc rien facturer.
Cependant, la puissance réactive provoque tout de même des courants, et donc des pertes par effet Joule dans le réseau. EDF doit gérer ces pertes et les compenser. Dans les faits, si votre installation consomme trop de puissance réactive, EDF peut vous facturer une pénalité.
Pour éviter cela, il faut évaluer la puissance réactive d’une installation et la limiter. Pour ça, le calcul du cos(φ) va nous aider et on va voir ce que c’est.
Et le cos(φ) ?
Cos(φ) : lire « cosinus de φ (phi) », ou tout simplement « cos-phi ».
Il correspond au cosinus du déphasage entre la tension et l’intensité.
Sur les graphiques plus haut, j’ai dessiné les courbes sinusoïdales de la tension et de l’intensité. Dans le domaine de l’électricité de puissance, on utilise plutôt une représentation circulaire, où U et I tournent comme les aiguilles dans un cadrant. Ceci provient de l’origine des fonctions trigonométriques, pour lequel j’ai un article ici : les fonctions trigonométriques. Une sinusoïde peut en effet être vue comme un angle qui tourne dans un cercle :
Si l’on a deux signaux, alors on a deux aiguilles, et si les deux signaux sont déphasés, alors les deux aiguilles sont séparées par un angle. Cet angle, c’est le déphasage, qui est noté φ.
Ici, la notion de retard et d’avance entre l’intensité et la tension devient compréhensible.
Maintenant, pour avoir une idée plus simple de la consommation électrique d’un appareil, on va utiliser le cosinus de φ. Cela a l’intérêt de donner une valeur entre 0 et 1, soit entre 0 et 100 %. Si les deux aiguilles sont en phase, l’angle φ=0 et le cos(φ) = 1 : toute la puissance est instantanée est transformée et toute l’énergie est consommée. Si au contraire il y a un déphasage, le facteur de puissance n’est pas unitaire et une partie de la puissance est refoulée dans le réseau.
Magie des maths, cos(φ) correspond aussi au rapport entre la puissance instantanée et la puissance active. On l’appelle alors le facteur de puissance. Lorsqu’on mentionne le cos(φ) d’une installation, c’est en ce sens-là.
Le but à la conception d’une installation électrique, c’est de faire tendre ce facteur de puissance — ou cos(φ) — vers 1. De cette façon, toute la puissance est consommée et rien n’est refoulé dans le réseau.
Risques du cos(φ) non unitaire
Le but est d’avoir un cos(φ) unitaire.
En effet, si le cos(φ) est différent de 1, cela signifie que l’installation dans son ensemble produit une puissance réactive et comporte donc une réactance (ce terme englobe l’inductance et capacitance). Électriquement, cela signifie qu’il y a un angle de déphasage entre l’intensité et la tension.
Pour un moteur électrique idéal sans charge, l’angle de déphasage vaut 90°. Le cosinus vaut donc 0 et la puissance est entièrement réactive ! Le moteur tourne par inertie et ce que le réseau électrique lui apporte, il le rend au réseau juste après.
Dans la réalité, les appareils ne sont pas idéaux. Il y a toujours au moins une perte résistive et une certaine charge mécanique (sur un moteur). Dans ces conditions, le cos(φ) n’est jamais nul et vaut par exemple 0,7. C’est parfois indiqué sur les appareils électriques industriels eux-mêmes.
Avec un tel circuit, l’énergie qui est renvoyée peut être responsable de pertes dans le réseau EDF. Ceci peut devenir problématique. En effet, s’il y a une perte d’énergie dans le réseau, il peut se produire une chute de tension. La puissance demandée par l’abonné restant la même, elle sera compensée par une hausse de l’intensité, et donc des pertes thermiques en plus, et ainsi de suite : il y a un risque d’effondrement du réseau si la chute de tension est trop importante sans qu’elle soit compensée.
Vous comprenez maintenant pourquoi votre compteur (Linky ou autre) affiche la puissance apparente en kVA et non plus seulement la puissance consommée en kW ? Car c’est la puissance qu’elle voit passer et pas juste le débit net.
Si un appareil a un cos(φ) de 0,1, et qu’elle consomme réellement 2 300 W, le réseau doit lui fournir 100 ampères (dont 90 % seront renvoyés dans le réseau à chaque alternance du courant sous forme de puissance réactive). Un compteur qui afficherait seulement la puissance consommée afficherait 2 300 W. Si votre compteur affiche désormais les VA, alors il affichera 23 000 W (100 A × 230 V), c’est ce qui traverse réellement le compteur. Or une installation domestique ne peut généralement pas supporter ça : les fusibles fondent et le disjoncteur saute.
Sur un vieux compteur, cela ne se verrait donc pas : un petit appareil de 2,3 kW ferait sauter le compteur et vous ne sauriez pas pourquoi. Avec un compteur qui affiche la puissance instantanée en VA, ça se voit.
Que faire dans le cas où le cos(φ) n’est pas bon ? Facile : il faut empêcher tout ça d’arriver, et pour ça il faut réduire la puissance réactive.
Comment monter le cos(φ) jusqu’à 1
D’un point de vue pratique, il est impensable de se débarrasser de tous les appareils qui ont un cos(φ) non unitaire. Tous les appareils avec des moteurs ou des pompes (réfrigérateur, machine à laver, tondeuse à gazon) ou des transformateurs (postes à souder, plaques à induction) ou des condensateurs (lampes à décharges) consomment de la puissance réactive. On ne peut pas juste les interdire.
Une des solutions alternative — notez le jeu de mot — est de compenser le déphasage. Si le moteur déphase la tension vers l’avant, alors il faut transformer le courant pour remettre la tension en face de l’intensité. Et ça on sait faire !
Si on regarde les caractéristiques d’une bobine et celle d’un condensateur, on constate que la première avance la tension et la seconde la retarde ! En associant les deux, on peut compenser le déphasage.
Certains appareils peuvent être directement conçus en incluant des compensateurs de puissance réactive.
EDF, au niveau de ses postes de transformation, possède également des installations qui servent à compenser la puissance réactive : des gigantesques bancs de condensateurs, ou encore des moteurs qui tournent dans le vide, et plus généralement des FACTS, par exemple.
On les trouve au niveau des sites industriels, qui consomme beaucoup de puissance réactive qu’il faut compenser au plus proche de la source.
Ainsi, le réseau EDF longue distance, celle qui transporte l’énergie sur de très longue distances entre les postes de transformation locaux, aux abords des villes ou des entreprises, transportera uniquement de la puissance active, et aucune puissance réactive.
Résumé et conclusion
En courant alternatifs, certains appareils électriques absorbent une partie de l’énergie électrique et la renvoie avec un certain délai. Le client, lui, ne paye pas ce que son appareil renvoie sur le réseau. Le réseau voit donc passer une quantité d’énergie électrique, pour laquelle il doit évidemment être dimensionné, mais sans que cette énergie ne soit facturable.
Si l’on s’en tenait là, c’est comme si le réseau devait transporter plusieurs fois plus d’énergie que ce qui n’est réellement consommé. Un appareil de 1 W devant être alimenté avec 4 W : 1 W qu’il consomme et 3 W qu’il déphase puis renvoie. Ces 3 W renvoyés sont produits et transportés, mais non facturables, car non consommés.
Dans cet exemple, le 1 W consommé est de la puissance active, consommée. Les 3 W renvoyés au réseau, sont la puissance réactive. Les 4 W sous lesquels on alimente l’appareil est la puissance apparente. On parle alors de 4 VA.
D’autres appareils, eux, consomment 1 W et sont alimentés avec 1 W, ce qui est nettement mieux : pas besoin de produire 3 VA inutilement supplémentaires.
Les appareils qui posent problème dans ce scénario, ce sont les appareils qui comportent des condensateurs et des moteurs tournants : ventilateurs, LED, frigos, machines à laver… tous ces appareils demandent à être alimentés par une puissance bien plus haute que ce qu’ils consomment réellement.
Électriquement, ces appareils déphasent la tension et l’intensité du signal électrique alternatif. L’importance du déphasage est donné par un nombre, le cos(φ), où φ lui-même est l’angle de déphasage entre la tension et l’intensité, dans une représentation circulaire.
Chaque appareil est caractérisé par son cos(φ) : un nombre entre 0 et 1. Plus le cos(φ) est proche de 1, mieux c’est pour le réseau électrique. Les appareils qui ont naturellement un cos(φ) de 1 sont les charges résistives : résistances chauffantes, lampes à filament, chargeur de batterie…
Pour les appareils qui ont un « mauvais » cos(φ), différent de 1, on peut utiliser des compensateurs de puissance réactive. Ces derniers redressent le déphasage produit et ainsi décharger le réseau électrique d’une charge supplémentaire inutile.
Pour finir, il est à noter qu’aujourd’hui avec des appareils plus complexes que de simples charges résistives et réactives, d’autres formes de déformation du signal électrique apparaissent. Les lampes à LED, télés, écrans et tous les appareils électroniques ont le défaut de produire et consommer des harmoniques dans le signal 50 Hz initial. Le signal en sorti n’est alors plus une sinusoïde, mais un signal plus compliqué entaché d’autres fréquences. Là aussi, cela produit une surconsommation de puissance : de la puissance dite déformante (exprimée en volt-ampères-déformants, ou VAd).
Ici, la solution peut-être d’appliquer des filtres qui vont bloquer ces harmoniques dans le signal et ne laisser passer que le signal 50 Hz de base. Les normes actuelles n’obligent cependant que les appareils de plus de 25 W à « nettoyer » le signal qu’ils rejettent. Une lampe LED de 15 W en est donc dispensée en principe.
Quelques liens
Liste non exhaustive de quelques ressources utilisées :
- Reactive Power and Compensation Solution Basics
- Qu’est-ce que l’énergie réactive ? — EDF
- Courant alternatif, puissances active et réactive, facteur de puissance, harmoniques…
- Puissance en régime alternatif
Merci à Ailothaen pour m’avoir posé cette question, et j’espère que cet article y répondra malgré le retard et la longueur de l’article.