Photo d’un rayon lumineux dévié dans un prisme de verre.
Dans une récente vidéo, Physics Girl nous donne une énigme : on doit faire un chemin entre deux villages et qui passe par un point situé au bord de la mer. Il s’agit de placer ce point de façon à ce que la distance totale du chemin soit la plus courte possible.

Alors qu’il est bien-sûr possible de se lancer dans les calculs, elle arrive à une solution très élégante qui ne prend que quelques secondes à comprendre et à mettre en place.
Je vous laisse découvrir ça dans sa vidéo (en anglais).

De mon côté, je vous propose un second problème, dont l’énoncé ressemble au précédent, mais dont la résolution est tout de même un peu moins simple.

Imaginez la situation suivante : vous êtes toujours sur la plage à quelque mètres de la mer et vous jouez au ballon. Soudainement, le ballon est envoyé dans l’eau et vous voulez le récupérer le plus rapidement possible. Sachant que vous vous déplacez plus rapidement sur la plage que dans l’eau, quelle chemin devez-vous suivre pour récupérer le ballon ?

le ballon est dans l’eau
Quel chemin est le plus rapide ? (photo)

On peut aller en ligne droite, mais avec un peu de réflexion, on se dit que l’on doit minimiser le temps passé dans l’eau, vu que c’est là qu’on est le plus lent. Il est alors préférable de prendre le chemin rouge : on maximise le temps passé sur la plage à courir et on minimise le temps passé dans l’eau à nager.

Or, bien qu’on passerait plus de temps sur la plage, on doit aussi minimiser le temps passé sur la plage (on veut minimiser le temps total). En réalité, il existe un point $x$ au bord de l’eau vers où on doit se diriger qui minimise ce temps total.

Le problème ainsi posé peut être résolu avec le principe de Fermat. Pierre de Fermat définit ce principe pour la lumière quand elle changeait de milieu :

La lumière se propage d'un point à un autre sur des trajectoires telles que la durée du parcours soit minimale.

En effet, lorsque la lumière change de milieu (passant de l’air à l’eau par exemple), elle ralenti également. On voit que sa trajectoire forme un angle, et la trajectoire dans son ensemble n’est pas une ligne droite (photo d’en-tête).

La lumière suit une trajectoire optimisée : l’angle est de telle sorte que la durée totale du trajet est la plus courte possible.

Revenons à notre ballon sur la plage.
Si on considère les valeurs numériques de la situation suivante, avec l’hypothèse que l’on se déplace deux fois plus vite sur la plage que dans l’eau :

ballon loi de snell principe de fermat
↑ Le chemin le plus court est le chemin jaune, tenant compte des différences de vitesse sur le sable et dans l’eau (photo)

Alors le temps passé à récupérer le ballon se note ainsi :

$$f(x) = \frac{\sqrt{x^2+5^2}}{v} + \frac{\sqrt{(10-x)^2+5^2}}{2\times v}$$

En différenciant cette expression (ou en la traçant), on trouve que temps de parcourt est minimal quand on se trouve à $2,35 \text{m}$ du ballon. $x$ se trouve donc significativement plus près du ballon que du joueur.

Le Principe de Fermat est utilisé pour la lumière et pour le joueur qui changent tous les deux de milieu de propagation. Ce principe permet de démontrer la Loi de Snell-Descartes sur la réfraction : la loi relie les angles de réfraction au rapport des indices optiques des deux milieux.

Ce principe, très important en physique, est généralisé avec le principe de moindre action. On retrouve ses effets en optique comme ici, mais aussi en mécanique, en électronique, en relativité et même en mécanique quantique.
C’est lui qui explique également pourquoi le problème de la courbe brachistochrone n’a pas pour solution une ligne droite mais un arc de cycloïde.

Enfin, pour l’anecdote finale, il semble que ce principe soit également utilisé dans le monde animal. Si vous jetez un bâton dans l’eau, votre chien appliquera le principe de Fermat : il aura tendance (au possible après plusieurs essais) a suivre une courbe comme notre joueur et non pas une ligne droite. Des études montrent que c’est également le cas pour les fourmis.

Image d’en-tête de Ajizai

15 commentaires

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Matheod écrit :

Et est-ce que tu saurais expliquer pourquoi la lumière suit le plus court chemin ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Matheod : c'est par le principe de moindre action : utiliser ce chemin est celui qui met le moins d'énergie en jeu.

Je pense, mais je devrais faire les calculs pour être sûr, que pour la lumière, le fait de ralentir dans un milieu lui suffit pour voir les durées de parcours et distances parcourues modifiées de telle sorte que sa trajectoire reste droite dans son référentiel.

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Matheod écrit :

Mais la lumière c'est pas quelque chose qui pense. Comment ça peut faire ça ?

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meow écrit :

Plus court ou plus rapide ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Matheod : selon Richard Feynman, les particules quantiques empruntent tous les chemins en même temps et seul le plus rapide aboutit.

@meow : le chemin le plus rapide n'est pas forcément le plus court (j'ai édité).

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Albirew écrit :

@Matheod : Bienvenue dans le monde magique de la physique quantique =)
Un monde ou le sens commun général s'effondre et ou tu découvre qu'un objet peux être à plusieurs endroits différents, peux aller à plusieurs vitesses en même temps et peux même passer au travers d'autres objets.

Une très bonne vidéo pour débroussailler tout ça est celle de science étonnante: https://www.youtube.com/watch?v=Rj3jTw2DxXQ

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Someone écrit :

Salut,

Comment calcules-tu la fonction qui a x associe le temps de parcours ?
Notamment d'où vient le 2 au dénominateur de la seconde fraction ?
Cela voudrait dire qu'on nage 2 fois plus vite que l'on court sur la plage, non ?

A+

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Le Hollandais Volant écrit :

@Someone : Je pensais l’avoir ajouté, mais j’ai dû supprimer cette hypothèse sans faire exprès : ici on considère que l’on se déplace deux fois plus vite sur la plage que dans l’eau.

La fonction est assez simple en soi : on désire réduire le temps total de parcourt. On distingue donc le temps passé sur la plage (second terme) et le temps passé dans l’eau (premier terme), que l’on additionne ensemble.
Les numérateurs correspondent aux hypoténuses des deux triangles (obtenus avec le théorème de Pythagore) et le dénominateur à la vitesse $(t=\frac{d}{v}$).

On a x=0 quand on se trouve au plus près du ballon sur le rivage. x est positif quand on va vers la droite. J’ai précisé le schéma en ajoutant ces infos.
Il n’y a donc pas d’erreurs ici, le $2x$ est au bon endroit.

Ensuite, il suffit de tracer la fonction et de repérer le minimum, obtenu pour $x=2,35$ (ou alors de différentier la fonction et de calculer la racine de la dérivée).

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Someone écrit :

@Le Hollandais Volant : Merci pour les explications.
En fait j'avais instinctivement placé l'origine à droite, et donc l'expression semblait indiquer que la vitesse était plus rapide dans l'eau...
v est donc la vitesse dans l'eau.

"Il n’y a donc pas d’erreurs ici, le 2x est au bon endroit." : 2v non ? :)

A+

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nico écrit :

@Matheod :
Une bille non plus n'est pas quelque chose qui pense.
Pourtant, si tu la mets dans une gouttière, elle va suivre la gouttière et ne va pas remonter une pente.

Évidemment, on est très habitué au comportement de la bille, au point qu'on ne se rend pas compte que ce comportement est tout aussi magique que celui de la lumière.

On pourrait argumenter que la bille ne fait que tomber: elle ne connait pas ce qui se passe autour d'elle, si elle va à gauche, c'est simplement parce que son point d'appui est à droite de son centre de gravité et qu'elle se met à rouler. Mais dans ce cas, on oublie que "tomber" n'est pas non plus trivial: comment la bille sait-elle qu'il y a la terre en dessous d'elle est qu'elle doit donc y être attirée ?
C'est justement la réponse aux deux questions: le champ gravitationnel donne l'information à la bille, qui lui permet de choisir la direction dans laquelle tomber, et le champ électromagnétique donne l'information à la lumière, qui lui permet de choisir la direction dans laquelle se diriger.

(PS: on voit ici la différence d'approche entre moi et Albirew: d'un côté, l'affirmation que la mécanique quantique est bizarre, de l'autre, l'affirmation que la mécanique quantique n'est pas familière, mais qu'énormément de phénomènes quantiques sont finalement de la même nature que certains phénomènes classiques qu'on considère pourtant comme normaux)

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Dr. Goulu écrit :

Chouette article. Deux commentaires:

1) la lumière ne sait pas qu'elle va d'un point A à un autre point B. Je veux dire qu'elle ne vise pas le point B : le rayon lumineux se propage dans sa direction d'émission initiale et le principe de Fermat est une "simple" conséquence de la propagation des ondes (électromagnétiques dans ce cas) dans des milieux variables, une fois qu'on constate a posteriori que le rayon est passé par A et B. Pas besoin de mécanique quantique ici ( https://en.wikipedia.org/wiki/Fermat%27s_principle#Modern_version )

2) anecdote pour la postérité : la première fois que j'ai rencontré ce problème, c'était en cours de maths avec le fameux professeur Zinzin (celui de 1548 http://www.drgoulu.com/2008/08/24/nombres-acratopeges/) qui nous en avait servi une version alpestre:
"Un paysan habitant dans un village à flanc de vallée est amoureux de Ruth, une fille habitant un village situé de l'autre côté de la vallée (avec petit dessin et distances spécifiées). Il peut descendre la pente à 15 km/h et la remonter de l'autre côté à 3 km/h.
S'il part à 18h, quand le rural en rut se ruera-t-il sur Ruth ?" :-D

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Le Hollandais Volant écrit :

@Dr. Goulu : concernant le 1), il s’agit donc pour la lumière de prendre le chemin tel que le chemin optique soit le plus court. Après ils différencient ça pour trouver ce chemin.
Si je comprends bien, il n’y a rien d’autre que loi de Snell-Descartes alors : les angles se forment à cause de la propagation des ondes. Chemin, qui se trouve alors être le chemin le plus court ? Comment expliquer ça ?

Ce genre d’anecdotes 2) sont sympas. Je ne la connaissais pas :p

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Dr. Goulu écrit :

@Le Hollandais Volant : Tu ne peux pas dire à la lumière "stp passe par les points A et B" donc elle ne minimise rien du tout, elle se propage (Snell Descartes, Maxwell...), c'est tout. C'est toi qui doit orienter ton laser jusqu'à ce que le faisceau passe par les deux points. A ce moment tu résous les équations et hop, la solution satisfait le principe de Fermat juste pour des raisons mathématiques.

Il y a des expériences où la physique "optimise" réellement quelque chose, par exemple les films de savon qui "calculent" des surfaces minimales ( http://images.math.cnrs.fr/Mathematiques-savonneuses.html ) grâce à l'interaction entre les molécules formant le film. Dans ce cas le problème est défini par les conditions aux limites (le cadre du film de savon). Ce n'est pas le cas pour la lumière , où chaque photon suit son bonhomme de chemin de manière indépendante des autres et où rien de spécial n'arrive quand l'un d'eux atteint par coup de bol le point B.


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