Le commerce regorge de gadgets étranges qui font selon moi vendre davantage pour leur côté insolite que pour le côté réellement utile.
L’un de ces produits est la canette de café auto-chauffante. Il s’agit d’une canette à première vue ordinaire (si ce n’est du café), mais qui avec un simple bouton arrive à la réchauffer en quelques instants. Ce n’est pas aussi pratique qu’une bouteille dite isotherme, et forcément beaucoup plus cher, mais le fonctionnement le rend à lui seul intéressant et mérite donc un petit article.
On peut aussi trouver des plats de nouilles chinoises ou d’autres denrées dans des emballages « auto-chauffants ».
Comment réchauffer une canette ?
Il y a plusieurs façons d’avoir un dispositif auto-chauffant. Le meilleur exemple est probablement celui des chaufferettes de poche, dont il existe un bon nombre de sortes. Ceci peut être notre point de départ pour étudier l’idée et voir si cela suffit pour réchauffer un plat ou une boisson.
Certaines chaufferettes de poche fonctionnent avec des piles lithium, et pourraient être adaptées pour chauffer une canette. Pour un objet à usage unique, cela ne serait toutefois ni écologique ni économique.
Ni même assez puissant, d’ailleurs : une canette de 250 mL remplie d’une boisson à base d’eau que l’on souhaite chauffer de 10 à 60 °C requiert une énergie de 52 kJ. Si on avait un dispositif avec une batterie lithium, il faudrait une batterie de 3 000 mAh pour cela, soit autant qu’une batterie de téléphone, ce qui coûterait cher pour une canette. Il faudrait en plus que l’énergie soit libérable en quelques minutes seulement, ce qui n’est pas tellement possible avec cette technologie.
On pourrait utiliser la méthode des chaufferettes catalytiques Peacock ou Zippo. Ces chaufferettes fonctionnent grâce à une décomposition d’un hydrocarbure catalysé par du platine (un métal précieux et rare). Là aussi ce n’est pas économique (le platine coûte très cher), et il y a un risque avec le combustible à base de naphta, qui est toxique et volatile. La quantité de chaleur produite reste également faible.
Un dernier exemple issu d’un troisième type de chaufferettes est d’utiliser le principe des chaufferettes « chimiques » liquides. Ces chaufferettes renferment une pièce métallique à cliquer : dès le clic, le liquide cristallise en libérant une chaleur douce autour de 54 °C. C’est économique et non-polluant, mais la quantité de chaleur produite est très limitée, nettement insuffisante pour chauffer une boisson comme le café. En effet, l’eau possède une bien trop grande capacité thermique, ce qui nécessite beaucoup d’énergie pour en augmenter la température ne serait-ce que de quelques degrés.
On voit dans les exemples précédents que le principal problème technique est la quantité de chaleur à produire.
Pour réaliser un chauffage « portable » qui chauffe beaucoup et très vite, il faut quelque chose de plus puissant. Quelque chose impliquant de la pyrotechnie ! La chimie a ce qu’il faut : parmi les solutions retenues par les fabricants de ces canettes, on distingue deux méthodes.
La méthode à l’oxyde de calcium
L’oxyde de calcium, de formule chimique CaO, est aussi appelée de la chaux vive. La même qu’utilisée en construction. Elle réagit vivement avec l’eau, en produisant de la chaux « éteinte » et de la chaleur par la réaction :
$$\text{CaO} + \text{H}_2\text{O} → \text{Ca(OH)}_2$$
En construction, la chaux éteinte employée réagit ensuite très lentement (plusieurs semaines, mois) avec le dioxyde de carbone de l’atmosphère pour produire du carbonate de calcium, du calcaire, relativement dure, suffisamment en tout cas pour servir d’enduit sur les murs.
Dans notre canette, c’est la chaleur produite qui est intéressante : celle-ci est émise en quelques instants. Quand elle est produite à l’air libre, cette réaction peut monter à 250 °C. Au sein d’une canette, l’eau de la boisson absorbe cette énergie en s’échauffant, et monte assez vite à 50-60 °C.
Les canettes utilisant la chaux vive ont une petite capsule de chaux et une petite poche d’eau au fond de la canette. L’activation se fait en écrasant la poche d’eau dans l’oxyde de calcium, ce qui amorce la réaction et démarre le processus de réchauffement de la boisson, qui dure alors 2 à 3 minutes.
Note : la chaux vive isolée doit être maniée avec précaution, car c’est un produit caustique et irritant, en plus de réagir de façon exothermique avec l’eau. La réaction peut projeter des vapeurs brûlantes et irritantes.
La méthode à la thermite
Une autre méthode, bien plus fun, est d’employer de la thermite ; le même explosif que celui utilisé pour souder des rails de chemin de fer ou démolir des bâtiments.
Enfin presque.
La thermite est le nom générique d’une réaction entre un métal et l’oxyde d’un autre métal. La plus connue est la réaction de l’aluminium et l’oxyde de fer, le tout en poudre, et qui va produire une réaction au cours de laquelle l’oxygène est transféré du fer à l’aluminium, libérant au passage une grande quantité de chaleur :
$$\text{Fe}_2\text{O}_3 + 2 \text{Al} → 2 \text{Fe} + \text{Al}_2\text{O}_3$$
Ici, le fer obtenu est généralement liquide et à plus de 2 000 °C :
Une petite quantité suffirait donc pour chauffer une boisson.
La réaction de la thermite de fer et d’aluminium est cependant bien trop violente. On va donc lui préférer une alternative, à savoir l’oxyde de silicium et l’aluminium :
$$3 \text{Si}\text{O}_2 + 4 \text{Al} → 3 \text{Si} + 2 \text{Al}_2\text{O}_3$$
La réaction est un peu moins vive, mais produit toujours une quantité importante de chaleur. Le fait de réduire la vitesse de la réaction permet à cette chaleur d’être captée par la boisson avant que la capsule qui renferme la réaction ne fonde ou n’explose.
Dans ces canettes, l’activation se fait en tournant la base de la canette. Ceci allume une mèche qui va initier la réaction de la thermite. Cette réaction se produit au sein d’une capsule métallique en contact avec la boisson. La capsule sert à la fois à isoler la boisson des réactifs et à conduire plus facilement la chaleur vers la boisson.
En quelques instants, la boisson est réchauffée.
Il est à noter que la boisson absorbe toute cette chaleur. Si l’on vide la canette avant, la chaleur n’est pas dissipée et s’accumule dans les réactifs, ce qui fait monter la température très haut, assez pour faire fondre l’aluminium de la capsule, donc à plus de 660 °C.
Conclusion
Contrairement aux chaufferettes pour les mains (que ce soit avec une batterie au lithium, à l’acétate de sodium, ou les chaufferettes catalytiques…) pour lesquelles la chaleur douce est émise de façon prolongée dans le temps, les deux méthodes que sont la chaux vive ou la thermite permettent de chauffer fortement sur une courte période.
Le reste est une question de dosage : on veut un produit qui chauffe la canette de façon décente aux alentours de 50-60 °C, sans non plus tout vaporiser.
Liens
Il existe un brevet sur le principe de ces canettes chauffées à la thermite.
Ci-dessous quelques liens vers des vidéos ou les produits auto-chauffants (canettes, nouilles…) directement. Ce ne sont pas des liens sponsorisés :
- Complete Instructions On How +42º Self Heats Beverages Work (par The 42 Degrees Company, qui produit ces canettes) ;
- Heating Coffee with Thermite! (vidéo de démontage d’une canette à la thermite) ;
- Pour les noodles, cherchez « Instant HotPot Noodles — Google ».
Et des liens vers d’autres articles sur ce site, dont ceux des différents types de chaufferettes :
- Comment fonctionnent les chauffes-mains catalytiques Peacock® ou Zippo® ? ;
- Comment fonctionnent les chaufferettes de poche ? ;
- Comment fonctionnaient les lampes à acétylène ? (un dispositif utilisant non pas l’oxyde de calcium, mais le carbure de calcium).