Dans l’espace, que l’on soit en orbite d’un astre ou loin de tout astre, la pesanteur n’est plus : la sensation de poids n’existe pas. Dans la station spatiale internationale, l’ISS, les astronautes flottent et se déplacent en impesanteur.
L’ISS est un laboratoire de recherche sur les effets de la l’absence de pesanteur, cette situation est donc plutôt utile. Dans l’hypothèse d’un voyage interplanétaire de plusieurs mois en revanche, il faut substituer la force de gravité d’une planète par autre chose : de la gravité artificielle.
Pourquoi avoir besoin d’une gravité artificielle ?
Je l’ai dit : dans l’ISS, la situation « 0-g » permanente est voulue à des fins de recherche scientifique (et dans une infime mesure, touristique).
La vie et l’être humain ont évolué sur Terre, dans un champ de pesanteur bien défini. L’organisme s’y est habitué et tire profit de ça. Sans gravité, son fonctionnement est altéré et pas toujours dans le bon sens.
Par exemple, sans gravité les jambes n’ont plus à supporter quotidiennement le poids du corps : les muscles ne sont plus sollicités et les os non plus. Résultat : ils s’atrophient et se fragilisent. Le retour sur la terre ferme est alors difficile. Aussi, les astronautes qui sont amenés à rester plusieurs semaines en apesanteur font beaucoup d’exercice pour éviter cela : la force d’attraction terrestre qui autrement les retient au sol est alors remplacé par des élastiques durant ces exercices.
Parmi d’autres effets, on peut citer la déformation du crane et de l’œil, et donc de la vue. Beaucoup d’astronautes avec une vue parfaite avant leur voyage dans l’espace reviennent sur Terre et doivent porter des lunettes.
La Nasa a pu mettre au point des techniques médicales pour traiter la perte de masse osseuse et la déformation du globe oculaire (solutions qui servent énormément aux personnes qui ont ces problèmes de façon pathologique, ce qui est bien-sûr un avantage parmi d’autres de la recherche spatiale). Ceci est un bien, mais cela ne résout pas tout le problème et n’est pas une solution viable sur le long terme, par exemple dans l’hypothèse d’un voyage interplanétaire.
Pouvoir recréer artificiellement la gravité est donc inévitable. Il y a plusieurs solutions pour y parvenir et on va les explorer ici.
La gravité artificielle
L’accélération de la pesanteur sur Terre est une force qui nous maintient au sol.
Dans un vaisseau, il faut donc trouver une force qui nous maintienne sur le sol du vaisseau. On pourrait utilise des élastiques d’une rigidité équivalent à la force de gravité, mais ça ne serait pas pratique pour se déplacer. Se munir d’une ceinture d’aimants serait également matériellement possible, mais ce n’est l’idéal non plus si on considère que les champs magnétiques peuvent affecter l’équipement de bord.
Une autre solution, qui permettrait à tous les objets d’être de nouveau plaqués au sol serait un flux d’air laminaire de haut en bas : un vent descendant suffisant pour nous permettre de rester plaqué au sol. Une force est une force, donc en principe ça marcherait… si on exclue les turbulences dans l’air et d’autres incommodités lié au vent lui-même.
Il y a deux autres solutions plus pratiques et parfois déjà employées en science fiction.
Solution 1 : un vaisseau en rotation
Que ce soit dans les films 2001, l’odysée de l’espace de 1969 ou dans Interstellar de 2014, les vaisseaux dans lesquels les personnages évoluent sont en rotation. C’est alors l’accélération centrifuge qui maintient les astronautes sur le sol du vaisseau.
Or, selon les lois de Newton, l’accélération subie par un corps se traduit par une force exercée sur ce corps. Ceci vaut pour pour l’accélération en tant que dérivée (ou variation) de la vitesse, aussi bien que comme dans accélération de la pesanteur. Les deux sont équivalentes, et c’est pour ça qu’il n’est donc pas totalement faux de parler de « force centrifuge », comme on l’entend parfois : il faut juste voir d’où vient cette force et avoir tout le raisonnement en tête.
Créer une gravité artificielle de cette façon est faisable, et c’est même très pratique : on peut augmenter plus ou moins cette force, en faisant simplement tourner plus ou moins rapidement le vaisseau sur lui-même.
Dans 2001, l’odysée de l’espace, la célèbre Space Station V tourne sur elle-même. Avec son diamètre de 300 mètres et effectuant une rotation en 61 secondes, la force centrifuge produite est équivalente à la force de gravitation rencontrée sur la Lune. Pour une force de gravitation similaire à celle sur Terre, elle aurait dû tourner plus vite, à environ un tour en 20 secondes :
Dans Interstellar, le vaisseau Endurance tourne lui en 12 secondes et son diamètre est de 72 mètres. Avec ces données, la gravité artificielle tombe à 5 % près sur l’accélération de la pesanteur sur Terre.
Je vois deux avantages à cette méthode.
Déjà, elle est est facilement adaptable : on peut très simplement modifier l’intensité de la gravité artificielle en jouant sur la vitesse de rotation du vaisseau. Ceci est réalisable soit avec des propulseurs à gaz (comme dans Interstellar), soit avec une masse à inertie au centre du vaisseau.
Aussi une fois la vitesse de rotation désirée atteinte, l’inertie maintiendra automatiquement cette rotation sans autre apport d’énergie. C’est donc relativement pratique quand la quantité de carburant, de gaz, ou d’énergie disponible est limitée.
Les inconvénient, maintenant…
Pour commencer, l’intensité de la force centrifuge dépend de la distance au centre du vaisseau. Sur un vaisseau de 300 mètres la question ne se pose pas trop, mais sur un vaisseau sensiblement plus petit, si on est debout contre la paroi latérale du vaisseau, alors les pieds subissent une poussée plus forte que la tête. Un problème d’irrigation du cerveau se pose alors. De plus, à cette échelle, il est possible de ressentir les effets de Coriolis, du fait de se déplacer dans un vaisseau de taille modeste en rotation : ceci peut être déstabilisant (dans tous les sens du terme) et avoir des effets néfastes sur la santé (là encore sur la circulation du sang dans le corps, par exemple ; considérant bien que le vaisseau est en rotation permanente).
Construire un grand vaisseau (pour compenser le problème précédent) est matériellement difficile : il faut une résistance remarquable dans la structure du vaisseau, et également une énorme quantité de matière première (métaux, par exemple) qui doivent être envoyés en orbite avec le coût monstrueux qui va avec.
Enfin, dans une moindre mesure, si le vaisseau tourne sur lui-même rapidement et qu’on est dedans, alors tout ce qu’on voit par le hublot (ciel, étoiles, planètes…) tourneront aussi très vite. Si cela ne donne pas le tournis, ça pose éventuellement un léger problème d’orientation ou d’observation des astres (compensable par des caméras et un traitement numérique, mais quand-même).
Solution 2 : une accélération constante
Une autre solution pour avoir une gravité artificielle constante serait simplement d’avoir une accélération constante du vaisseau. Comme mentionné au dessus, une accélération de vitesse est équivalente à une accélération de la pesanteur. L’un peut donc se substituer à l’autre, l’on ne saurait pas les différentier simplement par le ressenti.
Dans une voiture de sport qui démarre, on est plaqué au fond du siège. La voiture accélère vers l’avant, mais en réaction nous subissons une force qui nous plaque vers l’arrière. Quand la voiture atteint sa vitesse maximale, cette sensation de poussée disparaît : l’accélération est nulle. L’idée ici est maintenir l’accélération du vaisseau sur une durée égale à la durée du voyage.
L’accélération de la pesanteur sur Terre est de 9,81 m/s². Pour que notre vaisseau produise une accélération équivalente, il faut donc que sa vitesse augmente de 9,81 m/s (35,31 km/h) chaque seconde.
On peut aisément comprendre que si on maintient ça durant plusieurs mois, la vitesse devient colossale. Si on maintient cette accélération pendant une semaine (la durée d’une mission Apollo), on aura déjà atteint 21 355 488 km/h, soit environ 2 % de la vitesse de la lumière. Maintenez ça durant une année, et on est pratiquement à la vitesse de la lumière (en excluant les effets relativistes).
L’avantage et la particularité de cette méthode est que l’accélération produite est constante et uniforme : aucune différence de la tête au pieds. De plus, ceci permet d’atteindre des vitesses énormes très rapidement et donc d’atteindre des destinations comme Mars en quelques jours seulement (contre 9 mois actuellement, avec la technologie actuelle).
L’inconvénient majeure est que maintenir cette accélération est impossible sans une source de carburant gigantesque. Actuellement, ceci n’est pas réalisable, quelque soit la technologie employée.
Enfin, pour arriver à destination à une vitesse à laquelle on est capable d’atterrir, il faut aussi freiner. Ceci n’est pas un problème : il suffit d’inverser la poussée à mi-chemin. L’accélération est alors une décélération de 9,81 m/s², mais la sensation de gravité artificielle n’est pas modifiée (sinon qu’elle est sur l’avant du vaisseau et non plus l’arrière), et on ralentit le vaisseau jusqu’à son arrivée à destination.
Conclusion
Il n’y a pas besoin de « réacteur à gravité artificielle » telle que décrite dans nombre d’œuvres de fiction et dont le fonctionnement est obscure. Il suffit juste d’un peu de rotation, d’accélération centrifuge et de quelques lois simples de la physique.
En raison de sa simplicité d’application, il y a fort à parier que ce soit la première solution décrite ici, celle du vaisseau rotatif, qui sera adaptée en premier quand on sera amené à voyager vers Mars.
Ensuite, quand notre civilisation sera à même de coloniser les étoiles, on pourrait voir des vaisseaux spatiaux gigantesques, en forme de tube de plusieurs centaines de mètres de rayon et en rotation : ce sont les Cylindres O'Neill. Des milliers de personnes pourront y vivre avec une sensation de gravité égale à celle sur Terre :
Enfin, je le mentionne ici quand-même, vous pouviez penser à utiliser un vaisseau suffisamment massif pour produire une accélération de pesanteur de façon naturelle. Il est vrai que chaque objet produit son propre champ de pesanteur, mais justement : si l’on veut un champ de pesanteur égal à celui de la Terre, il faudrait un vaisseau de la même masse que la Terre. Autant se mettre à déplacer la Terre directement… chose qui n’est pas encore possible et qui ne serait pas intéressante si on envisage justement de quitter la Terre pour aller ailleurs.
La force de gravité est très faible par rapport aux autres forces de la nature, comme la force magnétique. Rendez-vous compte : quand on soulève un clou ou un trombone avec un aimant, ce dernier vainc la force de gravité de la planète Terre toute entière !
C’est pour ça que pour obtenir une accélération de la pesanteur raisonnable de façon naturelle, il faut une masse équivalente à une planète, et ce n’est pas envisageable pour le moment.
Il serait envisageable d’utiliser un trou noir comme source suffisamment compacte de gravité : un trou noir de 9 millimètres aurait la masse de la Terre (bien qu’un trou noir beaucoup plus petit suffirait, étant donnée qu’on peut s’approcher de lui), mais cela ne résout pas le problème de l’énergie nécessaire pour le déplacer. Sans compter les problèmes inhérents au trous noirs : tout ce qui tombe dedans (par exemple par accident) est perdu, ni le rayonnement X et gamma émis par la matière sur le point de tomber dedans. Enfin, à cette échelle d’une masse planétaire se trouvant dans une bille, l’accélération de la pesanteur décroît très vite.
Un trou noir « portable » peut en revanche être utilisé comme source d’énergie (ça sera pour un autre article).