Des décharges corona sur un poteau électrique

Cet article fait partie d’une série d’articles sur les phénomènes du folklore marin.
Bien que ce ne soit pas nécessaire pour comprendre cet article, je vous en conseille la lecture si le sujet vous intéresse :

Ceci est le second article de ma série d’articles sur les phénomènes du folklore marin. J’y explique quelques-uns des phénomènes optiques ou météorologiques rapportés par les marins et qui n’étaient alors explicables que par le surnaturel et la mythologie.

Aujourd’hui, ces phénomènes sont (presque) entièrement expliqués, et quoique complexes, je vais tenter de les présenter ici, tout en essayant de conserver les explications parfois un peu « mystiques » d’autrefois.

Cette semaine : le feu de saint Elme.

Description

Dans le monde maritime, le feu de saint Elme fait référence aux flammes bleutées surgissant des extrémités des mâts d’un navire, et visibles lors de nuits orageuses. Ces flammes sont alors accompagnées de crépitements rappelant ceux des braises d’un feu de bois.

Son nom provient de saint Érasme de Formia, dit « saint Elme » : le saint patron des marins. L’apparition des feux de saint Elme était perçu comme sa bénédiction sur le navire : le Saint avait alors protégé le navire et son équipage durant l’orage.

Le phénomène est au moins connu depuis l’antiquité, mais la première explication scientifique fut donnée par Benjamin Franklin, le même qui participa à la fondation des États-Unis.

Franklin, dont j’ai déjà parlé pour les cloches de Franklin a beaucoup travaillé sur les phénomènes électriques (on lui doit le paratonnerre et l’explication électrique des éclairs), dès le milieu du XVIIIᵉ siècle (donc pratiquement un siècle avant Faraday, Maxwell ou Ampère). Pour Franklin, donc, le feu de saint Elme est également un phénomène électrique.

Les flammes bleues du feu de saint Elme sont en fait des décharges dues à l’accumulation de l’électricité atmosphérique. On parle aujourd’hui de décharges corona, ou décharges en couronne.

Origine électrique et optique du feu de saint Elme

En électricité, on constate que plus l’extrémité d’un conducteur est fine et pointue, plus les charges arrivent à être éjectées facilement de ce conducteur : c’est l’effet de pointe. Cela provient de la densité de charges qui augmente quand le rayon de courbure du conducteur diminue, et c’est pour ça que l’on évitera d’avoir des conducteurs pointus dans les installations hautes-tensions.

En fait, plus le conducteur est pointu, plus la densité de charges augmente, et donc plus les charges sont proches les unes des autres. Si la densité de charges – généralement des électrons – est trop importante, ces dernières se repoussant, elles finissent par être éjectées de la pointe à très haute vitesse : la répulsion électrique est alors trop forte pour maintenir les charges ensemble sur le conducteur.

La charge électrique traverse alors l’air à très haute vitesse et peut ioniser les molécules de l’air. En se recombinant, les molécules émettent alors un photon, et donc de la lumière. Dans le cas de l’azote et de l’oxygène de l’air, la lumière émise est bleu-violet, d’où les flammes bleutées.

S’il y a un conducteur de charge opposé à proximité, la décharge le rejoint et amorce un arc électrique important, mais dans le cas contraire, les charges sont diffusées dans l’air et l’on observe une chose proche d’une flamme.

Le feu de saint Elme est accompagné d’un crépitement électrique comme celui que l’on peut entendre sous les lignes électriques très haute tension (les pylônes). D’ailleurs, ces dernières peuvent également parfois présenter des décharges corona, alors visibles de nuit et de préférence lorsque l’air est humide.

Autre occurrence du phénomène

Occurrences passives

Aujourd’hui, les mâts des navires, s’il y en a, sont mis à la « terre » à l’aide d’un paratonnerre relié à la coque et à l’eau, on ne les observe donc plus autant en mer, mais on peut les voir ailleurs.

Pour commencer, on le voit directement sur les paratonnerres, juste avant un impact de foudre et s’il n’y a pas trop de vent : les paratonnerres sont volontairement pointus afin de favoriser l’ionisation de l’air et donc d’amorcer un début d’arc électrique. Certains paratonnerres sont de plus équipés de pastilles radioactives, dont le rayonnement est censé favoriser encore plus l’ionisation de l’air. Ces pastilles sont désormais interdites, même si beaucoup sont encore en service.

Un autre endroit où on les voit, c’est sur le nez des avions de ligne. Les charges présentes dans l’air s’accumulent sur les vitres et quand le potentiel est trop fort, un arc surgit pour s’égaliser avec la masse de l’avion ou bien avec l’air. Le nez des avions n’est pas visible normalement (à part pour les pilotes), mais le feu de saint Elme peut également se produire sur le bout des ailes, par temps orageux.

Outre les décharges corona sur les paratonnerres et les avions, on peut rencontrer ou recréer ce phénomène de façon artificielle. Tout ce qu’il faut c’est un générateur de hautes tensions.

Les décharges électriques de ce type sont dues à une accumulation massive de charges dans un conducteur de forme pointue. Cette accumulation est provoquée par une haute tension, et le champ électrique atteint alors plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de volts par mètre.

On peut reproduire ces conditions assez facilement chez soi avec une bobine Tesla : il suffit alors de tenir un clou sur la boule de la bobine et des étincelles (des éclairs) en jailliront. Même chose avec un générateur de Van Der Graff ou une machine de Wimshurst : il suffit de poser quelque chose de pointu sur les électrodes sphériques.

À noter que si l’on se met nous-mêmes à un haut potentiel électrique, nos extrémités corporelles seront les zones d’où jailliront les étincelles : cheveux, doigts… Comme dans cette vidéo de Plasma Chanel, qui démontre le phénomène.

Ces charges, enfin, fusent à travers l’air à très haute vitesse où elles entrent en collision avec les molécules de l’air. Quand ces particules proviennent d’éruptions solaires et qu’elles balayent la Terre, elles sont canalisées par le champ magnétique terrestre et ionisent l’air au niveau des pôles, dont le ciel luit alors dans des couleurs violettes, roses ou vertes, en fonction de l’altitude, de la nature des charges et l’énergie qu’elles véhiculent. On parle alors d’aurores polaires : boréales dans le nord et australes dans le sud.

Occurrences actives du phénomène

L’effet responsable des feux de saint Elme, l’effet corona, peut être mis à profit pour nous. Dans ce cas, on cherche à amplifier ce phénomène pour en tirer profit. C’est ce que j’appelle ici des occurrences actives.

Il faut savoir que ces particules peuvent non seulement ioniser les molécules qu’elles heurtent, mais elles peuvent également leur communiquer leur quantité de mouvement.

Les particules chargées fusant toujours dans le même sens, quittant le conducteur sous tension, elles entraînent également l’air de façon uniforme. On obtient alors une sorte de vent électrique.
Reproduit avec une petite machine de Wimshurst, le vent produit à l’aide d’un petit clou pointu est alors suffisant pour éteindre une flamme de bougie !

Mieux, on a réussi à faire un aéronef capable de voler à l’énergie solaire et sans pièces mobiles grâce à tout ce principe : l’énergie solaire est simplement convertie en une haute tension (plusieurs dizaines de kilovolts) et une très faible intensité (en microampères), mais reste capable de produire un vent qui suffit à propulser l’aéronef et à le maintenir en vol virtuellement indéfiniment.

Utilisé dans un tube sous vide et avec une cathode fortement chargée, les électrons vont être éjectés à très haute vitesse et tous en ligne droite. On obtient alors un rayon d’électrons issue d’une cathode : c’est un rayon cathodique, et le tube s’appelle un tube cathodique. Il s’agit toujours de l’effet corona, et c’était mis à profit dans les vieux postes de TV, ou encore les toutes premières diodes ou les premiers transistors : en effet, le rayon cathodique ne pouvait être créé que dans un seul sens du courant.

De même, le principe du vent électrique peut-être réalisé à l’aide d’ions : on obtient alors un vent ionique, provoquant une poussée faible mais constante, capable par exemple de propulser une sonde spatiale. On parle alors de la propulsion ionique.

En conclusion

À nouveau, la méconnaissance de la physique a poussé les marins à imaginer toutes sortes de légendes à propos des œuvres étonnantes de la nature.

On appelait « vaisseau » les gros navires d’autrefois, et sur lequel on pouvait éventuellement observer le feu de saint Elme. Il est assez poétique que l’on appelle également « vaisseau » les navettes spatiales dans lesquelles on pourra éventuellement voyager dans l’avenir, et qui utiliseront probablement la propulsion ionique, et donc le même phénomène visible autrefois par les marins.

image d’en-tête de Nitromethane

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