Plutôt connue dans le domaine de la science fiction, la propulsion ionique est un concept bien réel, et est un système utilisé depuis une vingtaine d’années par la Nasa pour propulser certaines sondes spatiales, comme la sonde Dawn.
Le principe est plutôt simple, et bien qu’il existe plusieurs façons de les faire, je vais m’attarder ici sur le moteur ionique électrostatique, qui est le plus simple à comprendre.
Tous les moteurs à réaction fonctionnent en propulsant quelque chose vers l’arrière de façon à obtenir une poussée vers l’avant. C’est de l’eau pour les bateaux à moteur, de l’air pour les avions, des gaz pour les fusées et donc des ions pour les sondes à propulsion ionique.
Ici, plutôt que d’utiliser une réaction chimique, brûler des gaz et expulser ces derniers, on utilise un champ électrique pour accélérer des ions (particules chargées) dans un sens, toujours pour obtenir une poussée dans l’autre sens. Le résultat est le même, mais les applications sont un peu différentes.
Le moteur ionique
L’idée est simple à comprendre, donc, mais sa mise en place fait appel à un peu de physique.
Tout d’abord, on commence par construire un canon à électrons. Ils sont obtenus en mettant une aiguille métallique sous très haute tension. L’accumulation de charges sur la pointe va pousser des électrons à s’en échapper à très haute vitesse. On obtient alors un faisceau d’électrons.
Ces électrons sont bombardés sur du xénon, un gaz, dans le but d’en arracher leurs électrons. Le gaz, ionisé sous la forme d’ions $Xe^{+}$, est ensuite envoyé entre une grille positivement chargée et une grille négativement chargée.
L’ion étant chargée positivement (ayant perdu une charge négative), il est repoussé par la grille positive et est attiré par la grille négative et est donc accéléré en direction de la grille négative. C’est cette accélération qui nous intéresse, car c’est elle qui constitue la poussée du moteur à propulsion ionique :

Quand l’ion $Xe^{+}$ passe la grille négative, on lui envoie un électron, celui qu’on lui a arraché un peu plus tôt lors de l’ionisation. L’électron se recombine avec son ion et l’atome de xénon est alors neutralisé. Il conserve cependant son inertie et sa vitesse : il est expulsé du moteur.
C’est le passage de l’ion dans la région où règne un fort champ électrique qui lui confère une importante accélération. L’ion atteint alors une vitesse colossale de l’ordre de 20 à 50 km/s, soit de 72 000 à 180 000 km/h. Le xénon étant ainsi éjecté à l’arrière, c’est toute la sonde spatiale qui est poussée vers l’avant.
Pourquoi ce principe de fonctionnement ?
L’un des gros problèmes avec les fusées, ce n’est pas le fonctionnement, mais leur utilité : on veut envoyer des sondes loin de la Terre, et pour cela il faut d’abord réussir à quitter son attraction gravitationnelle. Si on utilise du carburant pour produire la poussée, il faut également que ce carburant quitte l’attraction de la Terre, et donc, en quelque sorte, utiliser d’autre carburant pour propulser le carburant lui-même. Aujourd’hui, le carburant représente près de 90 % de la masse de la fusée. Le reste est partagé entre la masse de la fusée et la charge utile, qui ne représente qu’une petite fraction de la masse d’une fusée.
Si on veut envoyer plus de choses plus loin, il faut également envoyer beaucoup plus de carburant. Avec ce raisonnement, il arrive un stade où ce n’est plus viable économiquement. Il faut donc trouver un moyen de propulser les sondes avec des moteurs plus légers, et surtout aussi loin avec une masse de carburant plus faible.
Avec la propulsion ionique, il n’y a ni combustion, ni réaction chimique. Il n’y a pas non plus de pièces mobiles, ni besoin de palier à des contraintes thermique et mécanique comme un moteur de fusée classique. Un moteur ionique est donc très efficace et rentable.
En revanche, la quantité d’ions expulsé est très faible, et la force obtenue également : pas plus d’une centaine de grammes de poussée, soit environ autant qu’un souffle sur votre main tendue. En revanche, cette poussée est constante, très étalée dans le temps et très précisément dirigée.
Dans l’espace, où il n’y a pas d’air pour nous freiner, cette faible force suffit pour accélérer la sonde. L’accélération est lente, mais constante et très longue. Après plusieurs mois, la sonde permet d’augmenter sa vitesse de 5 à 10 km par secondes, ce qui est loin d’être négligeable sur des voyages interplanétaires. Si elle était utilisée à son plein potentiel, il est estimé que de telles moteurs peuvent, à force d’une propulsion faible mais durable, atteindre des vitesses de l’ordre de 10 % de celle de la lumière. C’est donc clairement intéressant.
Pourquoi du xénon ?
Le choix du xénon, qui est un gaz noble, est important ici.
Déjà, pour que la poussée soit maximale, il faut que la masse de ce qu’on éjecte soit la plus grande possible. Or parmi les carburants dont on dispose et qui sont facilement ionisables, le xénon est de loin le plus massif (40 fois plus dense que l’hélium, 4,5 fois plus que l’air, etc.). Il est bien plus efficace que l’azote ou l’hélium, donc.
Ensuite, ce gaz est également inerte chimiquement : il n’attaque pas son réservoir ni le moteur. Le césium ou du sodium, qui étaient également des carburants potentiels pour les moteurs ioniques, n’ont pas cet avantage. S’ils étaient considérés au départ, c’est parce qu’ils sont très simplement ionisables.
Dans l’ensemble, un moteur ionique comme celui de la sonde Dawn qui embarque 425 kg de xénon sera aussi efficace qu’un moteur de fusée classique qui embarque environ 10 tonnes de carburant classique (qui coûterait donc beaucoup plus cher à envoyer dans l’espace).
Un des inconvénients que ce moteur ne résout pas, est la nécessité d’un carburant. Sans le xénon, il n’y a rien à ioniser et le moteur ne fonctionne pas : sans matière à pousser vers l’arrière, la fusée ne peut pas avancer. Ce problème n’est pas spécifique au moteur ionique, mais c’est un problème que ce moteur ne résout pas par rapport aux autres moteurs à réaction.
Pour le résoudre, on peut utiliser des voiles solaires, qui utilisent le vent solaire et la pression radiative (la pression de la lumière) pour avancer, lentement mais sûrement à travers l’espace. Avec ça, plus besoin de source de carburant du tout, mais il faut être proche du Soleil.
Une autre solution pourrait être un moteur à effet Casimir, mais l’état actuel de la technologie n’en est pas encore là.
Construire son propre moteur ionique
Il est possible, chez soi, de produire son propre moteur à propulsion ionique ! Il y a une petite vidéo qui explique comment ça marche.
Le principe est simple : on fait passer une très haute tension dans un fil circulaire. Les électrons qui sont éjectés du fil ionisent l’air et son attirés vers un autre fil, chargé négativement. L’air ionisé se déplace d’un fil à l’autre (en entraînant l’air autour de lui) et par réaction, le support comportant les deux fils est propulsé en haut.
La présence de la bougie dans la vidéo permet de mettre en évidence le mouvement de l’air. C’est assez sympa comme système et ça permet de mettre en mouvement de l’air sans utiliser de ventilateur. Ça ne fait pas non plus de bruit.
En revanche, ceci n’est pas le système utilisé dans les nouveaux ventilateurs « sans pales », dont le fonctionnement est détaillé dans cet article.