En 1972 et 1973 furent lancées les sondes Pioneer 10 et 11 en vue de la reconnaissance, pour la première fois, des confins du système solaire et des planètes géantes. La destinée de ces sondes, après leur mission, était de s’éloigner indéfiniment de la Terre, toujours plus profondément dans l’obscurité de l’espace…
À l’époque de leur lancement, nous ne savions pas si nous étions seuls dans l’univers ou non. Nous ne le savons d’ailleurs toujours pas aujourd’hui. Ceci n’a pas empêché la NASA d’accrocher notre « carte de visite » sur les sondes Pioneer sous la forme de la célèbre plaque de Pioneer :
Cette plaque comporte, de façon codée, la position du Soleil dans la galaxie, la position de la Terre dans notre système solaire, ainsi que la silhouette d’une femme et celle d’un homme. Le tout était destiné à une éventuelle civilisation extra-terrestre si elle trouvait notre sonde.
Cette opération fut renouvelée, sous la forme d’un disque doré à l’occasion des sondes Voyager. D’un côté, le disque comportait un enregistrement de bruits et sons rencontrés sur Terre (paroles, bruits d’animaux, de machines…). De l’autre côté, des instructions codées sur la façon de lire le disque et restituer les sons, ainsi que des informations similaires à celle de la plaque de Pioneer :
Citons enfin un autre message dans ce style, à savoir le message d’Arecibo, transmis sous la forme d’un signal radio binaire, un peu comme du morse très basique. Une fois reconstitué, le message devait subir un décodage, mais servait de nouveau à distribuer notre adresse galactique.
Les chances que ces « bouteilles à la mer » dans un océan cosmique soient trouvés et décodés semblent infimes, et encore plus infime d’aboutir sur la visite d’extra-terrestres sur notre planète.
Dans ce cas, pourquoi donc avoir laissé ces messages ? Et comment faire en sorte qu’ils soient déchiffrables par d’autres êtres vivants ? C’est l’objet de l’article.
Pourquoi chercher à se faire trouver ?
Si l’on examine la façon dont les êtres humains ont considéré leurs territoires à peine conquis au fil de l’histoire, on note très vite que ça s’est généralement terminé dans le sang et la destruction.
Pas juste sur les autres tribus humaines, mais aussi sur les autres espèces animales : nous tenons des animaux en esclaves dans des cirques, nous les maltraitons parfois, les exploitons souvent pour leurs œufs, viande, fourrure, huile, ivoire… et nous les exterminons même pour la menace qu’ils représentent pour nous ou nos intérêts, et même les tuer pour notre simple et égoïste plaisir sadique.
De surcroît, nous ignorons quasi systématiquement l’effet que nos activités ont sur les autres espèces. À tel point que nous sommes actuellement dans la sixième extinction massive d’espèces vivantes ; et celle-ci porte notre nom, et possède l’être humain pour cause directe : l’extinction de l’Anthropocène.
Au vu de tout cela, posons-nous la question suivante : si nous nous accordons le droit de faire subir ce qui précède aux autres espèces moins intelligentes, à quoi devons-nous nous attendre de la part d’une civilisation plus intelligente, si ce n’est qu’elle nous traite comme nous traitons les animaux ?
On peut cependant porter un espoir à ça.
En effet, si une civilisation extraterrestre arrive à venir nous rendre visite en traversant la galaxie, elle serait forcément beaucoup plus avancée que nous, puisque nous-même sommes encore à des siècles (au moins !) de pouvoir en faire autant. On peut alors nourrir l’espoir qu’une civilisation plus avancée soit également plus sage et plus bienveillante que l’espèce humaine, et qu’elle ne pense donc pas immédiatement à nous tuer et à nous exploiter.
Cet espoir a de bonnes chances d’être comblé : car après tout, la sagesse et la retenue sur nos instincts destructeurs est une condition nécessaire pour survivre à soi-même suffisamment longtemps pour maîtriser le voyage interstellaire. En ce qui nous concerne, bien qu’à l’aube d’une destruction sans précédent de l’écosystème de notre planète, nous sommes — globalement — plus sages que nos ancêtres.
Notre considération envers les uns et les autres, les peuples et tribus variées, les animaux et les autres espèces, s’améliore petit à petit. On est loin d’une grande harmonie, mais l’avenir s’annonce meilleur — ou moins mal — que le passé sur ces plans-là. Les guerres sont moins nombreuses, les gens sont plus coopératifs entre-eux et nous sommes plus que jamais proches d’une gouvernance mondiale, à la fois politique (avec l’ONU), que technologique et culturel (Internet, par exemple), scientifique (LHC, ISS), sportive (les JO), économique… malgré quelques tensions de temps en temps.
Envoyer notre adresse dans le cosmos peut sembler un pari risqué, que nous avons choisi de prendre, car nous n’avons en vérité rien à perdre ! Ce « pari » est également justifié par le fait que n’importe quel signal électrique que nous ayons émis au cours de l’histoire rayonne déjà dans l’espace autour de nous. Une civilisation qui passe dans notre voisinage galactique peut capter n’importe quelle émission de TV ou de radio qui a été émise par le passé. Un émetteur de signal TV émet partout, y compris dans l’espace, et qu’on le veuille ou non.
Considérant ça, pourquoi ne pas leur transmettre un message pacifique ? Cela ne coûte rien.
Comme expliqué plus haut, les civilisations enclines à venir nous trouver ont de bonnes chances d’être pacifiques, et de toute manière, aurait la technologie de venir nous voir, y compris sans notre aide.
Quelle difficulté de communiquer avec les extra-terrestres ?
Il subsiste un problème : comment communiquer avec une civilisation extra-terrestre ? Ils ne parlent (a priori) pas français, ni anglais, ni aucune langue humaine. Il est illusoire de penser qu’ils partagent même l’un de nos alphabets.
En fait, la « barrière de la langue » avec un extra-terrestre est bien plus énorme et fondamentale encore que cela.
Communiquer avec des extra-terrestres
Avez-vous déjà essayé de communiquer avec une taupe ou un cerisier ? Dire que ce n’est pas simple est pour le moins un euphémisme. Pourtant ces deux organismes partagent plus de la moitié de leur ADN avec nous. Même discuter avec un grand singe — qui a 97 % de l’ADN en commun avec un humain — reste difficile, et seuls certains résultats très basiques peuvent parfois être obtenus.
Encore mieux : avez-vous déjà essayé de communiquer avec un être humain vivant de l’autre côté d’une frontière ? Dans une autre langue ? Seule une minorité de personnes sont capables de le faire facilement. Et l’on parle ici d’individus de la même planète et de la même espèce.
Comment pouvons-nous espérer un seul instant discuter avec un être qui a évolué à l’autre bout de la galaxie ? On peut imaginer autant de formes de vie que l’on veut, mais dans la majeure partie des cas, la communication sera extrêmement difficile, voire impossible.
Un problème allant jusqu’à la physionomie
Dans les films de science-fiction, les aliens sont toujours de forme humanoïde, marchent comme des humains, respirent, voient et parlent comme nous, et comprennent toujours notre langue. Bref, ce sont des humanoïdes colorés en bleu ou en vert, rien de plus.
D’un point de vue scénaristique, cela s’explique parfois par le fait que ça se passe dans le futur, et que ces extra-terrestres sont en fait d’anciens humains qui ont évolué de leur côté après un voyage dans l’espace durant des siècles et que l’on retrouve par hasard. C’est une possibilité scénaristique tout à fait crédible, mais qu’en serait-il d’extra-terrestres qui n’ont rien avoir avec nous ?
D’un point de vue exobiologique, il n’y a aucune raison pour qu’une créature extra-terrestre nous ressemblent. Rien que sur la Terre, tous les animaux sont différents, sans même parler pas des plantes ou des bactéries. On trouve dans nos jardins des organismes plus différents de nous que ne le sont les extra-terrestres d’Hollywood !
La réflexion peut aller loin : la vie peut apparaître sur une planète errante, profitant de sa chaleur interne et non de celle d’une étoile. Dans ce cas, la planète est éternellement dans l’obscurité. Ces créatures n’ont donc aucun besoin d’yeux comme les nôtres et n’aura jamais évolué pour en avoir. Même chose si la créature s’est développée sur une planète sans atmosphère : dans ce cas, les sens de l’odorat, de l’ouïe ainsi que la voix seraient inutiles et ne se seraient pas développés.
Ils pourraient en revanche communiquer par le toucher au moyen de vibrations (directe ou via le sol), transferts chimique (comme une synapse), par signaux électriques, magnétiques, infrarouges, etc. Rien de compréhensible par des humains.
Il n’y a aucune raison qu’un extra-terrestre soit humanoïde. Certains pourraient ressembler à des ballons flottant dans l’atmosphère, comme une méduse flotte dans l’eau, ou encore à des formations statiques, à la façon d’un arbre sur Terre. Saurions-nous au moins reconnaître cela comme de la vie ?
Encore une fois, cela va bien au-delà de ce qu’on peut imaginer : ces quelques exemples ne sont que le début des bizarreries que l’on pourrait trouver.
Quoi leur communiquer ?
Pour le disque de Pioneer ou la plaque de Voyager, nous avons donc dû faire des choix. L’univers est trop vaste et sûrement trop créatif pour pouvoir faire quelque chose qui s’adapte à tout ce que l’on peut imaginer, et encore plus pour s’adapter à tout ce que nous n’imaginons même pas.
On peut donc considérer que la seule barrière retenue dans ces messages est la barrière de la langue, pas la barrière des sens par exemple, comme expliqué ci-dessus.
Sur Terre, toutes les civilisations humaines ont utilisé les arbres et les pierres pour créer des habitations et des outils. Nous foulons le même sable et respirons le même air. Nous avons en commun notre planète.
Toutes les civilisations ont utilisé les étoiles pour tracer des constellations, créer des histoires et des mythes. Nous avons en commun la voûte céleste au-dessus de nos têtes.
Plus fondamentalement, nous subissons les mêmes lois physiques aussi.
Dans le cas des extraterrestres, il en va de même mais à une échelle plus grande. Nous ne visons pas sur la même planète, ou dans le même système solaire, mais dans le même univers, celui constitué de 73,9 % d’hydrogène, 24 % d’hélium, 1 % d’oxygène, 0,5 % de carbone et des traces de tout le reste. L’univers étant isotrope et homogène, nous rencontrons les mêmes formations stellaires et galactiques et nous sommes soumis aux mêmes lois de la nature où que l’on se trouve.
C’est donc dans ce qui nous unit que nous devons écrire un message.
Nous connaissons les lois de la physique. Alors eux aussi. C’est donc avec la science que nous communiquerons.
Des êtres intelligents vont forcément chercher à comprendre comment fonctionne leur monde, d’où il vient, de quoi il est fait. Or, en ayant évolué dans le même univers que nous, ils auront les mêmes conclusions que nous : les mêmes lois de la thermodynamique, de l’électromagnétisme, de chimie, etc. Avec des créatures que tout oppose mais avec qui nous partageons un univers, les maths sont notre alphabet et la physique notre histoire.
Pour la plaque de Pioneer et de Voyager, et dans le message d’Arecibo, c’est ce que nous avons utilisé.
Exemple de la plaque de Pioneer
La plaque de Pioneer représente notre adresse cosmique au sein de notre galaxie, la Voie Lactée. En effet, sur l’échelle de notre espèce humaine, le plaque restera dans notre galaxie. Il faudrait bien plus de temps pour qu’elle en sorte. Même la lumière mettrait plusieurs millions d’années pour atteindre seulement la galaxie voisine de la nôtre, sans même parler du reste de l’univers.
Pour commencer, la plaque représente ce que l’univers a de plus abondant : l’atome d’hydrogène. La plaque en représente deux, sous forme d’un proton entouré d’une orbitale électronique :
Les électrons uniques de l’hydrogène sont représentés avec de sorte de flèche orientée. Ceci représente le spin de l’électron, qui peut prendre deux valeurs que nous appelons habituellement haut et bas. Il se trouve que le spin de l’électron de l’atome d’hydrogène change de sens selon une fréquence très régulière de 1 420 405 751,768 Hz, soit 1,42 GHz.
Cette fréquence, la plus rencontrée dans l’univers à cause de l’abondance de l’hydrogène, est donc à coup sûr connue par quiconque étudie le cosmos. Sur le message, cette fréquence donne notre tempo, notre base de temps.
À présent, le message donne également notre position. Similairement au système GPS sur Terre, on peut imaginer un système de positionnement galactique. Plutôt que d’utiliser des satellites dont la position est connue, nous utilisons des astres émetteurs de radiofréquences très régulières : les pulsars. Chaque pulsar est unique et sa position peut être détectée par n’importe qui. Notre position est donc triangulée (trilatérée, pour être précis) par rapport à ces pulsars.
La fréquence propre de ces pulsars est notée comme un multiple de la fréquence de l’hydrogène donnée ci-dessus. Sur le schéma du message, ceci est représenté par les pointillés émanant d’une sélection de quelques pulsars et se rejoignant en un point qui est la position du Soleil :
À ce stade, si une civilisation au moins aussi intelligente que nous a repéré tous les pulsars et noté leur fréquence, ils savent lesquels on a dessiné et pourront utiliser le schéma pour nous positionner dans la galaxie. Ceci en considérant évidemment que les pulsars n’ont pas changé de position au sein de la galaxie. Cela est vrai sur une échelle de temps de quelques millions ou dizaines de millions d’années, mais guère au-delà. Les pulsars et même nos constellations auront changé dans le futur lointain, car toutes sont en mouvements les uns par rapport aux autres dans notre galaxie.
Une autre information, de taille, si j’ose dire, est celle de la longueur d’onde de la fréquence citée. Dans le vide, elle est d’environ 21,1 cm. Ceci représente alors une unité de longueur. Pas besoin de faire intervenir des mètres ou des centimètres, qui sont des unités anthropologiques, on utilise simplement la longueur d’une pulsation de la fréquence de base de l’hydrogène parcourue avec la lumière.
Ceci nous permet par exemple de mesurer la grandeur des deux silhouettes humaines également dessinées.
Il va de soi que le codage des messages doit se faire correctement, et que ça semble assez « tordu ». Maintenant, peut-on vraiment faire mieux, sachant que l’on s’adresse à des êtres qui n’ont pas notre alphabet ni même nos chiffres ? Il est donc obligatoire de passer par des dessins et des schémas, si possibles simples, et en n’employant que des éléments connus dans tout l’univers, à savoir une base scientifique et un codage mathématique ?
Quant à l’usage du binaire dans la représentation des données numériques, elle fut choisie, car je rappelle que la base décimale n’est utilisée que parce que l’on possède 10 doigts en tant qu’humain, et que ce n’est donc pas forcément le cas chez des extra-terrestres. Le binaire quant à lui est plus universel de ce côté-là.
Conclusion
Quand il s’agit de communiquer avec des extra-terrestres, ce n’est pas aussi simple que d’écrire un message et d’en envoyer la lecture dans le cosmos. Déjà, le message doit être capté techniquement, mais aussi décodé, et le résultat du décodage doit lui aussi être lisible par des extraterrestres.
À quoi bon envoyer un message audio si le message est trouvé par un organisme qui n’a pas d’oreilles ? Et ensuite, dans quelle langue l’envoie-t-on ?
Le travail nécessaire pour créer un message, et son support, ainsi que son encodage est donc plus compliqué que ce que ça en a l’air. On considère cependant que le dénominateur commun parmi toutes les civilisations jugées « intelligentes » est la recherche de la connaissance et l’étude de l’univers. Autrement dit, la science.
C’est donc avec cela que les messages sont écrits. Quant au contenu, la seule chose utile envoyée dans les différents messages est notre position dans la galaxie, dans l’espoir de finir éventuellement sur une rencontre.