Il est fort probable que vous ayez déjà entendu parler des métaux à mémoire de forme : c’est le genre de fil métallique que vous tortillez dans tous les sens et qui reprend sa forme initiale quand vous le trempez dans l’eau chaude. C’est assez spectaculaire et ça a nombre d’applications dans les domaines médicaux ou aéronautiques.
Le plus connu de ces métaux est le Nitinol, dont le nom provient de sa composition « Ni-Ti » pour « nickel-titane » et « nol » pour Naval Ordnance Laboratory, le labo qui l’a mis au point).
Il y a plusieurs choses à dire sur ce métal, y compris le « comment c’est possible ?! ». N’attendons donc plus !
Les propriétés du Nitinol
Le Nitinol est un alliage de nickel et de titane en proportions variables. Les proportions déterminent la température au-delà de laquelle l’effet « mémoire de forme » intervient. Vous pouvez avoir du fil de Nitinol qui reprend sa forme dès 40 degrés et un autre à 80 degrés, par exemple.
La mémoire de forme n’est pas la seule propriété du Nitinol. Cet alliage est également un métal dit « super-élastique ».
Un fil métallique ordinaire, comme le fer ou le cuivre, peut être légèrement courbé et il reviendra à sa position de repos. C’est ce qu’on appelle l’élasticité : c’est ça qui permet à un ressort de pouvoir s’allonger ou se comprimer.
Si on tire un peu trop sur le ressort cependant, il se déforme de façon permanente. On dit qu’on a dépassé la limite d’élasticité du métal. Les métaux ordinaires peuvent ainsi être tordus et travaillés sans qu’ils ne reprennent leur formes de façon subite.
Les métaux super-élastiques, comme le Nitinol, ont une limite d’élasticité très élevée au-dessus de leur température de mémoire de forme : ils peuvent être tordus de façon extrême, et reprendront leur forme quoi qu’il arrive.
La NASA prévoit d’utiliser des roues en mailles de Nitinol pour leur rover-martien. Il fait très froid sur Mars (−50 °C) et l’usage du caoutchouc est donc impossible. Les rovers actuels utilisent des roues en aluminium, mais ils ne sont pas assez souples et ils s’abîment gravement avec le temps. Avec le Nitinol, tissé comme une cotte de maille, ils espèrent avoir des roues increvables, souples et plus durables.
Une autre application du Nitinol (liée aux deux précédentes) est sa capacité de traction. J’explique.
Quand on tire sur un élastique, il s’allonge. Si on le relâche, il reprend sa taille initiale. C’est donc de l’élasticité sur une seule dimension (une ligne). Le Nitinol est un métal qui peut s’allonger jusqu’à 30 % quand on tire très fortement dessus.
Le truc c’est que si on le chauffe ensuite, il peut se rétracter. Si on accroche des masses à chaque extrémité du fil, alors la rétractation du fil permet de déplacer les masses. Un simple fil peut ainsi soulever plusieurs kilos quand on le réchauffe.
D’où vient la mémoire de forme ?
La mémoire de forme du Nitinol est possible grâce à la structure et l’orientation des liaisons atomiques. La matière est formée d’atomes liés entre eux par des liaisons faites d’électrons et ces liaisons peuvent être déformées.
Pour un métal ordinaire, quand on le pli, il garde sa nouvelle forme mais ne reviendra jamais à l’ancienne. La raison à ça est que les liaisons atomiques sont modifiées : les liaisons se brisent et de nouvelles se recréent. Les nouvelles maintiennent alors le métal d’une façon stable et solide dans sa nouvelle forme.
Pour d’autres matériaux tels que le verre ou la roche (les matériaux cassants en fait), les liaisons atomiques ne peuvent pas se réorganiser comme dans les métaux : si on tire trop sur le matériau, les liaisons se brisent et le matériau casse.
Dans le cas du Nitinol, les liaisons sont elles-mêmes modifiées, mais chaque atome reste toujours lié aux mêmes autres atomes. Il n’y a donc pas de modification de la structure des liaisons et l’information « quel atome est lié avec quel autre » n’est pas perdue.
J’ai résumé ça ici :
Dans le cas des métaux, il faut savoir qu’ils se comportent tous comme le Nitinol quand la déformation est très faible. C’est ça permet à un ressort de fonctionner et de reprendre sa forme. Si on déforme le ressort au delà de sa limite d’élasticité, alors la déformation est trop importante et il ne reprendra plus sa forme initiale.
Dans le cas du Nitinol, la limite d’élasticité est très élevée : les liaisons cristallines peuvent se déformer de façon très importante. En fait, c’est toute la structure cristalline du Nitinol qui est propice à une déformation : les liaisons sont naturellement obliques. Et selon le sens d’obliquité, le métal peut se déformer.
On observe donc plutôt quelque chose comme ceci :
Sur ce schéma, la déformation peut aussi bien se faire d’un côté que de l’autre. Mais le plus intéressant est de voir que cette déformation est rémanente… jusqu’à ce qu’on chauffe le métal !
Quand on chauffe le Nitinol déformé, par exemple en le trempant dans un verre d’eau, alors il y a une transition dans l’autre sens : le métal reprend sa structure initiale où les mailles cristallines sont orientées alternativement à gauche et à droite.
Le Nitinol a donc ceci en plus par rapport aux autres métaux que leur déformation est réversible sous l’effet d’une température modérée (inférieure à ~100 °C généralement, en tout cas loin de leur température de fusion).
Dans le cas d’un Nitinol dont la température de transformation est inférieure à la température ambiante (par exemple du Nitinol qui reprend sa forme à −50 °C), c’est donc comme si toute déformation était constamment inversée : si on tord le métal, il reprendra sa forme initiale dès qu’on le lâche. Il est donc totalement élastique : on peut le tordre comme on veut, il reprendra toujours sa forme initiale.
L’avantage du Nitinol, par rapport à d’autres matériaux élastiques comme la gomme ou le caoutchouc, c’est qu’il reste un métal : il est donc plus solide, conducteur de courant et d’électricité. De plus, il est produit à partir de métaux très communs (nickel et titane) et pas de dérivés pétroliers ou de résine d’arbres.
Une astuce est de le faire traverser par un courant électrique : c’est alors le courant électrique qui le réchauffe et lui permet de reprendre sa forme. Le courant permet alors de modifier la forme du métal. C’est donc comme un muscle, dont la déformation est obtenue par une impulsion de nature électrique.
Quelques applications
Le Nitinol est davantage utilisé pour ses propriétés super-élastiques : on utilise donc surtout du Nitinol dont la température de « reprise de forme » est très basse. Ainsi, j’en ai parlé, la Nasa envisage d’utiliser des roues en maillage de Nitinol sur le sol martien.
En médecine, on utilise des petites tubes en mailles de Nitinol pour maintenir des veines ou des artères ouvertes. Le métal peut être placé dans une petite seringue, et le tube se déploie quand on l’injecte, grâce à la température interne du corps humain.
En dentisterie, tous ceux qui ont déjà eu un appareil dentaire (les bagues là, avec un fil qui relie chaque dent) ont probablement eu un fil à base de Nitinol à mémoire de forme. C’est aussi pour ça que manger quelque chose de froid permet de soulager un peu la traction exercée par l’appareil sur les dents : le métal passe alors dans une phase où il tire moins sur la dentition.
Enfin, outre l’effet « amusant » des échantillons de Nitinol que l’on utilise pour amuser la galerie en soirée avec un simple verre d’eau chaude, on peut créer d’autres jouets avec. Par exemple, le moteur au Nitinol :
Il existe également d’autres moteurs à base de Nitinol, à une échelle industrielle, pouvant produire jusqu’à 5 MW juste avec de l’eau chaude. Ces dispositifs pourraient utiliser de la chaleur autrement perdue dans la nature avec un régénérateur, à la manière d’un moteur de Stirling.
Conclusion
Encore une fois, un phénomène macroscopique est expliqué par la structure cristalline des matériaux. En l’occurrence, le Nitinol peut être tordu ou déformé comme n’importe quel métal. Ce sont alors les liaisons atomiques qui se déforment sans se défaire. Contrairement à un métal comme le fer ou l’aluminium, où les atomes modifient leurs liaisons, chaque atome du Nitinol reste lié aux mêmes atomes. Quand on réchauffe le Nitinol, les liaisons atomes sont « réinitialisées » et le métal revient à la forme initiale.
Si on ne peut pas modeler du Nitinol car il reviendra à sa forme première dès qu’on le chauffe, sa forme initiale est donnée exclusivement en le fondant ou en le chauffant très fortement, autour de 500~1 000 °C. En faisant ça, le Nitinol se comporte comme tout autre métal : on peut le tordre et il gardera sa forme. Et c’est cette forme, donnée à ce moment-là, qui deviendra sa forme « mémorisée » une fois refroidie.
Enfin, sachez que le Nitinol n’est pas le seul métal à mémoire de forme. Il en existe d’autres, comme l’alliage or-cadmium (très cher et toxique) ou plus communément le laiton (mais à la mémoire de forme loin d’être aussi prononcée).
On trouve des échantillons de Nitinol un peu partout en ligne et pour pas cher : Amazon, eBay ou sur Nexmetal, un site spécialisé, que ce soit sous la forme d’un simple fil ou d’un trombone, un cœur, un ressort (pour le petit jouet de la vidéo, voyez ici ou là)… Vous pouvez même choisir la température de transition (je recommande ~40 °C ou 50 °C : un verre d’eau tiède suffira alors), la longueur, la forme…