On entend de plus en plus parler de l’informatique quantique sans toujours avoir des explications simples qui vont avec. J’espère que cet article saura répondre à vos questions.
Quelques limites des ordinateurs actuels
Les systèmes informatiques actuels utilisent tous le bit comme support de données. Un bit est soit un zéro 0 soit un un 1. Ces bits sont à la base de tout : fichiers, réseau, calculs… Ils se trouvent dans la mémoire, sur le disque dur et sont traités par le processeur.
Les bits 1 et 0 correspondent à des tensions électriques : respectivement une tension et une absence de tension. L’ordinateur utilise donc des tensions électriques appliquées à des puces électroniques pour fonctionner. Et il fait ça très vite : il peut réaliser plusieurs milliards d’opérations par seconde pour calculer, trier, ordonner de l’information, en faisant varier très rapidement la tension aux bornes de ses composants.
Malgré ça, pour certaines applications, plusieurs milliards d’opérations par seconde ne suffisent plus. Il faut donc un moyen de réaliser un grand nombre de calculs encore plus vite.
Comment ?
C’est pour ces calculs, trop compliquées à opérer pour l’ordinateur actuel que l’ordinateur quantique devient intéressant : pour certaines applications en effet il pourrait devenir bon. Vraiment très bon.
Mais qu’est-ce l’informatique quantique ? Comment ça marche ?
L’expérience des photons « coupés » en deux
Commençons par expliquer brièvement ce qui rend un ordinateur quantique si particulier : la physique quantique sous-jacente.
La physique quantique est une branche de la physique née au début du XXe siècle et qui décrit le domaine du tout petit (comportement des particules élémentaires, essentiellement).
Elle a été mise au point car certains phénomènes n’étaient plus descriptibles par la physique normale (dite « physique classique »). On s’est alors vite rendu compte que le monde des particules est totalement différent du monde macroscopique : les particules obéissent à des lois pour le moins étranges : téléportation, indétermination, annihilation de deux particules, superposition quantique…
Cette physique quantique expliquait merveilleusement bien tout ce que l’on observait, à tel point qu’elle constitue aujourd’hui une des bases les plus solides de la physique.
L’informatique quantique utilise à notre avantage certains de ces phénomènes étranges, comme par exemple l’intrication quantique : soit le fait qu’une particule puisse avoir deux états quantiques simultanément, par exemple, être ici et ailleurs à la fois.
Voici un exemple. Prenez un faisceau laser que vous projetez sur un mur : vous voyez un point.
Maintenant, placez un cheveu ou un fil très fin sur la trajectoire du faisceau. Vous ne voyez alors plus un point, mais une bande centrale et plein de petites tâches autour. Ce sont des figures d’interférences :
Ces figures d’interférences sont là parce que le faisceau est coupé en deux par le cheveu. C’est alors comme si on avait deux faisceaux distincts derrière le cheveu. De façon simpliste, ces deux ondes lumineuses vont agir l’une sur l’autre et former ces taches de lumière : là où il y a une tâche de lumière, c’est là où les ondes s’additionnent (interférence constructive) et là où il y a une bande sombre, c’est là où les ondes s’annulent (interférence destructive).
Ces figures sont la conséquence de la coupure de l’onde en deux par le cheveu. Si on retire le cheveu, les taches disparaissent et l’on voir à nouveau un point unique.
Maintenant, diminuons l’intensité de la lumière. Diminuons là au point où le pointeur laser envoie les photons un par un.
À priori, on imagine qu’un photon devra :
- soit passer à gauche du cheveu
- soit passer à droite du cheveu
En pratique, on observe plutôt quelque chose comme ceci :
La première image est prise après l’envoi de quelques photons : on y voit quelques point d’impact. La dernière est prise après une longue durée d’exposition, avec beaucoup de point d’impacts.
On peut y voir les mêmes franges d’interférence qu’avec un faisceau continu. Ceci signifie qu’il y a des interférences même en envoyant les photons un par un. La conclusion à cela est donc que les photons sont passés des deux côtés du cheveu pour interférer avec lui-même.
Oui, le photon est passé des deux côtés du cheveu en même temps.
On dit que le photon est passé par un état superposé : le photon était à deux localisations à la fois.
Le principe de superposition quantiques
Ceci est un des principes de base de la physique quantique, et c’est elle qui est à la base de l’informatique quantique.
L’exemple le plus courant est celui du chat de Schrödinger.
Je vous laisse lire l’article du chat, voici plutôt quelque chose reprenant l’expérience des photons.
Le fait que les photons vus précédemment soient passés des deux côtés du cheveux à la fois s’explique par le fait que le photon n’a pas une position définie : tant qu’on ne l’a pas rigoureusement localisé il est étalé dans l’espace : on peut donc le trouver à plusieurs endroits à la fois.
Ce n’est qu’à partir du moment où on mesure la position de notre particule qu’elle est ici et pas ailleurs.
Du coup, si on mettait un détecteur de chaque côté de notre cheveu, cette superposition serait levée : un photon serait soit détecté à droite soit à gauche, mais pas aux deux endroits à la fois. Le simple fait de mesurer la présence du photon suffit donc à déterminer l’état réel du photon.
C’est comme si vous êtes perdu sur une route entre Paris et Berlin : vous savez que vous êtes entre les deux villes, mais pas où. Vous pouvez donc aussi bien être près de Berlin que près de Paris. Ce n’est que quand vous aurez allumé votre GPS que vous saurez exactement où vous êtes.
Voyons maintenant comment utiliser le principe de superposition pour faire tourner un ordinateur et faire des calculs !
Un exemple avec une pièce de monnaie
Une pièce posée sur la table est soit côté pile soit côté face. Pile et face sont donc les deux états de la pièce. Il n’y a aucune indétermination : la pièce est sur l’une ou l’autre des deux faces, sans état possible entre les deux.
Ce que l’on peut alors imaginer, c’est « une pièce quantique » se trouvant dans une superposition de ces deux états :
Ce n’est qu’après avoir fait la mesure que la superposition sera supprimée et qu’il sera alors possible de déterminer si vous êtes effectivement tombés sur pile ou sur face.
Revenons à la pièce : vous voulez tirer quelque chose au sort et vous décidez de tirer cela à pile ou face.
Le problème est de savoir si votre pièce est réelle, c’est à dire qu’elle n’est pas truquée.
Avec une combinaison de piles et de faces, vous pouvez avoir quatre possibilités de pièces :
- Pile - Face
- Pile - Pile
- Face - Face
- Face - Pile
Et pour savoir si votre pièce est truquée, vous devez faire deux mesures :
- regarder le premier côté de la pièce ;
- regarder le second côté de la pièce.
Si les deux côtés sont identiques, alors la pièce est truquée et si les deux côtés sont différents, alors la pièce n’est pas truquée et vous pouvez l’utiliser pour votre tirage au sort.
Maintenant, prenez votre pièce « quantique » et placez-la dans un état superposé. Comme vous le voyez, il est alors simple de savoir si votre pièce est truquée avec seulement une mesure. C’est comme si les deux faces étaient identifiables en même temps :
Avec une pièce quantique, il a suffit d’une seule mesure pour savoir si la pièce est truquée ou pas, alors qu’il nous en fallait deux avec une pièce normale.
On voit donc qu’une opération sur un élément disposant d’un comportement quantique demande moitié moins de mesures. L’opération est deux fois plus rapide !
Bien-sûr, avec cette seule mesure, on ne sait toujours pas quelle côté est pile et quelle côté est face, et il nous faudrait une mesure supplémentaire pour cela, mais si l’on veut juste savoir si la pièce est truquée ou non, alors l’emploi d’une pièce quantique est bien plus rapide.
Les QuBit
On vient de voir qu’appliquer certaines opérations sur un objet disposant un comportement quantique avec deux états superposés est deux fois plus rapide.
C’est ici que l’informatique quantique devient intéressante : plutôt que de traiter des bits ayant deux états (soit 1, soit 0), on peut traiter par exemple deux bits à la fois avec un « bit quantique ».
Ce bit quantique, on lui donne le nom de QuBit, par contraction de quantum bit.
Imaginez alors que vous devez traiter une opération avec deux bits. Vous aurez alors quatre états possibles : 00, 01, 11 ou 10. Ces quatre états pourront alors être traités en même temps si on travaille avec des qubits, alors qu’il faudrait quatre opérations avec un ordinateur normal.
Si vous aviez 10 bits (comme par exemple : 1010111001) vous avez 2¹⁰, soit 1024 possibilités différentes et un ordinateur quantique pourrait toutes les traiter en même temps. Un ordinateur quantique serait donc 1024 fois plus rapide pour traiter l’information associée à ces 10 qubits.
Or, il pourrait bien être possible d’avoir des ordinateurs avec une architecture de 50, 100, 300 qubits, et donc d’avoir un ordinateur quantique 2⁵⁰, $2¹⁰⁰ et 2³⁰⁰ fois plus rapide qu’un ordinateur normal !
Le facteur de rapidité correspondant à 2³⁰⁰, est plus grand que le nombre d’atomes dans l’univers. C’est un nombre immense et un ordinateur quantique de ce calibre serait donc immensément plus rapide qu’un ordinateur normal.
Vous comprendrez donc que l’utilisation de qubits avec beaucoup d’états superposés dans un ordinateur quantique devient alors très intéressante.
Ce qui aurait prit plusieurs fois l’âge de l’univers à tous les systèmes informatiques actuels réunis prendrait au plus quelques minutes pour un ordinateur quantique.
Où en sommes nous technologiquement ?
Les ordinateurs quantiques existent à très petites échelle depuis quelques années : IBM en a présenté un en 1998, travaillant sur deux qubits.
En 2011, l’université d'Innsbruck (en Autriche) avait mis au point un calculateur quantique de 14 qubits qui avait réussit à factoriser le nombre 21 comme étant le produit de 3 par 7.
Il ne faut pas encore voir les ordinateurs quantiques comme un ordinateur comme celui que vous avez, avec une tour, un écran et des puces électroniques dedans.
Actuellement, un ordinateur quantique peut être une simple molécule refroidie à l’hélium, où chaque qubit correspondrait à un atomes de la molécule, ou un électron de l’atome.
De plus, l’information est transmise non pas avec un fil, mais peut-être transmise avec un photon, par exemple en provenance d’un faisceau laser. Donc effectivement, si vous vous demandiez s’il était possible de faire des opérations avec un molécule et un laser, la réponse est oui.
Mais la construction de calculateurs plus gros qu’une molécule et plus puissants que factoriser 21 est vraiment difficile. En effet, les qubits sont des systèmes très fragiles : il est très délicat de maintenir un qubit avec plusieurs états superposés dans le temps : ils sont rapidement détruits par une interaction avec un autre atome.
De plus, parfois les systèmes quantiques à la base de ces ordinateurs quantiques ont besoins d’être refroidis à des températures proches du zéro absolu, situé à –273,15 °C. Trouver un ordinateur quantique dans le commerce ce n’est donc pas encore pour aujourd’hui.
Et de toute façon, pour une bonne partie des applications des ordinateurs actuels (traitement de texte par exemple), un ordinateur quantique ne présenterait que peu voire pas du tout d’intérêt : la physique quantique interdit par exemple la duplications de qubits, la simple lecture de l’état d’un qubit va lever tous les états de superposition. Si ceci est très pratique pour vérifier qu’une communication n’est pas sur écoute (attaque MITM par un espion) c’est bien plus embêtant pour dupliquer des fichiers…
Les applications seraient avant tout le traitement d’un grand nombre de bits à la fois, comme le font les gros calculateurs dans les centres de recherche ou la génération de grands nombres pour la cryptographie.
Ressources :
- Prof Chris Bishop: The Future of Computers (University of Edinburgh)
- How Does a Quantum Computer Work? (Veritasium)
- Quantum computation: Michelle Simmons at TEDxSydney (TEDxTalks)
- Quantum Cryptography Explained (Physics Girl)