Le régulateur de Watt est un « cas d’école » d’un système auto-asservi.
Voyons ce qu’est un tel système, à quoi il sert et pourquoi on en trouve partout. On verra le régulateur de Watt en particulier.
Un système régulé par une boucle de rétroaction
On parle aussi de système auto-régulé.
Il s’agit d’un dispositif qui prend un paramètre physique en entrée (température, pression, luminosité, nombre de personnes, quantité d’argent…), qui agit en fonction de ce paramètre, mais surtout qui agit sur ce paramètre.
Prenons par exemple une flamme d’une bougie : si l’on apporte plus de cire fondue à la flamme, la flamme grossit : le paramètre « quantité de cire fondue » agit donc sur le paramètre « taille de la flamme ».
Jusque-là rien de bien sorcier. Sauf que si la flamme grossit, elle consomme aussi davantage de combustible. Davantage de cire est aspirée dans la mèche pour être brûlée et le niveau de cire fondue diminue. Or s’il y a moins de cire fondue, la flamme perd en intensité et consomme moins. Désormais, la cire a le temps de fondre, il y en a davantage et la flamme grossit, et ainsi de suite. L’ensemble est un système stable : la flamme et la quantité de cire fondue se stabilisent l’un l’autre :
Le système « flamme » réagit donc à la quantité de cire, mais il agit aussi sur la quantité de cire fondue.
On a ce qu’on appelle une boucle de rétroaction : un paramètre A agit sur un paramètre B, mais ce paramètre B agit, en retour, sur le paramètre A.
Rétroaction négative versus rétroaction positive
Dans l’exemple de notre bougie, le système est stable, car il y a en fait plusieurs boucles de rétraction qui se suivent :
- la taille de la flamme qui joue sur la quantité de cire brûlée et donc sur le combustible disponible
- la quantité de cire en train de fondre, qui agit sur la taille de la flamme.
Les deux sont équilibrés pour une bougie et c’est ce qui permet à la bougie de perdurer longtemps. Mais ce genre de situation n’est pas systématique.
Par exemple, quand on allume le feu dans une cheminée, si la flamme initiale n’est pas suffisante, elle s’éteint par une boucle de rétroaction négative : la flamme est trop petite, trop peu de vapeur est produite, la flamme rétrécie d’autant plus et le tout finit par s’éteindre.
La flamme peut aussi être trop grande si le combustible est vraiment très inflammable : la flamme produit trop de vapeur, donc plus de combustible, donc grossit, donc chauffe plus et produit encore plus de vapeur, et ainsi de suite : c’est une explosion.
Si la quantité de matière inflammable est importante, l’incendie grandit indéfiniment jusqu’à ce que tout soit consumé (après quoi il s’éteint faute de combustible).
Pour le feu, la boucle de rétroaction négative est obtenue par exemple pour les matériaux combustibles mais ininflammables. Certains textiles sont dans ce cas : ils peuvent brûler quand on les jette dans le feu (ils sont combustibles), mais si on essaye d’y mettre le feu, la combustion ne peut pas se maintenir et ça finit par s’éteindre (ils sont ininflammables).
À l’inverse, les matériaux facilement inflammables ou extrêmement inflammable prennent rapidement feu : papier, polyester, essence. Une fois qu’on y met le feu, la combustion prend immédiatement, s’entretient, et s’accentue, et devient un incendie.
Que ce soit des boucles de rétroactions négatives ou positives, les deux se rencontrent un peu partout, aussi bien dans la nature que dans les appareils que l’on conçoit et fabrique. L’idéal est d’avoir un ensemble de boucles qui se stabilisent naturellement.
Le régulateur de Watt
En ingénierie, il est intéressant d’avoir des systèmes qui tendent vers la stabilité. Ceci est même un critère essentiel : l’instabilité est synonyme d’explosion, ou de l’arrêt inopiné d’un appareil, bref, quelque chose à éviter. Une machine doit pouvoir fonctionner de façon stable en continue, sans s’arrêter ni s’emballer.
Ceci est simplifié avec la technologie actuelle et le pilotage informatique, mais à l’époque des premières machines à vapeur par exemple, ce n’était pas aussi acquis. Les machines tournaient avec la pression de l’eau ou de la vapeur. Il serait dommage que la vapeur atteigne des pressions trop grandes voire dangereuses et fasse tout exploser…
Pour palier les risques de surpression, on peut utiliser une soupape avec un bouchon qui saute dès que la pression dépasse un seuil critique. Si ça arrive, le bouchon saute, la vapeur s’échappe et la pression redescend rapidement à des niveaux acceptables. Le bouchon est alors qualifié de « dispositif fusible » car il est détruit ou perdu lorsqu’il s’enclenche.
C’est très utile : la machine dans son ensemble ne risque plus d’exploser. On perd donc seulement un bouchon, un consommable. Ce principe est utilisé un peu partout : des machines agricoles ou industrielles, aux fusibles électriques chez vous.
Seul problème : avec un dispositif fusible, la remise ne marche passe par une intervention humaine, voire un arrêt de la machine. Ce n’est pas l’idéal : on aurait aimé qu’une fois que la pression soit redescendue à une valeur normale, la soupape se referme pour que la machine puisse repartir toute seule.
Heureusement, il existe des solutions, et dans le cas des machines à vapeur, l’une d’elles est le régulateur de Watt (du nom de James Watt).
La particularité de ce régulateur est qu’il est élégant dans son design. Il est entièrement mécanique et fonctionne de façon passive et autonome, agissant précisément et avec l’intensité nécessaire pour réguler la pression à sa valeur nominale.
Dans les faits, il s’agit d’un axe rotatif (mis en rotation constante par la vapeur) sur lequel sont fixées deux bielles. Les bielles sont lestées avec deux boules (voir photo d’en-tête), de façon à ce que quand l’axe se met à tourner, l’effet centrifuge éloigne les boules de l’axe et soulève les bielles. Les bielles sont également reliées au bouchon de la soupape : si les bielles montent, le bouchon aussi.
Le fonctionnement est alors intuitif : si la pression augmente, l’axe rotatif se met à tourner plus vite. L’effet centrifuge soulève les boules qui tirent alors les bielles vers le haut, ce qui soulève la soupape et laisse sortir de la vapeur :
La pression redescendue, l’axe ralentit, les boules redescendent et la soupape se referme progressivement.
La beauté du truc c’est que la régulation est graduelle : si la pression est légèrement trop forte, le régulateur tourne doucement et ne laisse sortir qu’un peu de vapeur. Si la pression est beaucoup trop forte, l’axe tourne plus vite, soulève le bouchon totalement et davantage de vapeur peut s’échapper.
Aujourd’hui, les machines à vapeur ne sont plus trop utilisées, quoi que les centrales de production d’électricité fonctionnent pratiquement toutes avec de l’eau et des turbines.
Le régulateur de Watt pour les machines à vapeur ne sont plus utilisées non plus. Il reste néanmoins un équipement très joliment pensé et très astucieux.
Exemples de situations impliquant une boucle de rétroaction
Les exemples ne manquent pas, et comme j’ai dit, il y en a dans la nature comme dans la technique. En voici quelques-unes.
Le réchauffement climatique est une boucle de rétroaction positive : plus il fait chaud, plus la glace et la neige fondent. Or les glaciers sont blancs et réfléchissent la lumière. En laissant place à l’océan et à la roche plus sombre, l’absorption de chaleur est amplifiée, et donc favorise le réchauffement climatique encore plus. De plus, les glaces renferment des gaz à effets de serre (méthane), ce qui réchauffera encore plus le climat. À terme, on risque d’atteindre un point de non-retour.
Toujours dans le climat, mais inversement, une boucle de rétroaction négative seraient les nuages : plus il fait chaud, plus l’eau s’évapore et plus il y a de nuages. Or les nuages sont blancs et réfléchissent la lumière du Soleil. Plus il y a de nuages, plus il y a de chaleur réfléchie vers l’espace et donc plus il fait froid. Les nuages sont un des moyens qui permet au climat de se réguler et de tendre vers la stabilité.
Les étoiles sont aussi un système stable entre plusieurs forces agissant l’une seule l’autre sous la forme d’une boucle.
Au sein d’une étoile, la gravité pousse la matière à s’accumuler sur elle-même. Or, si la matière est trop compressée, les atomes fusionnent et libèrent de l’énergie thermique. Cette chaleur repousse les atomes et neutralise cette compression. Si la fusion nucléaire stellaire est trop importante, l’étoile gonfle et les atomes s’éloignent les un des autres. Il y a moins d’interaction entre les atomes, moins de fusion, et moins d’énergie thermique. L’effondrement gravitationnel reprend temporairement le dessus, ce qui comprime l’étoile, relance la fusion, et ainsi de suite. La séquence principale d’une étoile constitue un tel équilibre.
Les centrales nucléaires (article dédié) utilisent de nombreuses boucles de rétroaction positives et négatives, naturelles et artificielles pour se maintenir dans un état qui n’explose pas.
L’une d’elle est le « coefficient de vide négatif ». Dans les réacteurs à eau pressurisée (REP), de l’eau passe entre les barres de combustible pour lui soutirer de la chaleur. Or, l’eau est un modérateur de neutrons : il favorise la fission et donc la production d’énergie. En présence d’eau liquide, la réaction s’intensifie.
Maintenant, si la réaction s’intensifie, l’eau chauffe et sa densité diminue. Il y a donc moins d’eau entre les barres de combustible et le réacteur ralentit. Ceci diminue la température, remonte la densité de l’eau et réactive le réacteur. C’est une boucle de rétroaction négative qui tend donc à se stabiliser naturellement, ce qui est une bonne chose.
D’autres technologies de réacteurs existent, avec d’autres modérateurs. Certains ont des coefficients de vide positifs, signifiant que si le réacteur devient trop chaud, la réactivité augmente, chauffe encore plus, etc. et explose. C’est un tel cas de figure qui s’est produit à Tchernobyl. Les réacteurs nucléaires soviétiques ont depuis été modifiés pour empêcher qu’une telle catastrophe se reproduise.