Une capture d’écran de Google Maps.
Question : pour faire rouler une balle, sans frottements, sur une rampe, quelle forme doit avoir cette rampe pour que la descente par gravité soit la plus rapide ?

quelle courbe est le plus rapide ?
On aurait tendance à dire que la rampe doit prendre une forme de ligne droite : c’est le chemin le plus court, donc intuitivement aussi le plus rapide, non ?.

Et bien non !
Un contre-exemple assez simple permet de le montrer. Regardons la trajectoire que je propose, en rouge ci-dessous :

la ligne droite n’est pas la plus rapide
Dans le cas de la ligne droite (en noir), la vitesse est acquise progressivement. En effet, l’énergie cinétique est obtenue par conversion de l’énergie potentielle de position grâce à la force de gravité. La vitesse initiale $V_i$ est nulle. La vitesse maximale $V_{\text{max}}$ est atteinte seulement à la fin. La vitesse moyenne sur le trajet est donc $\frac{V_{\text{max}}}{2}$ : la moitié de la vitesse maximale. Ce n’est pas mal, mais il y a mieux.

Pour ma solution (courbe rouge), le raisonnement est le suivant.
Dès lors qu’on néglige les frottements, si le ballon est sur le plat, il conserve sa vitesse tant qu’il ne rencontre pas d’obstacles. L’idéal selon moi est donc d’acquérir toute la vitesse au départ : le trajet en entier (ou presque) est donc parcouru à la vitesse $V_{\text{max}}$. La vitesse moyenne est alors (pratiquement) égale à $V_{\text{max}}$ et on arrive à destination deux fois plus vite.

On peut pousser l’astuce encore plus loin en descendant la courbe à une altitude plus basse que le point d’arrivée : on parcourt alors l’essentiel du trajet à grande vitesse et ont finit par remonter à la fin.
Cela fonctionnerait, mais il y a une limite. En effet, en plus de la durée du trajet, il faut tenir compte de la durée de descente et de remontée : durant ces phases, on n’avance pas. Si on choisit de tomber vraiment très bas pour avoir vraiment beaucoup de vitesse, il arrivera à un moment où la phase de chute prendra plus de temps que le trajet entier sur la ligne droite !

Il y a nécessité de trouver un compromis.
Il nous faut une courbe permettant de descendre assez vite pour prendre de la vitesse tout en avançant dans la direction du point d’arrivée.

Ce problème est un exercice mathématique célèbre appelé problème de la courbe brachistochrone (du grec brakhistos, « le plus court » et chronos, « temps »).

Le problème a été étudié dès le XVIIe siècle par Jean Bernoulli, son frère Jacques (les Bernoulli étaient une grande famille de scientifiques) et même Isaac Newton.

La solution de Jean Bernoulli (la voir sur Wikipédia) est une courbe bien particulière : une cycloïde.

La cycloïde est une courbe qui représente le trajet d’une valve de roue de vélo (attention, ne vous y méprenez pas : ce n’est pas un arc de cercle) :

une cycloïde
La courbe de cycloïde utilisée pour notre problème passe donc par le point d’arrivée et le point de départ. Le rayon de la cycloïde est déterminé à partir de la distance entre les deux points :

cycloïde et ballon
Il y a une infinité de possibilités de faire rouler le ballon entre le point de départ et d’arrivée, mais celle qui permet d’aller le plus rapidement est l’arc de cycloïde.
Avec une animation :

i
(source)

Dans la réalité, il faut bien-sûr tenir en compte des frottements (du ballon sur la route, résistance de l’air…) et ça devient un peu compliqué, mais en principe, la forme générale de la courbe est la même. C’est dans tous les cas plus proche d’une cycloïde que de toute autre courbe.

Conclusions

Je pense qu’il y a deux leçons à tirer de tout ça.

Premièrement, celle écrite dans le titre : le chemin le plus court n’est pas toujours le chemin le plus rapide.
C’est tout bête, mais cette notion (j’y reviendrai dans d’autres articles) devient très intéressante quand on utilise la relativité d’Einstein où l’espace et le temps ne forment plus qu’un : l’espace-temps. On se retrouve alors à discuter de choses profondes telles que : « plus on va se déplace vite dans l’espace, plus on se déplace lentement dans le temps ».

Et deuxièmement, on le voit sur la cycloïde : une partie de la courbe est située en dessous du point d’arrivé : la balle est descendue plus bas qu’elle ne devrait, simplement pour gagner de la vitesse et avoir assez d’élan pour pouvoir remonter rapidement. Je le vois comme un rappel qu’il faut parfois accepter de descendre un peu pour pouvoir remonter de plus belle.
Cette leçon est prouvée ici avec un ballon qui descend une pente, mais elle est applicable à bien des choses. Je vous laisse méditer par vous même.

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5 commentaires

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Tux4All écrit :
Bonjour,
Et quand est-il des courbes rouge, verte et violette ?
Quelle serait la gagnante ?
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Le Hollandais Volant écrit :
@Tux4All : ça c’était simplement pour illustrer.
Mais si tu veux une réponse, j’exclurais directement la courbe rouge : on perd trop de temps à remonter la pente pour le redescendre ensuite. Cette partie de la courbe n’a aucun intérêt.

Ensuite, celle qui s’approche le plus d’une courbe de cycloïde c’est la verte, donc je miserais sur elle, même si ça se jouerait à mon avis de très peu (la violette n’est pas bien éloignée non plus).
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man-x86 écrit :
C'est assez intuitif en prenant des virages à vélo ou en voiture.
Un faible rayon de courbure impose une faible vitesse pour ne pas avoir une accélération latérale trop élevée (risque de dérapage ou de chûte).

Pour une accélération latérale de 5m/s², on peut prendre un virage de 20m de rayon à 10m/s (36km/h), ce qui prendra 6.3s (pour 180°) ou un virage de 10m de rayon à 7.07m/s (25km/h), ce qui prendra 4.4s (mais on perd potentiellement plus de temps à freiner avant de tourner, puis a accélérer ensuite).

C'est là qu'on voit l'intérêt des clothoïdes/splines/courbes de Bézier utilisées pour les trajectoires des routes et des voies ferrées.
L'accélération latérale est continue, et donc ne fait pas de choc (typiquement quand un train passe sur un aiguillage), contrairement à des lignes droites avec des angles (même la vitesse n'est pas continue), ou des lignes droites reliées par des cercles (seule la vitesse est continue).
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Charpy écrit :
Merci pour ce bon article. Ça m'a poussé à m'interroger sur les rampes de skateboard / half-pipe de snowboard, mais après quelques recherches sur des photos, aucune rampe ne semble en cycloide, ils font plutôt des arcs de cercles.
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Le Hollandais Volant écrit :
@Charpy : probablement parce que le but recherché n’est pas d’arriver le plus vite en bas.
Je dirais même exactement le contraire : ont veut acquérir le plus de vitesse possible tout en restant le plus longtemps sur le skate-park, de façon à avoir le temps de faire des figures possibles (au sol) ou pouvoir avoir le temps de se donner de la vitesse avec les pieds.

Tu peux aussi regarder du côté de la courbe tautochrone (qui est également cycloïdale).
C’est une courbe sur laquelle la durée de descente est indépendante du point de départ. Ainsi, si on lâche un skateboard d’en haut, du milieu, ou de pratiquement en bas, ils arriveront tous en même temps en bas (celle lâché d’en haut ira plus vite, mais n’arrivera pas avant les autres : sa vitesse plus grande compensant exactement le chemin qu’il a parcourir en plus).
C’est peut-être à mon avis celle là qui est utilisé de façon préférable dans les skatepark, car elle pourrait éviter certaines collisions.

Enfin, il y a aussi une courbe où c’est l’accélération subie qui est constante. Ainsi, à vitesse constante, il n’y a pas une partie de la courbe qui procure une poussée (en terme de « g » subis) plus forte qu’une autre. C’est la courbe de la spirale d’Euler, dont j’ai parlé récemment.
Je ne pense pas qu’elle soit utilisé dans les skate-park, car justement on souhaite avoir des sensations fortes (et non les diminuer), mais ça aurait pu être utilisé, selon les sensations désirées.


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