En 2018, la 26ᵉ Conférence générale des poids et mesure (CGPM) a décidé de poser une nouvelle définition du kilogramme. Cette unité était alors la dernière des unités de base à encore être définie à partir d’un artefact matériel — la masse d’un bloc de platine stocké à Paris — et non une constante universelle de la nature. D’autres unités furent également redéfinis, comme le kelvin ou l’ampère.
Depuis 2018, donc on a un système d’unités cohérent, sans artefact matériel périssable ou fragile. Ainsi, le BIPM, ayant rempli sa mission de proposer un système d’unités complet et inaltérable, a été dissout et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Non ? Non.
Bien-sûr, tout ne s’est pas arrêté, et en 2022, soit quatre ans après, s’est tenu la 27ᵉ réunion de la CGPM. Divers nouvelles propositions ont été faites et validées, avec notamment l’ajout de quatre nouveaux préfixes : quetta, ronna, ronto, quecta.
Une autre mesure importantes est d’avoir lancé le projet d’une éventuelle redéfinition de la seconde. Pourquoi ?
Pourquoi refaire ce qui a déjà été fait depuis 1960, à savoir disposer d’une définition précise de la seconde ?
Histoire de la seconde
L’histoire des unités de mesure est passionnante. Aussi, la recherche d’un système d’unités commun à tout le monde ne date pas d’hier. Déjà avant le Moyen Âge, on cherchait à unifier les moyens d’échanges commerciaux entre les régions et les royaumes, qui avaient tous leurs propres étalons de longueur (pied, pouce, yard, aune, coudée, verge…) ou de poids (livre, livre sterling, once, quintal, stone…). Aussi, sans un système de vérification derrière, les marchants peu scrupuleux n’hésitaient pas à trafiquer les masses marquées ou les balances à leur avantage, provoquant là également des dérives et des conflits.
Le système métrique, né de la révolution française et adopté partout dans le monde aujourd’hui (ou presque) permit de mettre fin à ces pratiques, en tout cas de poser un cadre fixe et légal à la métrologie internationale.
De façon intéressante, l’unité de la mesure du temps, la seconde, n’avait pas ce problème. Il faut croire que la division en vingt-quatre d’une journée date d’une époque tellement lointaine, à savoir l’Égypte Antique, que le monde entier en a hérité. La division en 24 heures de la journée, puis de chaque heure en 60 minute et chaque minute en 60 secondes se retrouve partout et a demeuré jusqu’à nous. Et même si les révolutionnaires français ont tenté de modifier ça dans le but de passer à des journées de 10 heures et des heures de 100 minutes, cette idée-là n’a jamais prise et fut rapidement abandonné.
Maintenant, avoir une seconde définie à partir d’une fraction de 1/24 × 1/60 × 1/60 de la rotation de la Terre est bien joli, mais c’est sans compter que nos instruments de mesures sont devenus de plus en plus sensibles. À un point que l’on a fini par constater que la rotation terrestre elle-même n’avait pas grand-chose de régulier ! Autrement dit, l’on avait une définition de la seconde qui variait d’année en année.
Ceci était inacceptable. La solution mis en place alors : définir la seconde comme une fraction d’une année bien précise, l’année 1900 et aucune autre. Ceci fut la définition de la seconde entre 1956 et 1967. Puis, elle fut changée à nouveau parce qu’on avait beaucoup mieux. Depuis 1967, la définition de la seconde fait intervenir des périodes d’oscillation de radiations émises par des atomes et mesurées avec l’aide d’horloges atomiques.
Une seconde est désormais le temps mis pour qu’une radiation émise par une transition hyperfine de l’atome de césium 133 à l’état fondamental oscille 9 192 631 770 fois.
Les horloges atomiques permettent de mesurer les durées de façon exacte jusqu’à la 14ᵉ décimale, ce qui fait de cette unité celle qui est la mieux définie parmi toutes les unités du système international.
Pourquoi changer la seconde ?
Avec la définition précédente, on pourrait penser qu’on a enfin une définition stable et définitive de la seconde. Sauf que ce n’est pas si simple.
La mise en œuvre de cette définition fait intervenir un appareil, à savoir une horloge atomique dont le fonctionnement (décrit dans mon article sur l’horloge atomique) peut être résumé ici.
Tout d’abord, il faut savoir que les atomes et leurs électrons ont une fréquence de vibration propre. Un certain nombre d’oscillations de ces vibrations correspond à un temps d’une seconde. Problème : comment mesurer ces vibrations ? Comment les compter ?
Tout d’abord, on a décidé qu’une seconde correspondait à 9 192 631 770 oscillations de la lumière émise par le césium 133. Cette durée a été estimée à partir de la définition précédente, puis on a décidé que ça serait la nouvelle définition. Maintenant, comment mesurer 9 192 631 770 oscillations ?
La solution est d’utiliser une horloge atomique. Il s’agit d’envoyer un rayonnement micro-onde sur des atomes de césium 133. Si ce rayonnement a une fréquence approximative de la fréquence de vibration du césium, alors les atomes entrent en résonance et il passe dans un état excité.
L’idée est donc, une fois qu’on envoie le rayonnement micro-onde sur les atomes, de compter le nombre d’atomes dans leur état excité. En faisant varier la fréquence du rayonnement micro-onde, on fait varier la proportion d’atomes excités. Il suffit donc de trouver le rayonnement micro-onde qui excite le mieux les atomes. Une fois qu’on a trouvé la bonne fréquence, il suffit de dire que cela correspond à 9 192 631 770 hertz, car c’est ce qu’on a défini comme étant « une seconde ».
Ensuite, on divise la fréquence de ce rayonnement par 9 192 631 770, et on obtient un compteur de 1 Hz, soit une oscillation par seconde, et nous voilà avec notre horloge.
Maintenant pourquoi ceci n’est pas infiniment précis ? Tout simplement parce que notre machine à micro-ondes n’est elle-même pas infiniment précise ! La machine affiche bien 9 192 631 770 Hz, mais qui sait si l’on est plutôt à 9 192 631 770,3 Hz ou plutôt à 9 192 631 769,8 Hz ?
Oui, la différence est minime — on parle d’une résolution en picosecondes — mais en métrologie, cette différence compte. Aussi, avec la technologie récente, on sait mettre en pratique des fréquences dont la résolution est plus fine que ça d’un facteur 100 environ. Autrement dit, on pensait avoir le chronomètre le plus précis du monde, mais aujourd’hui on en fait un 100 fois plus précis ! Dans ces conditions-là, c’est bien ce nouveau chronomètre qu’il faut utiliser pour mesurer le temps universel utilisé par tout le monde, non ?
Cette conclusion est également celle à laquelle la BIPM est parvenue, et lors de la 27ᵉ réunion de la GCPM, a ouvert la voie pour « la future redéfinition de la seconde ».
Quelle importance dans le système métrique ?
On peut penser que redéfinir une unité, de temps en temps, parce qu’on a inventé un dispositif plus fiable et plus exact que le précédent est quelque chose de normal. Et ça l’est. Le truc c’est que dans le cas de la seconde en particulier, cette redéfinition est d’autant plus importante.
Déjà, je l’ai dit : la seconde est déjà l’unité la plus précisément définie. Descendre encore plus bas relève donc en soi d’un exploit. Mais ce n’est pas tout : modifier la seconde a des conséquences sur toutes les autres unités !
En effet, bien que l’on parle ici d’unités de base, rien n’empêche leur définition de les lier entre-elles. Ainsi, la définition du mètre fait intervenir la seconde : le mètre est le trajet de la lumière durant une fraction 1/299 792 458 seconde. L’ampère, quant à lui, correspond à une quantité de charge qui traverse un fil électrique… durant une seconde également !
De la même manière, depuis la redéfinition en 2018 du kilogramme, de l’ampère et du kelvin, toutes les unités (mise à part la mole) dépendent de la seconde.
Autrement dit, redéfinir la seconde aura une implication sur les autres unités.
Toutes les unités sont aujourd’hui définies à partir de définitions de constantes physiques : le mètre dépend de la vitesse de la lumière, le kilogramme dépend de la constante de Planck, etc. Si ces constantes sont numériquement exactes, il faut tout de même utiliser un appareil de mesure pour retrouver nos unités. C’est là qu’intervient une incertitude de mesure.
Ainsi, définir la seconde avec une horloge atomique au césium nous la donne avec une précision de 10⁻¹⁶ près. Le kilogramme, lui est défini à partir de la constante de Planck et sa mesure se fait avec une précision de 10⁻⁸ environ. Vu que le kilogramme dépend de la seconde, les incertitudes se combinent. Si maintenant l’incertitude dans la mesure de la seconde diminue, grâce à une meilleure sensibilité de la mesure, alors l’incertitude dans la mesure du kilogramme s’en trouve également améliorée.
Vu que toutes les unités dépendent de la seconde, ce sont donc toutes les mesures des unités qui pourraient en bénéficier ; ou en tout cas cela ne pourra pas nuire à leur mesure, vu que la seconde est déjà définie avec une précision beaucoup plus importante.
À qui cela va profiter ? Quel intérêt ?
Avoir des unités toujours plus précises ne peut pas nuire, déjà.
Ensuite, le fait d’avoir des horloges capables de nous donner l’heure avec une résolution allant jusqu’à la nanoseconde est utile dans la vie courante : tous les ordinateurs actuels fonctionnent à cette échelle. Sans ceci, ces derniers ne fonctionneraient pas. Les télécoms, ou encore le système GPS, eux, ont besoin de précision supplémentaire, donnée par des horloges atomiques.
Maintenant, arriver à mesurer des intervalles de temps encore plus fins permettra de déceler des variations de distance plus fine également (le mètre dépend de la seconde, je le rappelle). Ceci pourrait servir par exemple dans la mesure des ondes gravitationnelles en provenance de l’espace. Rien pour la vie courante, mais la recherche fondamentale — qui elle, au sens large, a des implications dans la vie courante — s’en trouvera améliorée.
Un autre exemple peut-être des mesures plus précises dans les champs de pesanteur terrestre : la sensibilité des horloges atomiques optique est telle qu’on détecte les effets relativistes quand on soulève l’horloge d’un centimètre, par exemple.
Avec une telle sensibilité, on peut espérer détecter des variations dans la structure interne de la Terre : mouvement des plaques continentales, typiquement. Il n’y a qu’un pas pour dire que ça servira pour, éventuellement, prédire les séismes ou les éruptions volcaniques.