Bien que ce ne soit pas nécessaire pour comprendre cet article, je vous en conseille la lecture si le sujet vous intéresse :
- Pourquoi la lumière va moins vite dans l’eau ou le verre ? (le présent article)
- Pourquoi la lumière se propage en ligne droite ?
- Pourquoi la vitesse de la lumière est-elle ce qu’elle est ?
- Comment fonctionne un miroir ?
- Pourquoi la direction de la lumière change-t-elle quand elle pénètre dans l’eau ?
Chaque matériau transparent est caractérisé par son indice de réfraction, noté $n$. La réfraction, c’est le nom donné au phénomène qui ralentir la lumière dans un milieu transparent, comme l’eau, le verre, le diamant, etc. par rapport à sa vitesse dans le vide « c ». L’indice de réfraction $n$ renseigne sur l’importance de ce ralentissement :
Matériau | Indice $n$ | % de $c$ |
---|---|---|
vide | 1 | 100 % |
air | 1,000 293 | 99,97 % |
eau | 1,333 | 75,02 % |
verre | 1,52 | 65,79 % |
diamant | 2,42 | 41,32 % |
La réfraction est aussi à l’origine de l’angle de réfraction observé quand un rayon lumineux passe d’un milieu transparent à un autre, ainsi que des multiples illusions d’optiques bien connues qui proviennent de cette déviation.
Tout ceci ne nous dit pas d’où provient ce ralentissement : est-ce que la lumière rebondit sur les atomes ? les photons vont-ils réellement moins vite ? sont-ils absorbés puis réémis ?
On va voir ça, mais avant commençons par dire ce que la lumière ne fait pas, car des informations fausses circulent à ce sujet.
Dans ce qui suit, je garderai l’exemple du verre, qui est le plus courant.
Ce que la lumière ne fait pas
Déjà, les photons (ou l’onde) ne ralentit pas : la vitesse d’un photon ou d’une onde électromagnétique est toujours égale à la vitesse de la lumière dans le vide : et pour cause, la matière est essentiellement du vide. Le ralentissement manifeste observé provient exclusivement de l’interaction entre la lumière et la matière.
Une explication — fausse — serait que la lumière qui traverse le verre rebondit sur les atomes composant le verre : l’excès de trajet effectué compte alors pour le ralentissement observé.
Ceci n’est pas ce qui se passe : déjà, comment la lumière ferait-elle pour rebondir de telle sorte que le ralentissement est toujours de 34 % dans le verre ? Tous les rayons n’arrivent pas sur le même atome avec le même angle, pourtant tous les rayons sont ralentis de la même manière.
Aussi, ceci ne permet pas d’expliquer pourquoi les rayons traversent le verre en ligne droite, ni pourquoi ils ressortent du verre avec une trajectoire parallèle au rayon incident. Cette hypothèse ne tient donc clairement pas debout.
Une autre idée — fausse également, mais répandue — serait que les rayons, ou les photons, soient absorbés par les atomes puis réémis, avec un petit délai. C’est ce délai qui est responsable du ralentissement. Ceci ne peut pas être vrai non plus : ce n’est pas comme ça que la lumière agit sur les atomes. Ces derniers ne peuvent en effet absorber que des photons d’énergie spécifique bien définie, or on voit bien que toute la lumière traverse les vitres.
D’ailleurs, cette explication ne saurait expliquer pourquoi il existe des gammes spectrales pour lequel le verre est opaque (infrarouge, par exemple), et d’autres où il est bien transparent (lumière visible).
Ces deux explications ne sont pas satisfaisantes et la réalité est bien différente de ça.
Ce que fait la lumière
Vous savez probablement qu’il y a deux façons de voir la lumière : une onde, ou un photon. Les deux sont juste : elles correspondent simplement à deux facettes d’un modèle plus vaste qui est le paquet d’onde. Commencer avec le modèle ondulatoire.
Un mot sur les ondes
Pour commencer, il faut savoir que deux ondes peuvent se superposer, s’additionner. Cela marche pour le son, les vagues, les vibrations diverses : toutes les ondes sont concernées, donc la lumière également.
Quand on somme deux ondes, on obtient une onde « résultante », en orange ci-dessous :
On voit ici que si les deux ondes sont déphasé, alors la somme peut-être moins importante que chacune des ondes prises séparément. C’est normal, car en un point donnée, une des ondes peut être négative, et peut donc se soustraire à l’autre, diminuant la somme.
On note également que la somme est maximale à des points différents des maximums des ondes rouges et bleues : la somme de deux ondes déphasées est également déphasée.
De plus, et je ne le montre pas, mais il n’est pas nécessaire que les deux ondes aient la même longueur d’onde, ni la même amplitude pour qu’on puisse les additionner.
L’interaction de la lumière sur les électrons
La matière, y compris le verre, est composée d’atomes, et les atomes contiennent des électrons. Ces derniers sont des particules chargées, et ils sont donc sensibles aux variations dans le champ électromagnétique.
Lorsque l’onde lumineuse passe à proximité d’un électron, cet électron va se mettre à vibrer au rythme de cette onde.
Or, si l’électron se met à vibrer, on a une charge électrique en mouvement, ce qui va produire un champ électromagnétique à son tour, de même fréquence que l’onde incidente. Ce couplage entre l’onde incidente et l’électron agit comme une sorte de particule spéciale, appelée « pseudo-particule ».
À partir de là, l’onde incidente et l’onde secondaire produite par l’électron vont se superposer, et c’est là que se passent les choses intéressantes :
L’électron est mis en vibration avec un bref délai, à cause de son inertie. L’onde qu’il émet l’est également : on comprend donc que l’onde produite par l’électron est légèrement déphasée — ou retardée — par rapport à l’onde incidente.
Or, comme on l’a vu, quand l’onde initiale et les ondes secondaires des électrons s’additionnent, leur somme est également déphasée/retardée :
On peut donc dire que l’onde incidente et ses « clones » agissent tous ensemble pour former une onde résultante, de la même forme que l’onde incidente, mais retardée.
C’est ce mécanisme qui permet de retarder l’onde lumineuse dans le verre et les autres milieux transparents, sans que l’onde elle-même ne diminue sa vitesse. Un petit retard, équivalent à une fraction de la longueur d’onde se produit à chaque fois que la lumière passe près d’un électron.
En plus de cela, au fur et à mesure que l’onde incidente fait vibrer de nouveaux électrons, elle leur transmet de l’énergie : l’onde incidente est peu à peu absorbée. Les électrons restituent l’énergie sous la forme d’ondes secondaires, dont la somme est, après avoir pénétré dans le verre, seule constituante de la lumière qui s’y trouve :
En réalité, il faut bien voir que l’onde incidente fait vibrer des milliards d’électrons. Chacun d’eux produit une onde qui chacune produit et subissent l’ensemble du processus décrit ici. Au fur et à mesure que la lumière traverse le bloc de verre, ce sont constamment de nouvelles ondes secondaires qui se forme puis sont détruites pour former des ondes nouvelles. La seule chose constante est l’énergie totale de toutes les ondes.
Quand la lumière arrive à l’autre bout du verre, toutes ces ondes sortent du verre, et on appelle « onde transmise » la somme résultante de toutes les ondes produites par les électrons. Cette onde résultante a la même énergie (hors pertes) que l’onde incidente et est retardée par rapport à l’onde incidente.
Sur l’indice de réfraction — Conclusion
Le déphasage des ondes secondaires par rapport à l’onde incidente dépend de la masse des électrons. Or, leur masse dépend de sa vitesse orbitale (on parle d’une masse apparente, par effet relativiste, qui dépend bien de la vitesse), qui elle-même est propre à la structure du matériau et aux atomes du verre.
Selon le matériau et sa structure atomique, le nombre d’électrons rencontrés par la lumière est plus ou moins important : on comprend donc que le retard de l’onde transmise dépend du matériau.
Généralement, le retard est plus important pour les matériaux denses (verre, diamant) que pour les gaz (air), ce qui s’explique très simplement par le nombre d’électrons rencontrés, bien moins nombreux dans un gaz que dans un solide.
L’indice de réfraction quantifie le retard accumulé par la lumière dans un matériau autre que le vide : c’est tout simplement le rapport de la vitesse dans le vide sur la vitesse de la lumière dans un matériau transparent :
$$n_{materiau} = \frac{c_{vide}}{c_{materiau}}$$
Certains matériaux ont une structure cristalline qui varie selon le l’orientation du matériau : on dit que sa structure est anisotrope. Si c’est un verre, la lumière peut traverser ce verre à des vitesses différentes en fonction de l’orientation du verre ou de la polarisation de la lumière. Dans ces cas, on observe un phénomène de biréfringence :
Aussi, la plupart des matériaux retardent davantage les courtes longueurs d’ondes que les longues (encore une fois une histoire de masse apparente et de vitesse de vibration des électrons). Dans ce cas, le matériau est capable de décomposer une lumière en ses différentes longueurs d’ondes.
C’est ce que fait un prisme quand il décompose la lumière blanche, ou encore l’eau de la pluie quand il se forme un arc-en-ciel.
Note de fin
L’explication ci-dessus se base sur la nature ondulatoire de la lumière, dans le modèle de physique classique. Ce n’est pas une explication fausse, mais elle est incomplète.
Dans le modèle de la physique quantique (plus précis que la théorie classique), la lumière est en réalité un « paquet d’onde » (un objet ayant les caractéristiques d’une onde et celles d’une particule). Le paquet d’onde obéit à la physique quantique, en particulier tout ce qui attrait aux probabilités.
Maintenant, vous aurez noté que la lumière, en traversant un bloc de verre, en plus d’être retardée, est déviée :
C’est ça qui donne cet effet de la paille ou de la cuillère brisée dans un verre d’eau, ou encore de jolis effets d’optique.
Cette déviation n’est pas laissée au hasard : la lumière emprunte toujours le chemin le plus rapide pour aller d’un point A à un point B. Elle minimise les trajets dans les milieux où elle est lente et maximise ceux dans les milieux où elle est rapide (c’est le principe de Fermat).
On entend parfois dire que la lumière emprunte tous les chemins possibles en même temps (par superposition d’états quantique) et ne retient que celle qui est la plus rapide. Cette vision — purement quantique et probabiliste du phénomène — revient sensiblement à la même chose que l’explication classique ci-dessus : l’onde résultante ci-dessus n’est-elle pas la somme des ondes secondaires produites par l’ensemble des électrons du verre ? Chaque électron, chaque interaction électron-photon, et donc chaque chemin de la lumière ne contribue-t-elle pas un peu à l’onde transmise en sortie ?
D’autres questions subsistent également : pourquoi la lumière forme un angle de réfraction (dépendant de l’indice de réfraction) au moment de changer de milieu ? Pourquoi la lumière traverse le verre en ligne droite ?
Les réponses deviennent vite longue, et c’est pour cela que j’en ai fait des articles dédiés : les liens sont donnés en haut de l’article.
Enfin, lors de certains phénomènes où la source d’une onde est elle-même en déplacement, les interférences produisent des ondes particulières. C’est le cas par exemple quand un canard ou un bateau avant sur l’eau en produisant des vagues. Ces vagues forment alors un « V » dont l’angle mesure toujours 39°. On parle alors du sillage de Kelvin ; ou encore de l’effet Vavilov-Cerenkov, où des particules allant à une vitesse supraluminique produisent alors des ondes qui ne s’annulent plus totalement et deviennent visibles, donnant une lueur bleutée aux piscines des centrales nucléaires.
Références
- QED : The Strange Theory of Light and Matter, Livre par Richard Feynman, ISBN : 978-0140125054
- Why is light slower in glass? - Sixty Symbols - YouTube
- More rambling on Refraction - Sixty Symbols - YouTube
- What is the mechanism behind the slowdown of light/photons in a transparent medium? - Physics Stack Exchange
- Why does light slow down in water? - Fermilab - YouTube