Mesurer est quelque chose que l’on fait tous les jours.
En cuisine par exemple, tout le monde a déjà pesé 200 g de beurre et 125 g de sucre pour faire une tarte, puis les 210 °C nécessaires pour la cuire dans votre four. Sans oublier le chronographe qui mesure les 45 minutes de cuisson, ni votre compteur électrique qui mesure la puissance consommée par le four.
Thermomètres, mètre ruban, double décimètre, verre à pied gradué, multimètre électrique, balance de cuisine ou le pèse-personne… les appareils de mesure sont partout.
Pourtant, aucun de ces appareils ne donne la valeur exacte de ce qu’il mesure !
Tous ne mesurent que des valeurs approchées de la valeur exacte, mais avec une incertitude (connue).
Ainsi, quand vous mesurez la longueur d’un trait sur une feuille avec une règle, il y a de très fortes chances que la fin du trait tombe entre deux graduations. La règle n’est pas graduée assez précisément pour donner la valeur exacte :
Alors que faire ?
Ce problème est un problème de métrologie : la science de la mesure.
Notion d’incertitude
Dans le cas de la règle ci-dessus, on peut donner une valeur approchée : « 1,8 cm » est valeur approchée. Elle ne représente pas la véritable valeur que l’on cherche à mesurer, mais elle donne une idée et est (en pratique) suffisante pour travailler.
Cette valeur est précisément définie mais n’est pas exacte : ce n’est pas la vraie valeur de la longueur du trait.
On peut aussi ajouter une information sur l’incertitude de mesure : le trait sur le papier mesure 1,85 cm ± 0,05 cm. Dans cette situation, on sait que le trait mesure entre 1,8 et 1,9 cm. Ce n’est pas précis, mais ici, c’est exact : la vraie valeur est dans l’intervalle donné.
Les termes « valeur vraie », « exactitude » sont des termes utilisés en métrologie. La valeur vraie est la valeur de ce qu’on cherche à mesurer. Elle n’est jamais mesurée exactement et donc toujours inconnue. L’exactitude, c’est le fait « d’être dans le vrai » : ainsi, quand je dis que mon trait plus haut mesure 1,85 cm ± 0,05 cm, je suis dans le vrai : cette information est exacte.
Le terme « précision » n’est pas un terme métrologique. Quand on donne une information où l’incertitude est faible, par exemple dire que 1,85 cm ± 0,05 cm est plus précis que « 2 ± 1 cm », on désigne la résolution de l’appareil de mesure, avec la notion de chiffres significatifs.
Dans la vie courante, une mesure sera précise si on dit « 1,864 ± 0,001 cm », mais ce n’est pas un terme métrologique, il faut le savoir.
Dans le cas d’une règle graduée, on augmente la « précision » de la mesure en utilisant une règle dont la graduation est plus petite : la règle a alors une meilleure résolution.
Ceci dit, il ne suffit pas toujours d’avoir un appareil de mesure avec une bonne résolution pour pouvoir mesurer correctement une grandeur : parfois, la mesure d’une grandeur elle-même fausse notre mesure !
Une mesure faussée par la mesure
Un exemple concret : on désire connaître la température d’un verre d’eau. Sa température est supposée être exactement 80 °C, mais on ne la connaît pas et on cherche à la mesurer. On utilise pour cela un thermomètre à mercure supposé parfait : la valeur qu’il affiche est exactement celle qu’il mesure.
On plonge donc le thermomètre dans l’eau et ce dernier finit par afficher 75 °C. Dans la vie courante, on en déduira que l’eau est à 75 °C et on s’arrête là.
Pourtant il y a manifestement une erreur : le thermomètre supposé parfait affiche 75 °C au lieu de 80 °C ! Que s’est-il passé ?
Réponse : le thermomètre était froid !
Un thermomètre à mercure mesure la dilatation du liquide (ici, du mercure) sous l’effet de la température. En mesurant cette dilatation, on obtient une information sur la température.
Le thermomètre ne mesure donc pas la température de notre eau, mais la température du mercure. Or, pour ceci, le mercure doit se mettre à la température de l'eau : il doit puiser de la chaleur dans l’eau.
Résultat, si le thermomètre chauffe, l’eau refroidit et l’ensemble s’équilibre. La mesure finale — les 75 °C — correspond à cet équilibre.
Alors que faire pour avoir une mesure plus précise ?
On pourrait préchauffer le thermomètre, mais comment savoir à quelle température préchauffer le thermomètre, car c’est justement ce que l’on cherche à connaître ?
Tout ceci est un exemple où la méthode de mesure n’est pas adaptée, car elle fausse la mesure.
On peut réduire l’influence du thermomètre, en prenant un thermomètre plus petit (donc moins de mercure à chauffer) et un volume d’eau plus grand. L’influence du thermomètre sera réduit, mais jamais totalement éliminé.
La seule chose que l’on peut faire ici, c’est utiliser ce que l’on connait déjà : le thermomètre, et sa propre influence sur ce qu’il mesure.
En pratique, on cherche toujours à déterminer l’influence d’un appareil de mesure sur la mesure qu’il fait. Cette phase fait partie de l’étalonnage de l’appareil.
Comment sont étalonnés les appareils de mesure
Un autre exemple : quand on mesure une puissance électrique à l’aide d’un wattmètre, ce dernier est un appareil électrique et donc qui consomme de l’énergie pour fonctionner. La puissance consommée est donc augmentée simplement par la présence du wattmètre.
Aussi, le wattmètre n’est pas fonctionnel quand il tourne à vide, donc impossible de mesurer sa consommation à vide.
La solution ? Brancher dessus un appareil dont la puissance est déjà connue, car mesurée avec un autre appareil. Dans ce cas, on a repoussé le problème, mais il n’est — de nouveau — pas éliminé.
En métrologie, on étudie les moyens de faire les meilleures mesures possibles.
Pour le wattmètre, il s’agit de repousser le problème à un niveau suffisamment fondamental pour avoir une mesure la plus exacte possible.
Ce wattmètre est étalonné avec un appareil d’une puissance connue. Cet appareil est lui-même étalonné avec un voltmètre et un ampèremètre, eux-mêmes étalonnés.
Le fonctionnement d’un voltmètre et d’un ampèremètre reposent sur des bobines électriques et des champs magnétiques. Ces bobines ont un diamètre et une longueur totale de fil connus. Du coup, en mesurant la longueur du fil de cuivre dans ces deux appareils, on étalonne ces appareils et ainsi de suite on redescend jusqu’à notre wattmètre.
Bien-sûr, la mesure de la longueur du fil de la bobine du voltmètre porte elle-même une incertitude, liée à l’appareil de mesure de longueur (une règle graduée par exemple). Cette règle est elle-même rattachée à la définition du « mètre » émise par le bureau international des poids et mesures (BIPM).
Au final, l’incertitude — connue — associée à notre règle graduée se propage dans la mesure de la longueur de la bobine du voltmètre et de l’ampèremètre, puis dans celle de l’étalonnage du wattmètre, et ainsi de suite jusqu’à l’appareil dont on veut mesure la puissance.
Il s'agit ici d'exprimer l'incertitude du wattmètre en fonction des étalons des unités de base du système d'unités international (longueur, durée, masse...), même si l'unité que l'on cherche à mesurer n'a rien à voir (une puissance électrique).
Le résultat final de cette expression est donc la mesure affichée renseignée de son incertitude. Par exemple ainsi :
$$1200 \text{W} \pm 2 \text{W}$$
Et cette information (valeur + incertitude) constitue une information exacte.
L’incertitude fait partie de l’information sur la puissance de cet appareil.
Plus généralement, tous les appareils de mesure un tant soit peu sérieux sont vendus avec un certificat d’étalonnage, qui donne l’incertitude de mesure associée à chaque mesure. Ceci est toujours le cas pour du matériel métrologique professionnel.
Tout bon appareil de mesure vient avec un certificat d’étalonnage, qui permet de retracer toute la chaîne des instruments qui ont permis à l’étalonner, de l’appareil en question jusqu’aux définitions des étalons métrologiques nationaux (ou des équations fondamentales qui définissent les unités de base de la science), qui sont la base de la base des instruments de mesure.
Pourquoi tout ça ?
Dans la vie courante, il n’y a pas mort d’homme si l’on vous sert 21 cL de vin au lieu de 20 cL, et personne n’a l’idée d’utiliser un verre gradué et étalonné pour se faire servir au restaurant.
Mais dans l’industrie ou dans un hôpital… c’est une autre histoire : 1 cL d’une solution médicamenteuse en plus ou en moins peut avoir des conséquences dramatiques.
D’un point de vue normatif, ceci est nécessaire et peut être utile en cas de problème : si un appareil est défectueux et a causé un dommage (corporel ou matériel), il est nécessaire de trouver le responsable.
Si le client (utilisateur de l’appareil) a mal utilisé l’appareil, ce n’est pas la même chose que si l’appareil a connu un dysfonctionnement lié à sa conception.
Pour ça, dans l’industrie, les appareils sont vérifiés de façon scrupuleuse et chaque vérification est enregistrée, ainsi que les appareils qui ont permis de faire cette vérification. De cette façon, l’industriel est en mesure de garantir qu’il a bien fait son travail (si c’est le cas), ou au contraire se rendre compte que le responsable du dommage… et bien c’est lui.
Mieux, si un dysfonctionnement est constaté sur un appareil, il peut être nécessaire de vérifier l’ensemble des appareils produits en même temps, pour vérifier que les autres appareils ne sont pas dangereux à utiliser. C’est couramment le cas en aéronautique : si un avion pose problème, tous les autres avions du même modèle peuvent être cloués au sol.