Le canon de Gauss — ou canon magnétique, à ne pas confondre avec le canon électrique (ou rail-gun) utilisé par les militaires —, est un jouet/gadget qui permet de tirer des billes magnétiques grâce à des aimants :
Le truc étonnant à son propos, c’est qu’il suffit de lâcher doucement une première bille d’un côté pour que de l’autre côté jaillisse une bille à très haute vitesse.
C’est assez contre-intuitif comme fonctionnement. Malheureusement cela suffit pour voir des charlatans reprendre l’idée pour proposer des soi-disant « appareils à énergie infinie ».
Ici, je vais expliquer comment il est possible qu’une bille parte à haute vitesse avec une simple impulsion de départ, et surtout pourquoi il n’est pas possible de faire un canon de Gauss circulaire qui fonctionnerait indéfiniment.
Le canon de Gauss
Le canon de Gauss est composé de plusieurs étages, tous identiques, mis bout à bout. Focalisons-nous sur un seul étage. Il comporte un aimant auquel sont collés 2 à 3 billes d’acier à la suite, tous du même côté, à droite. La bille sur le côté représente la bille que l’on lâche :
Cette configuration initiale est importante. En dehors de cette configuration, le canon de Gauss ne fonctionne pas.
Notons que les billes d’acier les plus loin de l’aimant sont celles qui sont le moins liées à l’aimant :
C’est dans cette configuration qu’est « stockée » l’énergie du système (sous forme d’énergie potentielle magnétique). Je fais revenir sur cette notion d’énergie, mais pour le moment voyons son fonctionnement.
Fonctionnement
On initie le canon de Gauss en approchant une bille de l’aimant, par la gauche sur le schéma. La bille va se retrouver attirée par l’aimant et rouler vers lui.
Quand la bille arrive sur l’aimant, elle lui communique son mouvement. À la manière d’un pendule de Newton, ce mouvement est transmis de proche en proche aux autres billes jusqu’à celle située tout à droite. Cette dernière bille conserve le mouvement pour elle et part elle-même vers la droite, à grande vitesse.
Si la bille de droite part à grande vitesse, même si on lâche la bille initiale tout doucement, c’est grâce à une astuce qui n’a rien de magique. L’astuce réside dans l’asymétrie de la configuration initiale : quand la bille de gauche arrive sur l’aimant, elle est attirée, et accélère de plus en plus vite vers l’aimant : en accélérant, elle acquiert de l’énergie, et toute l’énergie acquise est alors transmise à la bille de droite.
Cette dernière part donc grosso-modo avec la même vitesse avec laquelle la première bille tape dans l’aimant, et celle-ci, à cause de l’accélération, est bien plus grande que la vitesse avec laquelle la bille est lâchée.
Bien-sûr, la bille de droite doit se détacher de l’aimant, mais comme elle se trouve loin de ce dernier (séparée par deux autres billes), cette opération est peu coûteuse en énergie : peu d’énergie est perdue et la majeure partie est convertie en énergie cinétique (et donc en vitesse).
À présent, mettons plusieurs étages du canon de Gauss bout à bout :
Le principe est désormais de faire en sorte que la bille quittant le premier étage devient la bille qui arrive sur le second étage, et ainsi de suite pour tous les étages qui suivent.
Or, si la première bille (lâchée doucement) permet à la seconde bille d’avoir une vitesse démultipliée, alors la troisième bille aura une vitesse encore plus rapide, et la quatrième encore plus !
D’étage en étage, les billes sont de plus en plus rapides, et la dernière bille se retrouve éjectée avec une vitesse beaucoup plus importante que la bille initiale.
En lâchant simplement la bille au début, la bille de l’autre côté peut être émise avec une vitesse considérable, très largement capable de traverser la table ou même la pièce.
Quid d’un canon de Gauss infini ?
On peut penser que si l’on met des étages du canon de Gauss dans une configuration circulaire, où la bille tout au bout revient sur le premier étage, alors le canon serait capable d’envoyer la bille à une vitesse et une énergie infinie. Qu’il suffirait alors de capter cette énergie pour produire du courant et alimenter nos maisons. Évidemment, ce raisonnement n’est pas correct, et ceci pour plusieurs raisons.
Premièrement, plus la bille au bout est rapide, plus les frottements (air, bois, chocs inélastique, etc.) sont importants également. Il arrivera un moment où ajouter des étages ne servira à rien : ils ne feront que compenser les pertes de frottements sans ajouter de vitesse à la bille. La vitesse ne sera donc jamais « infinie ».
Et deuxièmement, même avec une mécanique finement ajustée, en réduisant les frottements au maximum, il ne serait pas possible d’obtenir un système circulaire qui fonctionnerait indéfiniment. La raison est très simple : pour un système circulaire, la configuration au début du premier tour et au début du second tour ne sont pas identiques :
Les billes ont bougé, et ceci change absolument tout !
Dès le second tour, quand la bille arrive sur le premier aimant, elle arrive en vrai sur une bille. Elle ne sera donc plus aussi attirée que tout au début. En effet, la force d’attraction d’un aimant diminue avec la distance, et même avec le cube de la distance. Cela veut dire que si l’on est 2 fois plus loin, la force de l’aimant est 8 fois plus faible !
De même, de l’autre côté de l’aimant, la bille du bout est désormais plus proche de l’aimant que la bille du bout au second tour : l’énergie qu’elle « gaspille » pour se détacher de l’aimant commence à devenir importante et la vitesse d’éjection n’en sera que plus faible…
À chaque tour, donc les billes incidentes iront de mois en moins vite, et les billes éjectées d’un étage sont de plus en plus attachées. À la fin, elles ne pourront plus se détacher des aimants, l’ensemble s’arrêtera de fonctionner très vite.
On peut alors penser qu’on peut mettre 5, 10 ou même 100 billes à droite de chaque aimant… Mais dans ce cas, après plusieurs tours, il commencera à s’accumuler beaucoup de billes à gauche de chaque aimant, empêchant la bille incidente d’accélérer aussi vite qu’au début.
Là encore, me direz-vous, il est possible de placer une personne devant chaque aimant pour déplacer une bille de gauche vers le côté droit de l’aimant. Ceci est juste : cela permettrait de continuer à accélérer les billes.
En revanche, en excluant les problèmes logistiques d’une telle chose (il faudrait être rapide, et même de plus en plus rapide), il resterait toujours des frottements qui viendraient limiter la vitesse des billes. Et surtout… ceci ne constituerait pas du tout une source d’énergie libre, infini et même exploitable.
D’où vient l’énergie de la bille ?
Il est clair qu’avec le canon de Gauss, la bille finale possède plus d’énergie cinétique que la bille initiale. Est-ce que ça veut dire qu’elle possède plus d’énergie tout court ? Non. L’énergie cinétique n’est pas la seule énergie dont il faut tenir compte ici : il y a aussi de l’énergie potentielle, de l’énergie potentielle magnétique pour être précis.
On connaît l’énergie potentielle de pesanteur : quand on place un objet en hauteur, on lui donne de l’énergie potentielle de pesanteur. On peut récupérer cette énergie en laissant redescendre cet objet, y compris pour l’exploiter : dans un barrage hydroélectrique, l’énergie potentielle de l’eau est mise à profit pour entraîner une turbine et récupérer du courant électrique.
Fondamentalement, quand on place un objet en hauteur par rapport à la Terre (qui joue le rôle de l’attracteur gravitationnel), on donne à l’objet de la place pour accélérer vers la Terre. Plus la distance est grande, plus il y a de la place, plus l’accélération sera importante, et plus l’énergie cinétique de l’objet conséquente.
Avec notre canon de Gauss et l’aimant, c’est la même chose : l’attracteur, c’est notre aimant. Du coup, si l’on place la bille dans le champ magnétique de l’aimant, cela revient à lui donner de l’énergie potentielle. L’aimant va ensuite attirer la bille et l’accélérer vers lui, transformant l’énergie potentielle de la bille en énergie cinétique.
Cette énergie potentielle n’est pas infinie : elle se transforme en énergie cinétique, mais une fois que la bille est collée à l’aimant, l’énergie est dissipée (sous forme de bruit, de chaleur). Si l’on veut de nouveau obtenir de l’énergie cinétique, il faut utiliser de notre énergie musculaire pour décoller la bille : en faisant ça, on pompe de l’énergie dans le système bille-aimant, et le cycle peut recommencer.
L’aimant n’est pas une source infinie d’énergie : elle ne possède pas d’énergie. Elle permet simplement d’accélérer des objets métalliques vers lui : en fait, ce sont ces objets qui possèdent de l’énergie (potentielle). Pas l’aimant. Cette énergie potentielle provient de leur position par rapport à l’aimant.
Dans l’état initial du canon de Gauss, on a placé plusieurs billes dans le champ magnétique de plusieurs aimants. On a aussi fait en sorte que les billes, sous l’effet d’une petite impulsion, vont lâcher un aimant pour rouler vers un autre aimant, consommant alors leur énergie potentielle.
En fonctionnement, l’énergie potentielle des billes de chaque étage se retrouve tout dans la dernière bille, sous forme d’énergie cinétique, et ça représente beaucoup d’énergie cinétique, et donc une très grande vitesse.
Conclusion et notes
Chaque étage d’un canon de Gauss contient un peu d’énergie potentielle, simplement parce que les billes sont situées dans le champ d’action de l’aimant qui le suit. Cette énergie est transformée en énergie cinétique lorsque le mécanisme est initié.
Il n’est pas possible de construire un canon de Gauss circulaire qui fonctionnerait indéfiniment, car l’énergie potentielle du premier tour n’est tout simplement plus là au second tour. Pire, la configuration est telle qu’à partir du 2e ou du 3e tour, c’est l’énergie cinétique qui se transforme en énergie potentielle, quand les billes vont rester collées à l’aimant.
Encore pire, toute cette énergie cinétique finit naturellement par se perdre en chaleur, en bruit, en déformation des billes ou des aimants. À la fin, tout sera immobile de nouveau.
Enfin, il ne faut pas confondre le canon de Gauss avec le canon électrique, ou rail gun. Ce dernier fonctionne avec un courant électrique : une munition (en métal) est posée sur un rail, puis on envoie un courant électrique dans le rail. Ce courant passe d’un rail à l’autre en passant par la munition. En faisant ça, la munition subit le champ magnétique produit par le courant dans le rail, et il se déplace.
Avec des courants suffisamment élevés, la munition peut se déplacer à des vitesses colossales : jusqu’à 9 000 km/h, soit Mach 7,2 ! L’US Navy et la Darpa testent des rail gun pour un usage militaire, dont l’avantage est multiple : il est électrique et simple (peu de pièces mécaniques), les munitions ne sont pas explosives et relativement petites (on peut transporter davantage de munitions), la vitesse des projectiles est telle (9 000 km/h, ou 2,5 km/s) qu’elle permet d’intercepter des missiles tout en étant très précis avec un rayon d’action de plusieurs centaines de kilomètres.
Et le railgun ? Le coilgun ?
Le railgun est un canon électrique qui fonctionne pas sur le même principe. Ce sera l’objet d’un autre article, mais cela utilise la force de Laplace, dans un dispositif ou le projectile est traversé par un courant électrique, tout comme les rails sur lequel il est posé. Le projectile produit alors un champ magnétique qui vient s’opposer au champ magnétique des rails, ce qui produit une force répulsive.
Ces dispositifs, étudiés à des fins militaires, sont connus pour envoyer des charges à des vitesses astronomiques jusqu’à Mach 10.
Le coilgun, lui, est bien une forme de canon de Gauss : c’est juste qu’il utilise des électroaimants successifs et pilotés électroniquement. Une bille (la charge) est attirée vers un électroaimant. Au moment où il est dans la bobine de l’électroaimant, ce dernier est désactivé. La bille a alors acquise une vitesse décente. C’est alors la bobine suivante qui s’allume, et accélère la bille un peu plus, et ainsi de suite avec plusieurs bobines.
C’est un canon de Gauss piloté et avec des électroaimants, là où celui avec les billes est avec des aimants permanents et passif.