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À un moment donné dans vos études en sciences, vous arriverez à un cours sur l’analyse dimensionnelle. Je n’ai personnellement jamais trouvé ces cours très clairs et leur finalité ne m’a pas non plus réellement convaincu : je vois l’intérêt maintenant, mais sur le coup, ces cours sont plutôt tombé comme un cheveux sur la soupe.

Je vais tenter d’y remédier ici, et expliquer pourquoi l’analyse dimensionnelle est plutôt utile.

Distinguer les grandeurs physiques des unités

Lorsque l’on additionne plusieurs termes d’une équation, il faut que ces termes soient compatibles entres-eux.

Par exemple, une distance s’additionne uniquement avec des distance. Il n’est pas possible d’additionner une durée avec une distance : cela n’a aucun sens. L’idée sous-jacente ici est celle exprimée par la phrase « on ne peut pas sommer des choux et des patates ».

Notez que j’ai employé le mot « termes » (d’une somme) et non « facteurs » (d’un produit). Dans une équation, ce sont les termes qui doivent être compatibles. Multiplier ou diviser des grandeurs n’est en effet pas un problème : on change alors juste de type de grandeur. Par exemple, si je divise une distance par une durée, j’obtiens une vitesse. Autre exemple : multiplier une distance par une autre distance donne une surface !

Pour une multiplication ou une division, la grandeur du résultat est une composition des grandeurs de départ. C’est d’ailleurs comme cela que l’on fabrique des grandeurs dites « dérivées ».

Notez que je n’ai pas mentionné les unités

On peut tout à fait additionner des centimètres avec des pieds ou des yards, ce n’est pas un problème, il suffit de faire une conversion. Les unités changent, ici, mais la grandeur est toujours la même : une distance. Parfois, même la conversion n’est pas nécessaire : lorsque l’on exprime l’heure sous la forme « 19h25 », on mélange deux unités différentes : les heures et les minutes. On aurait très bien pu dire « 19,41 heures » ou « 1165 minutes » mais on préfère utiliser un système avec 2 unités différentes. Cela ne pose pas de problèmes. Les américains d’ailleurs, mesurent la taille d’une personne en pieds + pouces, ce qui reste autorisé.

Les unités sont sans importance car ce qui compte, ce sont les grandeurs physiques : durée, longueur, vitesse…

Pour tout cela, quand il s’agit de comparer les grandeurs et non les unités on utilise un autre système : celui des dimensions, et l’analyse de tout ça s’appelle l’analyse dimensionnelle.

Les dimensions

Pour chaque grandeur physique de base il existe une dimension associée.

Ainsi, l’on dit que les mètres, les pouces ou les ångström sont toutes de la dimension d’une longueur. La dimension de ça se note $L$.
Que l’on ait des heures, des années ou des lustres, on parle de durées et cela a la dimension d’un intervalle de temps, notée $T$.
Autre exemple : que l’on ait des kilogrammes, des livres ou une tonne impériale, on parle toujours de la même dimension : celle d’une masse. Sa notation est $M$.

En pratique, on utilise surtout ces trois dimensions ($L$, $T$, $M$), mais il en existe d’autres :

  • $I$ : pour l’intensité électrique ;
  • $N$ : pour les quantités de matière ;
  • $\theta$ : pour les températures ;
  • $J$ : pour l’intensité lumineuse.

Enfin, notez qu’un nombre « pur » est dit « sans dimension ». Par exemple, $4$ est un nombre pur : ce n’est ni une longueur, ni une intensité, c’est juste $4$. Ces nombres sans dimension suivent cependant la même règle : on peut les multiplier avec ce qu’on veut, mais on ne peut pas additionner des nombres purs avec des grandeurs qui ne le sont pas.

Chaque grandeur physique, quelle qu’elle soit, peut être exprimée à l’aide d’une dimension, ou d’une combinaison de dimensions.

Ainsi, la vitesse est toujours le rapport d’une distance parcourue sur une durée mise pour la parcourir. Sa dimension peut donc être notée de la façon suivante : $\frac{L}{T}$, ou mieux encore $LT^{-1}$.
Ou bien des surfaces (que ce soit en m², en hectares…) sont toujours une longueur multipliée par une autre longueur. La dimension d’une surface est donc $L^2$.

Plus compliquée, l’énergie (que ce soit des joules, des watt-heure, des électron-volt…) ça sera $ML^2T^{-2}$.

Comment sait-on que l’énergie est $ML^2T^{-2}$ ? On peut retrouver ça à partir d’une formule donnant une énergie quelconque. Par exemple l’énergie cinétique :

$$E_c = \frac{1}{2} m v^2 $$

On sait que la masse $m$ la la dimension d’une masse : $M$.
Par ailleurs, la dimension de la vitesse $v$ est $LT^{-1}$, qu’il faut élever au carré : $L^2T^{-2}$.
Le $\frac{1}{2}$ ici, n’a pas de dimension.

Du coup, la dimension d’une énergie, notée $[E]$, vaut $ML^2T^{-2}$.

De même, on trouvera que la dimension d’une quantité de mouvement $[p]$ donne $ML^2T^{-1}$

Celle d’une force ? En utilisant par exemple la formule donnant le poids à partir de la masse d’un objet et de l’accélération du champ de pesanteur, on finit par trouver $[F] = MLT^{-2}$.

Je vous laisse essayer par vous même, ce n’est pas très compliqué. C’est juste parfois un peu farfelu, surtout pour les grandeurs électriques : la dimension d’une tension électrique, par exemple, se trouve être $[U] = ML^2I^{-1}T^{-3}$.

À quoi sert l’analyse dimensionnelle ?

L’intérêt est multiple.

Vérifier la validité d’une équation

Le premier intérêt est celui que l’on présente à l’école, et que l’on pratique dans les exercices : c’est celle que j’ai décrite au dessus avec « on ne peut pas additionner des choux et des patates ».

Si l’on résout un exercice et qu’on a trouvé une équation, il faut vérifier que tous les termes soient bien additionnables entre eux. Pour cela, on exprime les dimensions de chaque terme et on regarde si elles sont identiques.

Si elles ne sont pas identiques, alors votre équation ne peut pas être juste. Ce n’est alors même pas la peine de continuer : votre équation est fausse.
Si les dimensions sont bonnes, cela signifie que l’équation a une chance d’être juste. Tous les termes sont de la même grandeur : on dit alors que l’équation est homogène.

Une équation qui satisfait à l’analyse dimensionnelle a une chance d’être juste, mais une équation qui n’y satisfait pas n’en a aucune.

Comprendre la relation entre les différentes grandeurs physiques.

Le second intérêt que je vois personnellement (mais qui m’a été mis de côté en classe), c’est que ça permet de voir comment les grandeurs physiques sont reliées entre-elles.

Exemple 1 : relation entre une énergie et une force

Quelle est la relation entre une énergie et une force ? Utilisons l’analyse en dimension. La dimension d’une énergie est $[E] = ML^2T^{-2}$. Celle d’une force est $[F] = MLT^{-2}$.

On remarque que l’énergie peut s’écrire aussi comme $MLT^{-2} \times L$, autrement dit $[F] \times L$ : une force multipliée par une longueur.

Cela montre que l’énergie dépensée lors d’une action est égale à l’intensité de la force multipliée par la distance sur laquelle la force est appliquée. En gros, on dépensera une énergie équivalente en courant une courte distance qu’en marchant une longue distance.

Exemple 2 : relation entre l’énergie et la puissance

On applique le même raisonnement.

La dimension d’une puissance est $ML^2T^{-3}$.
Exprimée en fonction de l’énergie, cela donne : $ML^2T^{-2} \times T^{-1}$, soit $[E] \times T^{-1}$. On voit que la puissance correspond à un débit d’énergie au cours du temps.

Une puissance donnée peut ainsi être obtenu en dépensant une grande quantité d’énergie sur un temps très long, ou alors une quantité d’énergie raisonnable sur un temps plus court. Une petite explosion (peu d’énergie sur très peu de temps) est ainsi bien plus dévastatrice qu’une combustion très lente (beaucoup d’énergie sur très beaucoup de temps).

Exemple 3 : comprendre la la tension électrique

Une première approche utilise l’énergie.
La dimension d’une tension électrique U est $[U] = ML^2I^{-1}T^{-3}$. On peut l’écrire sous une première forme $ML^2T^{-2} \times I^{-1} \times T^{-1}$, soit $[U] = [E] \times I^{-1} \times T^{-1}$.

En remarquant que l’intensité du courant électrique $I$ correspond à un débit de charges électriques $C$, on peut dire que la charge électrique correspond au produit d’une intensité par une durée : $[C] = I \times T$. L’écriture de la tension électrique devient alors $[U] = [E] \times [C]^{-1}$.

On peut lire ça de la façon suivante : « la tension électrique correspond à l’énergie données aux charges électriques ».

Si l’on se place dans le vide (comme un tube cathodique), la tension utilisée définit la vitesse (énergie cinétique) des électrons. Appliquer une tension à une charge revient donc à lui communiquer une énergie. Ceci permet d’ailleurs de définir une unité d’énergie : l’énergie donnée à une charge d’un électron avec une tension de 1 V correspond à un électron-volt, une unité utilisée en physique des particules.

Une seconde approche utilise une force.
On peut aussi écrire $[U] = MLT^{-2} \times (IT)^{-1} \times L$, soit $[U] = [F] \times [C]^{-1} \times L$, que l’on peut lire comme « la tension électrique correspond à une force appliqué aux charges électriques sur une distance donnée ».
Ceci est d’ailleurs la définition de l’unité du volt : un volt est égal la tension électrique qui accélère une charge de 1 coulomb avec une force de 1 newton sur une distance de 1 mètre. C’est plus intuitif non ?

Pour conclure

Toutes ces lectures différentes d’une même écriture correspondent à des interprétations d’une grandeur physique donnée.
L’analyse dimensionnelle permet tout ça en manipulant des grandeurs physiques plutôt que des unités (ce qui est souvent beaucoup plus intuitif). Utilisée dans ce cadre, l’analyse dimensionnelle permet de mettre des mots sur une équation, une grandeur physique ou une unité.

Et au delà de l’exactitude des équations que l’on découvre, une bonne part de ce qui fait un scientifique provient de la façon dont il comprend et se représente le fonctionnement de la nature. Comprendre précisément les grandeurs mises en jeu lors d’un phénomène permet à la fois de voir directement la nature opérer sous ses yeux, mais également de prédire le résultat d’un phénomène voire d’en découvrir ou d’en expliquer d’autres.

Pour finir, j’espère avec cet article que l’analyse dimensionnelle est devenue quelque chose de clair, ce qui ne devrait pas être difficile, mais surtout quelque chose d’utile. L’analyse dimensionnelle est un outil puissant qui se révèle utile pendant les calculs, en permettant de vérifier l’homogénéité des équations, ainsi que dans notre image mentale que l’on se fait des phénomènes physiques auxquels on a à faire.

image d’en-tête de Catalina Olavarria

9 commentaires

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Juju écrit :

Par chance, dans mes études de Mesures Physiques (DUT) il en était question; c'est ici une belle entame.

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Juju écrit :

"on ne peut pas additionner des choux et des patates"
Donc on évitera de dire que " la puissance du courant est de 220 volts "

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Bvguy écrit :

Franchement merci beaucoup de ce super article.
Même si ce n'est absolument pas de mon niveau(1ere s), j'ai tout compris, tellement c'est bien expliqué!

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Le Hollandais Volant écrit :

@Bvguy : merci ! Ça fait plaisir à entendre !

Si tu es en 1ère S, je peux également te conseiller ces deux articles :
Les dérivées en Math
Les intégrales en Math

Tu n’as peut-être pas encore eu le cours sur les fonctions dérivées, mais tu devrais garder le lien sous le coude.
Les intégrales (l’inverse des dérivées, en fait) est plutôt au programme de terminale. Garde le sous le coude également, si besoin.

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ouadji écrit :

A quoi sert l'analyse dimensionnelle ... à tout ce qui est habituellement dit sur le sujet, l'homogénéité, la cohérence, etc. (très très important l'analyse dimensionnelle) Savoir "de quoi on parle" est plus important que de savoir "combien", savoir combien c'est "après". L'analyse dimensionnelle permet de faire les découvertes. C'est en "mélangeant" certaines grandeurs qu'on se rend compte, en fait, que l'on vient de créer une énergie,un champ, ou quoi que ce soit d'autres. L'analyse dimensionnelle représente la véritable nature des choses. Ensuite, le "combien", c'est juste une question d'argent et de rendement. Scientifiquement, c'est secondaire.

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galex-713 écrit :

Faudrait peut-être aussi penser à faire le lien dans l’autre sens ;) : https://lehollandaisvolant.net/?mode=links&id=20211017141247

Surtout qu’il donne une troisième utilité, très belle à mon sens

Et puisque t’es informaticien/programmeur, on peut faire une analogie avec la théorie des types, le typage fort dans le cas de la vérification, l’introspection dans le cas des relations, et le ducktyping/généricité/polymorphisme dans le cas (de ScienceÉtonnante) de trouver des solutions tout seul (avec une pointe de prog logique)

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galex-713 écrit :

d’ailleurs ouajdi, je dirais que même dans le combien, l’exposant est plus important que la mantisse :'D

C’est con comment on écrit toutes nos grandeurs à l’envers, le plus important à la fin… et pourtant dans les ordis, c’est stocké dans le bon sens ! (type, puis signe, puis exposant, puis mantisse (…bon parfois niveau optimisation on stocke le type dans les bits à la fin en grand-boutiste parce que les chiffres de poids faible sont pas affectés par les chiffres de poids plus fort dans les opérations arithmétiques… mais bon déjà la plupart des ordis en petit-boutiste stockant les chiffres les plus importants à la fin, faut choisir entre le boutisme pertinent et les bits de type au bon endroit…))

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galex-713 écrit :

C’est vraiment très bizarre, je suis persuadé que c’est de toi (dans les links de lhv) que j’ai appris que pi% de 1337 = 42, et je me souvenais même l’avoir vu recité sur le shaarli de seb… mais impossible de retrouver ça…

Toujours est-il qu’en y repensant aujourd’hui, je me suis dit, ah mais du coup, autant π% c’est totalement ridicule niveau signification (enfin, ça correspond à 2 grades, mais c’est pas un ratio donc c’est totalement ridicule… enfin, c’est 0,25% de cercle, mais 0,25% et 3% ça a rien à voir c’est débile, même plus que débile, c’est dimensionnellement débile), autant comme c’est commutatif, du coup 1337% de π = 42… donc… on peut dire qu’être à 1337% dans la direction contraire de qqchose est le sens de la vie de l’univers et du reste :'D …π correspondant à 90° en radians …et si on veut aller plus loin, et considérer, de façon dimensionnellement cohérente, que du coup 42 est en radians… on tombe donc sur — modulo 13 tours… oui, 13, on est servis niveau numéros porte-bonheur — un sixième de cercle, soit un arc de 2h… mais que se passe-t-il en 2h *clin d’œil clin d’œil* ? :o (il faudrait inventer une emoji conspi, et sa version accessible pour malvoyants ce serait le jingle d’Inception qui se lance avec ensuite requiem for a dream qui retentit sur tout objet connecté à proximité (vive la domotique et l’absence d’auth forte dans l’IoT))

« dimensionnellement débile », omg ça sonne tellement violent, je sens que j’ai trouvé un truc sympa (ça sonne un peu SF genre « multidimensionnellement débile », sauf que là c’est plus concret et en fait moins ouf car moins abstrait et philosophique que juste « dimensionnellement débile »)

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Origin écrit :

Mon grand-père m'a toujours dit que les mathématiques étaient avant tout du français.
Je n'ai compris que bien plus tard qu'il faisait référence à l'analyse dimensionnelle.

Au cours de mon DUT, c'est la seule branche à laquelle j'ai pu me raccrocher car j'étais complétement largué en thermo, chimie, élec etc.


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