Représentation artistique d’un atome.
Ununseptium (117), Ununoctium (118)… ces atomes super-lourds de la fin du tableau périodique n’ont pas encore de nom officiel, mais seulement un nom générique. Ils sont dits « super-lourds » car ils contiennent un très grand nombre de neutrons et protons : 117 protons et 176 neutrons pour l’ununseptium 293, alors que l’uranium — plus lourd élément naturel — n’en possède respectivement que 92 et 146.

Récemment, c’est l’élément 117 qui a été reproduit, confirmant donc sa première découverte en 2010.

Ces éléments sont tellement lourds et le noyau tellement gros qu’ils ne sont pas stables : une fois créés ils se désintègrent spontanément en quelques millisecondes plusieurs fois de suite : la force de cohésion des nucléons ne suffit plus à surpasser la force de répulsion des protons et le noyau éjecte des nucléons jusqu’à ce qu’il soit assez stable pour subsister.

Le plus lourd élément naturel est l’uranium et il est à peu prés stable. Cet élément, comme tous les éléments au-delà du fer dans le tableau périodique sont synthétisés au cours des supernovas, des fusions d’étoiles à neutron, ou dans les étoiles mourantes.
Tous les éléments au-delà de l’uranium 92 et ont été synthétisés par l’homme. Comment ?

La production de ces éléments se fait dans des accélérateurs de particules : si l’on veut par exemple faire l’élément 117, on prend deux atomes plus petits dont la somme des numéros atomiques fait 117. En général, on prend un gros atome qu’on maintient fixe qu’on bombarde de petits atomes. Dans le cas de l’ununseptium, on a pris du $^{249}_{97}\!$Berkélium et du $^{48}_{20}$Calcium ; on a bien l’égalité 97+20 = 117.

La difficulté vient ensuite de plusieurs facteurs :

  • Toutes les combinaisons dont la somme fait 117 ne conviennent pas. Il faut que le nombre de protons et de neutrons des deux noyaux initiaux soient compatibles pour que le produit formé soit le plus stable possible. Si on prenait l’élément 116 et l’élément 1, ça ferait 117 aussi, mais c’est beaucoup plus compliqué : l’atome 1 pourrait avoir l’effet contraire que celui espéré et viendrait exploser l’élément 116 déjà pas très stable…
  • Il faut projeter le petit atome très rapidement sur la cible : assez vite pour que sa vitesse puisse vaincre la force de répulsion électrique des deux noyaux. Une fois que le projectile est assez proche de la cible, la répulsion s’inverse et l’interaction nucléaire forte l’emporte sur la répulsion électrique. On dit que le petit noyau doit franchir la barrière de Coulomb pour fusionner avec le noyau plus gros.
  • Une fois qu’un atome 117 super-lourd est créé (seule une très petite fraction des atomes projetés sur la cible arrivent à fusionner avec un atome de la cible), il faut encore le récupérer. En général ceci est impossible : le temps de vie de l’atome super-lourd est si court qu’il disparaît trop rapidement. Le seul moyen de le détecter est d’analyser les traces qu’il laisse derrière lui : un atome désintégré plus petit, ou alors un rayonnement d’une énergie bien précise (prévue théoriquement et ne pouvant venir qu’un d’un élément super-lourd).

Dans tous les cas, les atomes super-lourds produits ne permettent pas de faire de la chimie avec : on ne trouvera donc jamais un produit du quotidien contenant une quantité notable d’éléments 117.
Il s’agit en fait de pouvoir avoir une idée relativement précise de la structure de l’atome nouvellement créé. Le tableau périodique donne aux atomes de la même colonne les mêmes propriétés chimiques. Ainsi l’élément 117 devrait logiquement avoir la même réactivité chimique que le fluor ou l’iode au-dessus de lui.
Vérifier cela permet de voir que le travail précédent tient la route, mais aussi de voir jusqu’où le modèle du tableau périodique suffit. Dans les faits, les éléments super-lourds ne respectent plus tout à fait la chimie du tableau périodique : leur structure interne est telle que des effets purement quantiques interviennent de plus en plus.

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8 commentaires

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Hashlime écrit :
leur structure interne est telle que des effets purement quantiques interviennent de plus en plus.

C'est dû à quoi ? Normalement quand il a plus de particules la décohérence se fait plus sentir, non ? (j'avais en tête que le niveau atomique devenait la "limite" à laquelle on pouvait appliquer la mécanique quantique)

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Le Hollandais Volant écrit :

@Hashlime : la plus grande densité de nucléons, et la plus grande taille du noyau et son importante charge positive.

La position d’un électron, par exemple : il se peut qu’il se retrouve un très bref instant au cœur du noyau (par effet tunnel) le noyau étant plus grand, ceci est plus probable d’arriver. L’électron peut très bien réagir avec un nucléon et le noyau éjecte une particule (un neutrino).
On parle de désintégration par capture électronique, qui est très favorisé dans les atomes lourds.

Dautres effets interviennent : le noyau, comportant beaucoup de protons (117 pour l’ununseptium) possède une très importante charge positive. Les électrons les plus proches du noyau sont très fortement attirés et pour ne pas atterrir dessus ils doivent maintenir une vitesse très importante, plus proche de celle de la lumière.
Des effets relativistes sont alors à prendre en compte, comme la contraction des longueurs : pour l’électron en question, le noyau est bien plus petit qu’il n’est en réalité.
Les conséquences de cela sont encore mal connues, mais il y a tout juste un ou deux ans, il a été découvert que ce sont précisément ces effets qui font que le mercure (un métal) est liquide à température ambiante, et jusqu’à —39°C (le seul métal liquide à une température si basse). Et le mercure est un élément relativement dense et lourd, déjà.

Un autre effet, plus facile à comprendre avec une analogie peut aussi avoir lieu : si tu présentes les deux faces "nord" d’aimants face à face, ils se repoussent. Comme deux protons.
Cependant, les deux faces nord se collent très bien sur le même clou. Tu peux même ajouter 3, 4… faces nord sur le même clou. Le 5e et les suivants deviennent alors de plus en plus difficiles : le clou devient un peu "nord" aussi, il repousse le 5e aimant, mais quand on l’approche assez, il reste quand même collé (il reste un clou avant d’être un aimant).
C’est l’exemple d’un cas où une répulsion se transforme en une attraction en fonction de la distance.
La même chose se produit dans les noyaux atomiques : des forces d’attractions (interaction forte) et de répulsion (interaction électrique) se stabilisent. Or, dès qu’on augmente la distance entre les protons, la force d’attraction se dissipe très vite (plus rapidement que la répulsion électrique). Dans les noyaux très gros, l’interaction forte ne suffit plus et le noyau est instable : certains protons/neutrons sont éjectés…

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Hashlime écrit :

Je vois, on ne parlait pas de la même chose :p

Or, dès qu’on augmente la distance entre les protons, la force d’attraction se dissipe très vite

La force d'attraction, c'est bien l'interaction forte entre un proton et un neutron (en ajoutant l'interaction électrique quand il y a plusieurs protons, ça forme la liaison nucléaire) ? Je vois donc mal pourquoi une plus grande distance entre deux protons affaibli l'attraction étant donné que l'attraction se passe au niveau proton-neutron et pas proton-proton.
Je viens de finir d'écrire mon message et je me dis que c'était peut être pour rester dans la même logique que l'analogie, c'était ça ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Hashlime : si, la distance joue.

Et ça c’est une erreur :

l'attraction se passe au niveau proton-neutron et pas proton-proton.

Les protons s’attirent entre eux… à très courte portée seulement ! (voir).
L’attraction forte marche pour les neutrons et les protons, quelque soit les deux particules que tu prends (p et n, p et p, n et n).
Il existe un noyau d’hélium 2, le « di-proton », très instable, mais la répulsion est dû plus à des phénomènes quantiques de spin que les interactions nucléaires.

Car même si tu as une chaine « p-n-n-n-p » (p=proton ; n=neutron), cette chaine sera moins solide qu’une chaine « p-p ».
Si les neutrons attirent bien les protons, les deux protons de la longue chaine se repoussent plus qu’ils ne s’attirent (à cause de la distance), et vu que le noyau est composé que de neutrons et protons, les 117 protons présents contribuent à une énorme répulsions électrique.

Ils suffit (je pense) qu’un protons soit très légèrement éloigné du reste du noyau pour que la répulsion électrique (importante quelque soit la distance, à cette échelle) l’emporte sur l’attraction forte. Et cet éloignement est possible car les protons et les neutron ne sont pas fixes, mais en vibration (comme les électrons, ils restent des particules).
De plus, les noyaux ne sont alors plus non plus sphériques, mais aplatis (me demande pas pourquoi, je ne sais pas), ce qui augmente encore un peu les distances entre les nucléons sur les bords.

Dans les noyaux plus petits, tout ceci est moins marqué, car la répulsion électrique est beaucoup moins forte (il y a moins de protons).


Si tu veux, pour revenir dans mon analogie : si tu mets des billes aimantés et des billes de fer : si tu prends 5 ou 6 billes, l’ensemble restera collé quoi qu’il arrive. Mais si tu en mets 50 ou 60, alors le système est méta-stable, et un simple choc suffira à faire voler tout le système en éclat

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Hashlime écrit :

Ok je comprend mieux. La page wiki sur la liaison nucléaire m'avait un peu embrouillé. Du coup l'interaction forte peu apparaître entre n'importe quels hadrons (baryon-méson) ou les particules doivent être de la même sous-famille (ou seulement sous certaines conditions) ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Hashlime : Là tu me pose une colle, mais il s’applique aux qwarks (constituant des hadrons), donc je suppose qu’un proton et un méson sont attirés l’un par l’autre.
Après, rien n’empêche une réaction entre les deux : le proton se transformant en autre chose, par exemple).

Mais après, Wiki signale qu’un méson a une durée de vie de seulement une fraction de micro-seconde, ce qui est insuffisant pour une réaction (et sa détection).

Et ça dépend en plus aussi de la couleur des quarks, il y a donc plusieurs conditions à réunir pour que qu’un hadron soit soumis à l’interaction forte, mais je ne saurait dire lesquelles…

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Idl écrit :

Merci pour ce billet, je m’interroge :
Le noyau qui résulte de la collision des deux petits atomes ne sera un atome que quand se sera constitué son cortège électronique, ce qui prend apparemment environ 10⁻¹⁴s puisque c’est la limite fixée par l’IUPAC pour considérer qu’un élément est synthétisé − les noyaux ayant une durée de vie plus courte peuvent parfois être observés mais ne sont pas des atomes.
J’imagine que les cortèges électroniques des atomes initiaux sont dispersés par la collision, sinon il n’y aurait pas de délai.
D’où mes questions, d’où vient ce cortège électronique ? Par quel procédé se constitue-t-il, cela a-t-il un nom ? Sont-ce les mêmes électrons que ceux des atomes initiaux ou sont-ils tirés de l’environnement ?
J’apprécierai tout début de réponse ou piste :-)

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Le Hollandais Volant écrit :

@Idl : Effectivement, je ne m’étais jamais posé la question moi-même.
Ce qui est sûr, c’est que l’élément lourd sur lequel on envoie l’élément léger est présent en tant qu’atome complet (avec ses électrons) : généralement c’est un morceau de matière composé essentiellement de l’atome lourd.

Ensuite, même si les éléments super-lourds sont très instables et ont une durée de vie très courte, 10⁻¹⁴ secondes semble vraiment très très court. Les atomes ne se désintègrent pas aussi vite.

Par exemple :
– 113, Nihonium : 1,2 seconde (source)
– 114, Flérovium : quelques secondes (source)
– 115, Moscovium : jusqu’à 220 ms (source)
– 116, Livermorium : 61 ms (source)

Même si tout ça est très court, c’est dix à mille milliards de fois plus long que la limite imposée par l’IUPAC.

Les réactions chimiques, et donc les réarrangement d’électrons, elles, prennent environ 10⁻¹⁵ secondes pour se faire, ce qui est extrêmement rapide


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