Parmi la grande diversité de composants électroniques qui existent, certains combinent plusieurs domaines de la science :
- électro-chimique : comme l’électrolyseur (l’électricité produit la réaction chimique) ou la pile (la chimie produit l’électricité) ;
- photo-électrique, telle que la LED (l’électricité produit la lumière) ou la cellule photoélectrique (la lumière produit l’électricité).
- électro-mécanique, comme le moteur (l’électricité produit un travail mécanique) et l’alternateur (une action mécanique produit l’électricité).
Dans ces trois cas, les deux exemples données sont réciproques à chaque fois.
Il y a plein de composants reliant plusieurs domaines, mais celui qui nous intéresse dans cet article est celui qui combine l’électricité et la thermodynamique, c’est à dire l’étude de la chaleur et des transferts thermiques.
On connaît l’appareil où c’est l’électricité qui est transformée en chaleur : c’est une résistance chauffante. Mais connaissez-vous un système thermoélectrique qui fait l'inverse et qui soit réversible, et donc capable de produire un courant électrique à partir de chaleur ? Pas sûr…
Pourtant ce composant existe : on l’appelle le thermocouple.
Le thermocouple
Ce composant est fait de métaux différents soudés entre eux, par exemple le chromel avec le constantan (deux alliages métalliques). Les deux fils sont soudés et il y a donc une zone où les deux se rejoignent.
Il se trouve que si l’on échauffe cette jonction, il apparaît une tension électrique au bout des fils, et donc un potentiel à produire de l’électricité :
On utilise ces composants comme thermomètre : selon la température de la jonction, une tension bien précise apparaît et on peut déduire l’une de l’autre. Cet effet thermoélectrique est appelé effet Seebeck, du nom de la personne qui l’a étudié en 1821.
De façon notable, le thermocouple peut fonctionner dans l’autre sens : quand on le met sous tension, la jonction se met à chauffer alors que les autres points d’attache du thermocouple refroidissent ! Cet effet inverse est appelé effet Peltier (1834).
Maintenant, si l’on construit un fil avec une grande quantité de sections soudées entre elles, on aura une alternance de jonctions chaudes et de jonctions froides :
Ceci peut devenir très intéressant, puisqu’il suffit de faire ceci :
… et l’on obtient alors un module qui, une fois sous tension, peut produire un côté chaud et un côté froid !
Mieux, on peut aussi choisir de faire fonctionner dans l’autre mode : en chauffant un côté et en refroidissant l’autre, on obtient un module qui produit un courant relativement conséquent !
Ce module là, c’est un module Peltier !
Bien-sûr, j’ai oublié de dire que les tensions produites par effet Peltier ou la différence de température obtenue par effet Seebeck sont relativement faibles : de l’ordre de quelques volts de tension obtenues pour une centaine de degré de différence appliquées en température.
Les modules Peltier actuels sont optimisés avec des métaux très particuliers : les semi-conducteurs.
Voyons tout ça.
Le module Peltier à semi-conducteurs
Un module Peltier se caractéristique par la différence de température qu’il peut maintenir entre ses faces. Si cette différence est de 30 °C, alors si une face est maintenue à température ambiante de 20 °C grâce à un système de refroidissement, alors l’autre face peut descendre à −10 °C.
On utilise ces modules dans les petites glacières de camping, là où un système pompe/compresseur typique des réfrigérateurs conventionnels est bien trop gros et gourmand en énergie.
Aujourd’hui, les modules Peltier comportent un très grand nombre de jonctions de deux types de semi-conducteurs — N et P —, placés en sandwich entre deux plaques de céramique (voir la photo d'en-tête). Le composant obtenue présente donc deux faces : l’une qui va devenir froide et l’autre qui sera chaude. On peut ensuite exploiter la chaleur et la froideur de ces deux plaques.
Pour aller plus loin dans la compréhension de cet effet, il faut revoir brièvement ce que sont des semi-conducteurs, et plus précisément à quoi correspondent les types-P et type-N.
Semi-conducteurs P et N
Ce qui suit est une introduction aux semi-conducteurs. Pour un article plus complet, voyez mon article : « c’est quoi un semi-conducteur ? ».
Un semi-conducteur se place entre les isolants et les conducteurs sur l’échelle de conduction électrique. Contrairement aux conducteurs, tels que les métaux, ils n’ont pas d’électrons libres. Mais contrairement aux isolants, il suffit d’appliquer une tension relativement faible pour que des électrons deviennent libre et se mettent à conduire le courant.
Pour contrôler de façon précise le seuil de conduction, on lui incorpore des éléments chimiques. On parle de « dopage » du semi-conducteur.
Avec du phosphore, le semi-conducteur qu’est le silicium possède maintenant un électron libre en plus par rapport au silicium pur.
Avec du bore on se retrouve à l’inverse avec un électron en moins à un endroit que l’on appelle « trou ». L’application d’une tension va alors pousser un électron à remplir ce trou, laissant un autre trou derrière lui. Ce trou est ensuite comblé par un autre électron et ainsi de suite. De cette façon, c’est alors comme si le trou se déplaçait, et dans le sens inverse des électrons.
Dans les deux cas, on dit que l’électron du phosphore (négatif : N) et le trou (absence de négativité de l’électron, donc positif : P) du bore sont les porteurs de charges. N et P sont les deux types de semi-conducteurs :
Dans un module Peltier à semi-conducteur, pour les deux-métaux nécessaires à l’effet Seebeck, on utilise deux semi-conducteurs : un semi-conducteur P et un semi-conducteur N.
Le fonctionnement du module Peltier
Un module Peltier est donc un assemblage de plein de morceaux de semi-conducteur P et N. Électriquement, ces élément de semi-conducteurs sont placés en série. Thermiquement, ils sont mis en parallèles.
L’arrangement géométrique fait que toutes les jonctions PN sont d’un côté et toutes les jonctions NP sont de l’autre.
Quand on fait circuler un courant dans le module, les trous du P sont tirés vers la borne − et les électrons du N sont poussés vers la borne +. Ils quittent donc tous les deux une jonction et se dirigent vers l’autre côté du module.
Arrivés de l’autre côté, le trou se recombine avec un électron et l’électron avec un autre trou. Ces recombinaisons sont exothermiques : ils libèrent de la chaleur.
Sur l’autre côté (le froid), la tension appliquée va forcer certains électrons à sortir de leur trou : on obtient alors un électron libre et un trou (qui vont alors migrer, etc.). Cette création de paires électrons-trous est endothermique : elle requiert de la chaleur, qu’elle va puiser dans le module et va donc le refroidir.
Pour résumer, à cause de l’arrangement des liaisons NP et PN, ainsi que de la nature des semi-conducteurs N et P, l’application d’un courant va produire des paires électrons-trous d’un côté et va le refroidir (l’énergie thermique est convertie en énergie potentielle électrique), et recombiner les électrons libres et les trous de l’autre, et ainsi libérer de la chaleur et donc chauffer ce côté (l’énergie potentielle électrique est reconvertie en énergie thermique) :
Quand le module est utilisé en générateur, c’est le contraire : on chauffe un côté, on refroidit l’autre, et on observe l’apparition d’une tension au bornes du module. Le fonctionnement est inverse, mais au niveau moléculaire c’est toujours la même chose.
Le côté que l’on chauffe possède maintenant suffisamment d’énergie pour que certains électrons sortent de leur trous : on crée donc des électrons libres et des trous, les deux étant des porteurs de charges. Ce côté, où l’on forme des porteurs de charges, devient une zone de fort potentiel électrique.
Le côté froid, maintenant, voit sa chaleur (son énergie) baisser : les électrons libres sont forcés à regagner leur trou. On réduit donc la quantité de charges mobiles (électrons libres et trous) : la face froide voir donc son potentiel électrique baisser.
Un côté du mobile est donc fortement chargée, l’autre très faiblement : vous savez donc ce qui se passe : les électrons et les trous en surnombre d’un côté vont migrer de l’autre côté pour s’équilibrer. Cette migration constitue un courant électrique.
Des paires électrons-trous continueront d’être formés d’un côté et recombinés d’un côté tant qu’on appliquera une différence de température entre les faces et le courant circulera dans tout le module pendant ce temps :
Pour être encore plus précis : que ce soit en mode générateur de courant ou générateur de chaud/froid, la face qui forme les paires électrons-trous voit sont entropie augmenter. En effet, on passe de une particule (un électron dans son trou) à deux porteurs de charges (un électrons d’un côté et un trou mobile de l’autre). On augmente donc le nombre d’éléments ! Or cette entropie ne sort pas de nulle part : elle s’accompagne d’une baisse de température.
Sur l’autre face, c’est l’inverse : on passe de deux porteurs de charges à un seul électron dans son trou (fixe). On réduit donc l’entropie, ce qui est une réaction exothermique : cette face chauffe.
Bien-sûr, le module dans son ensemble voit son entropie globale augmenter (il ne peut en être autrement).
Il est intéressant de voir que dès que l’on coupe l’alimentation d’un module Peltier, les porteurs de charges cessent de se déplacer, et donc de véhiculer de la chaleur. Les seuls transferts de chaleurs qu’on observe est donc dû à la conductivité thermique et les températures des deux faces du module Peltier se rééquilibrent (et de manière très rapide : une seconde ou deux suffisent, même s’il y avait une différence de température de 30 °C !).
Utilisations
Le module Peltier, surtout utilisé pour produire du froid, a beaucoup d’avantages par rapport à un système que l’on trouve dans un réfrigérateur : aucune partie mobile, pas de bruit, grande précision, faible consommation électrique… Ils sont par contre moins puissants. Dans la vie courante, leur application se limite donc à de petites productions de froid : frigo USB, ou réfrigérateur de voyage, par exemple.
Dans les autres domaines (recherche, par exemple), on les retrouve dans les montages où la production de froid (ou de chaud) doit être très précise : en effet, en régulant la tension appliquée au module, on régule aussi le taux de transfert de chaleur, et donc les températures à obtenir.
Pour obtenir des différences de température importantes, on fait des empilements de modules Peltier. Il est ainsi possible d’obtenir des températures très basses, du moment que l'on évacue la chaleur correctement.
Dans l’espace, on utilise les modules Peltier dans l’autre sens : comme producteur de courant à partir d’une source de chaleur. Dans le froid sidéral, il suffit d’une petite source de chaleur et d’un module Peltier pour obtenir des courants exploitables. Les sondes spatiales Voyager 1 et 2, la sonde Cassini, ou encore la sonde New Horizons embarquent ainsi un générateur thermoélectrique à radio-isotopes : une source radioactive (du plutonium qui émet spontanément de la chaleur durant des décennies. Ce bloc est entouré de modules Peltier qui produisent tout le courant nécessaire au fonctionnement de la sonde.
Ce système est utilisé quand les sondes sont emmenés à voyager trop loin du Soleil pour permettre l’usage de panneaux solaires.