du plutonium métallique
Le plutonium est un élément mystérieux dont tout le monde entend parler mais je suis à peu près sûr que personne n’en a vu en vrai. L’occasion donc de le présenter.

Un petit échantillon de ce métal est à la base de couleur grise argentée mais si on le laisse à l’air libre, la couche d’oxydes de plutonium qui se forme à sa surface lui donnera un aspect coloré, à cause des interférences lumineuses (le même principe que les couleurs sur une bulle de savon).

Mais du coup, cette description uniquement visuelle n’est pas très amusante. Pour rigoler un peu, voyons à quoi ressemblerait un gros bloc de plutonium.

Prenons pour cela un cube de 10 cm de côté : s’il était rempli d’eau il pèserait tout juste 1 kg. Le même cube de 10 cm en plutonium pèserait 19,8 kg !
On dit que la plutonium a une masse volumique de 19,8, ce qui est très élevé : il fait de ce métal l’un des plus denses du tableau périodique. Cette densité exceptionnelle n’enlève rien à ses autres propriétés…

Le plutonium : un matériau fissile

Le plutonium est un élément fissile : le noyau de son atome peut se briser, formant deux noyaux plus petits, une émission de neutrons ainsi que beaucoup d’énergie. Le neutron peut éventuellement provoquer la fission d’un autre atome.

Si la quantité de plutonium atteinte une masse critique, alors le neutron émis par un atome a toutes ses chances de fissurer un autre atome avant de sortir de l’échantillon. La fission secondaire émet elle aussi un neutron, et ainsi de suite : c’est la réaction en chaîne. L’énergie libérée lors d’une réaction en chaîne est considérable.
Pour le plutonium 239, la masse critique est de 10 kg : votre cube de plutonium à lui tout seul constitue donc une bombe atomique !

Lors de la confection des premières bombes atomiques, cette masse critique a pu être abaissée à seulement 5,3 kg. Les neutrons sont émis au sein du plutonium et il faut arriver à produire une réaction en chaîne pour avoir une explosion.
Si l’échantillon de matière est trop petit les neutrons sortent de l’échantillon sans produire de réactions en chaîne. A priori donc, utiliser seulement 5,3 kg de plutonium est trop peu… à moins de forcer les neutrons à rester dans l’échantillon ! Ceci est le rôle de réflecteurs à neutrons en béryllium.

titiller la queue du dragon
«Titiller la queue du dragon » (image)

Lors des recherches de mise au point de la bombe atomique, la manipulation de réflecteurs en béryllium, dans lesquelles étaient posée une boule de plutonium se faisait parfois avec un simple tournevis.

L’expérience avec le tournevis a été nommée « titiller la queue du dragon », imageant une activité risquée aux conséquences pouvant s’avérer catastrophiques ! En effet, si les réflecteurs sont en place, on aurait une bombe atomique au milieu de la pièce.

Fatalement, quelques accidents occurrèrent : en 1946, à cause d’une mauvaise manipulation, le tournevis glissa de côté et le cœur devint critique durant un court instant. Ceci émit une importante quantité de radiations. La personne qui manipulait le tournevis mourut d’ailleurs seulement 9 jours plus tard de l’exposition aiguë aux rayonnements. Le même genre d’accidents se répéta quelques années après, tuant également l’opérateur après quelques semaines…

Le plutonium : un matériau radioactif

Revenons en à notre cube de plutonium : imaginons qu’il n’explose pas (qu’il ne soit pas fissile, donc).

Dans ce cas, il subsiste la radioactivité.
La radioactivité, c’est un noyau d’atome qui libère une particule sans pour autant se scinder complètement en deux. Il existe plusieurs types de radioactivité, selon le type de particule émise. On distingue les particules alpha (appelée « hélion »), bêta+ (émission d’un positron), bêta− (électron) et gamma (émission d’un photon à très haute énergie). Dans tous les cas, il y a également une émission d’énergie sous la forme de chaleur.

La radioactivité du plutonium est telle que l’énergie émise suffit à le chauffer : il est dit qu’un bloc de plutonium 239 est aussi chaud qu’un lapin tenu dans les mains.

Si vous aviez pris du plutonium 238, un isotope avec juste un neutron de moins, alors le cube fondrait sous sa propre chaleur : le 238Pu est en effet beaucoup plus radioactif que le 239Pu : la chaleur émise est suffisante pour le chauffer au rouge et le faire fondre :

Photo d’un échantillon de plutonium chauffé au rouge.
Bloc d’oxyde de plutonium luisant sous sa propre chaleur.

Un bloc de 1 kg de plutonium 238 émet ainsi environ 500 W de chaleur, et cela en continu durant plusieurs dizaines d’années. Chaque gramme de plutonium 238 voit, chaque seconde, 633 milliard d’atomes se désintégrer !

Toute cette chaleur (d’origine nucléaire) est parfois mise à profit : elle est couramment utilisée dans les sondes spatiales telles que New Horizons (qui a survolé Pluton il n’y pas si longtemps) ou Cassini (qui a survolé Saturne et ses lunes entre 2006 et 2017).
New Horizons contient ainsi plus de 10 kg d’oxyde de plutonium 238 au sein d’un générateur thermoélectrique à radio-isotopes: un bloc d’oxyde de plutonium recouvert de thermocouples à effet Peltier : ces derniers transforment la chaleur en électricité, là où des panneaux solaires ne suffisent plus à cause de l’éloignement au Soleil.

Cette source d’énergie était aussi utilisée dans certains pacemakers, pour sa longue durée de vie (plus de 20 ans). Elle est aujourd’hui remplacée par les piles au lithium mais certains dispositifs au plutonium sont encore en usage.

Concernant la santé : en plus d’être super-dense, radioactif, fissile et chaud, le plutonium est également toxique : c’est un métal lourd qui présente des risques sur la santé similaires à ceux du plomb, du cadmium ou du mercure. Sa radioactivité vient s’ajouter à tout cela : donc si le plutonium ne vous tue pas aujourd’hui, elle vous tuera également plus tard.

Enfin, notons que même si ce métal est nommé d’après Pluton qui était à l’époque considérée comme une planète (tout comme l’uranium est nommé d’après Uranus et le neptunium d’après Neptune), le plutonium ne sera pas rebaptisé suite à la destitution de Pluton au rang de planète-naine.

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15 commentaires

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TD écrit :

Pourquoi utilise-t-on de l’oxyde de plutonium et pas du plutonium pur ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@TD : il est sans doute moins corrosif et plus stable mécaniquement : le plutonium possède 6 allotropes, donc 6 structures cristallines différentes, en fonction de la température. Ces 6 structures ont une densité très différente (tout comme la glace a une densité différente de l’eau) ce qui pose problème pour le conteneur, si la température change trop.


@outak : La remarque est pertinente, mais ça n’a rien à voir : si le plutonium n’était pas radioactif (et donc ne se désintégrait pas), il resterait toxique quand même.
Les autres métaux lourds (cadmium, argent, or…) présentent la même toxicité, sans être radioactifs.

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ouinouin écrit :

Salut Timo !
Très bon article vulgarisant :)

Un truc me tarabuste: si l'isotope PU238 est radioactif, comment se fait-il qu'il soit utilisé dans un satellite (les capteurs doivent j'imagine être le plus 'précis' possible, et donc être le mieux possible à l'abri de perturbations extérieures), dans un pace-maker (c'est pas comme si il y avait une personne autour du schmilblick !)... N'émet-il que du rayonnement alpha ? Ou bien son rayonnement n'est peut-être pas 'ionisant' ? (j'ai toujours eu du mal à comprendre cette notion d'ionisation...)

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Le Hollandais Volant écrit :

@ouinouin : exact, c’est du rayonnement alpha, donc stoppé par une simple feuille de papier.

ans la cas des rayons ionisants, l’énergie du rayonnement se transmet à un électron : cet électron devenue excitée, se libère de son atome. L’atome est alors devenu un ion : il est ionisé. Il ne va pas rester ainsi : il va se stabiliser en arrachant un électron à un autre atome. Cet autre atome va à son tour voler un électron à ses voisins. C’est comme si le manque d’électron se propageait d’atome en atome.

Or, un atome ionisé de la sorte qui va attaquer les autres atomes autour de lui, ça fait des dommages dans le vivant : si cet atome se trouve dans l’ADN, alors ça modifie les gènes.

Parfois ça n’a pas d’incidence, et l’organisme peut réparer ces modifications quand elles ne sont pas nombreuses (c’est le moyen qu’a l’organisme pour faire face à la radioactivité naturelle : le corps accepte et gère ça très bien.
Mais quand ces modifications sont nombreuses (lors d’une importante exposition à des radiations, par exemple), l’organisme est débordé et les gènes modifiés ne sont pas réparés. Il suffit que ces « mutations génétiques » soient importantes pour que la cellule devienne cancéreuse et que la personne devienne malade.

Les rayons alpha (ou particule alpha) sont des noyaux d’hélium qui sont émis : ces noyaux sont peu rapides mais assez massifs : ils sont arrêtés par une feuille de papier, mais ils causent beaucoup de dommages dans les cellules.
Les rayons bêta (− ou +) sont moyennement énergétiques et chargés électriquement. Ils sont arrêtés par une plaque d’aluminium et sont dangereux également.
Les rayons gamma sont hautement énergétiques et il faut plusieurs dizaines de centimètres de plomb pour les arrêter. La plupart du temps des rayons traversent la peau et les organes sans causer de dommages.

Pour le vivant, ce sont les rayons alpha les plus dangereux, mais ils sont aussi les plus simples à contenir : j’imagine que le pacemaker se trouve dans une capsule métallique.

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Tux4All écrit :

Bonjour,
Que devient le plutonium une fois que la fission est terminée (hors explosion), dans le cas des 10 kg par exemple ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Tux4All : "hors explosion" est une précision importante ici.

Si on laisse une masse de plutonium suivre le cours de son existence, alors il se désintègre de façon radioactive.
Pour le plutonium, la demi-vie est de 20 000 ans. Ça signifie que tous les 20 000 ans, la moitié de l’échantillon est désintégrée.

Ainsi, si tu as 8 kg, alors :
– au bout de 20 000 ans, il reste 4 kg.
– au bout de 20 000 ans supplémentaire (donc 40 000 ans), il reste la moitié des 4 kg, donc 2 kg.
– au bout de 20 000 ans supplémentaire (donc 60 000 ans), il reste la moitié des 2 kg, donc 1 kg.
– etc.

Au bout de 10 demi-vies, soit 200 000 ans, il reste 0,1% de l’échantillon de départ, et si on attend assez longtemps, il ne reste vraiment plus rien du tout.

Notes que la demi-vie est différente pour chaque élément radioactif : pour l’uranium 238, c’est 4 milliards d’années. Pour l’iode 131, c’est 8 jours.

Pour le plutonium, la désintégration se fait majoritairement de façon « alpha » : l’atome de plutonium éjecte une particule Alpha (2 neutrons + 2 protons, qui est aussi un noyau d’hélium) et il perd donc 2 sur son numéro atomique : il devient uranium.
L’uranium à son tour va se désintégrer et éjecter un noyau alpha et devenir (on dit "transmuter") du Thorium. Le thorium n’est pas stable non plus et il devient lui-même autre chose, et ainsi de suite jusqu’à tomber sur un élément stable.
Pour l’uranium, la chaîne de désintégration est longue : et peut même emprunter plusieurs chemins. Le produit final stable est souvent le plomb.


Dans le cas d’une bombe atomique, donc après avoir dépassé la masse critique, le plutonium devient critique : il absorbe les neutrons émis par les autres atomes et l’atome se scinde en deux atomes plus petits avec une importante libération d’énergie. Les deux atomes plus petits sont là aussi soit stables, soit instables et suivent chacun une chaine de désintégration.
Toujours dans la bombe, tous les atomes de plutonium de sont pas scindés en deux : une partie finit par ne pas réagir aux neutrons et reste donc du plutonium. Quand la bombe explose, ce plutonium finit dispersé dans la nature et se désintègre naturellement de moitié tous les 20 000 ans.

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veux tout savoir écrit :

bonjour je suis un élève ici au canada je voudrais savoir d'où vien le plutonium ceci est pour un exposé merci

veux tout savoir

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andyr écrit :

quels sont les isotopes du plutonium radioactif.

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Zulfrabioux écrit :

Bonjour, y a t' il un lien entre le plutonium et pluton dans le système solaire svp ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Zulfrabioux : absolument! Mais ça se limite au nom.

En chimie, en astronomie et même ailleurs, quand quelqu'un découvre quelque chose de nouveau (élément chimique, astéroïde, planète...), il a l'honneur de le nommer (avec certaines règles).

Il se trouve que l'élément uranium avait été nommé en l'honneur d'Uranus. L'élément suivant a été nommé neptunium, en référence à Neptune.
À l'époque, la planète Pluton venait d'être découverte (en 1930). C'etait donc logique que l'élément suivant fut nommé plutonium.

Par contre, en 2006, le statut de Pluton a été modifié : de planète, elle a été changée en planète-naine (à cause des nouveaux critères pour être considéré comme "planète", cf mon article à propos de Pluton).

Si le plutonium emprunte son nom de Pluton quand elle était une planète, le plutonium ne changera pas de nom à cause du changement de statut de Pluton.

Autrement, il n'y a pas de plutonium sur Pluton : cet élément est synthétique et uniquement produit dans les accélérateurs de particules et les centrales nucléaires. C'est juste une question de nom.

Même chose pour le mercure par exemple : l'élément et la planète ne partagent qu'un nom, celui d'une divinité grecque (toutes les planètes ont le nom d'une divinité romaines : Mars, dieu de la guerre ; Jupiter, père des dieux ; Pluton dieu des enfers ; Neptune dieu de la mer... ).

Un autre exemple : le sélénium. Ce nom fait référence à... La Lune ! L'adjectif lié à la Lune est "sélénite" (qui a donné "sélénographie", "sélénologie", par exemple), en référence à Sélénée, dans la mythologie grecque.

Enfin, l'hélium a été découvert dans le Soleil ("helios" en grec ; qui a donné "héliocentrique") avant d'être découvert sur Terre. Il fut observé la signature spectrale d'un élément inconnu (à l'époque) dans la lumière solaire. Cet élément fut baptisé "hélium".


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