Nulle mention ne sera faite ici de lentille de contact ou d’un ami dans son répertoire téléphonique : par « contact » ici, je vais parler du phénomène qui entre en jeu lors d’un contact matériel entre deux objets, deux surfaces.
Toucher quelque chose du bout des doigts, comme les touches du clavier avec lequel j’écris cet article ou votre souris ou écran tactile quand vous le lisez, est quelque chose d’anodin. Mais si vous avez eu des cours de physique au collège, et que vous ayez suivi, une question doit bondir.
En effet, on apprend assez tôt en physique que la matière est formée d’atomes et que les atomes sont essentiellement du vide ! Si un atome faisait la taille d’un stade de foot, une épingle plantée au milieu représenterait le noyau, et les mouches qui volent représentent des électrons. Tout le reste, tout l’air du stade, n’est que de l’espace vide. Du vide.
De là, tout comme deux nuées d’oiseaux peuvent s’entrelacer sans qu’aucun oiseau n’en heurte aucun autre, grâce à l’espace vide entre chaque animal, deux surfaces faites d’atomes devraient pouvoir s’entrelacer et se traverser, non :
Manifestement, cela n’arrive pas : quand j’appuie sur mon clavier, la touche s’enfonce et mon doigt ne traverse pas le clavier.
Il y a donc quelque chose qui se passe.
Une histoire de champ de force
Un atome est souvent vu comme un noyau autour duquel gravitent des électrons. Cette représentation simple et facile à comprendre reste loin de la réalité.
Pour commencer, les électrons ne gravitent pas : la gravité n’intervient pas ici. Les forces actives ici sont les forces électromagnétique. Des phénomènes purement quantiques interviennent également, empêchant par exemple les électrons (négatifs) de tomber directement sur le noyau (positif), et les maintenant sur leur orbitale électronique.
Un électron, par ailleurs, n’est pas réellement une particule au sens matériel d’une petite bille (aucune particule ne l’est vraiment). La taille de l’électron par exemple, n’est pas définie. Il y a des hypothèses disant que l’électron a une dimension purement ponctuelle. Ce qui est alors mesurable n’est alors que sa sphère d’influence.
En ce qui concerne cette sphère d’influence de l'ensemble des électrons dans un atome, on appelle ça le « nuage » ou « cortège » d’électrons (ou électronique). Or, les électrons sont tous chargés de façon négative : deux électrons quelconques ne peuvent donc que se repousser.
Quand deux atomes non réactifs arrivent l’un sur l’autre, ils vont donc se repousser : les atomes sont entourés d’un nuage d’électrons chargés négativement, agissant en véritable champ de force électrique négatif (on ignore ici le fait que deux atomes peuvent également réagir chimiquement, mais on obtient alors une molécule, avec un nuage électronique partagé par les atomes, et qui agira de façon identique) :
L’idée est donc que le champ électrique répulsif des électrons d’un objet repousse le champ électrique d’un autre objet, et donc les deux blocs de matière se repoussent.
Intensité de ce champ de force
La force électrique (et magnétique) est très intense, en particulier si on la compare à la force de gravitation. On parle ici d’un facteur $10^{35}$ entre les deux forces !
Pour donner une idée : n’importe quel aimant peut soulever un petit clou. Si on fait le bilan des forces sur le clou, on voit que le petit aimant arrive par sa force magnétique à vaincre la force de gravitation exercée par la planète Terre toute entière sur ce même clou.
N’oubliez pas : la gravité qui nous maintient au sol, est la force exercée par une planète de $6 \times 10^{21}$ tonnes ! Et à chaque fois qu’on soulève quoi que ce soit, on vainc la force d’une planète.
Le champ de force électrique au sein de la matière empêche celle-ci de s’effondrer sur elle-même. C’est cette force qui empêche les noyaux atomiques de s’approcher plus qu’ils ne le font. C’est ça qui donne du volume (rempli de vide, donc) à la matière, et c’est elle, enfin, qui fait que deux blocs de matière ne se traversent pas l’un l’autre.
Cas particuliers
Mettre deux objets en contact c’est donc comme faire léviter un objet au-dessus d’un autre, à une hauteur d’une fraction de diamètre atomique, soit quelques picomètres seulement.
Parfois la matière peut aussi réagir différemment, et ça on l’a tous déjà observé avec de la colle. La colle est une substance qui reste accrochée à la matière. On utilise ainsi de la colle pour fixer un cadre au mur.
Les liaisons chimiques
S’il n’y avait que la force électrique qui agissait sur la matière, tous les atomes se repousseraient. Dans la réalité, on arrive à mettre des atomes ensembles au sein de molécules et des cristaux. Ce sont les liaisons chimiques qui permettent ça : des comportements d’origine quantique qui font que les électrons restent à leur place au sein de plusieurs atomes, formant les molécules.
Ces liaisons maintiennent entre eux des nuages électroniques qui normalement se repousseraient.
Les liaisons hydrogène, elles, utilisent la force électrique pour maintenir deux groupes moléculaires ensemble. L’hydrogène et tout petit et peu massif. Au sein de certaines molécules, son unique électron est quasiment toujours tiré vers l’atome auquel il est lié. L’hydrogène expose donc globalement son noyau chargé positivement, et le reste de la molécule se charge négativement. Ceci permet à des molécules de s’enchaîner ensembles et donc de rester collées.
Parfois, une longue molécule peut se recroqueviller sur elle-même grâce à des liaisons hydrogène entre différentes parties de la même molécule. C'est le cas par exemple des protéines dans les cellules du vivant, et même de l'ADN. Une partie de la recherche en biologie consiste à découvrir la façon dont ces molécules sont repliées, avec de comprendre comment l'on pourrait synthétiser ces protéines nous mêmes ou même les détruire (protéines d'un virus dangereux, par exemple).
Les forces de Van der Waals
Dans le cas de la colle dont je parle au-dessus, des forces moléculaires interviennent, en particulier les forces de Van der Walls. Les liaisons de Van der Waals sont un cas plus global des liaisons hydrogène.
Ces forces prennent leur source dans la structure d’une molécule. Certains atomes dans une molécule ont tendance à attirer les électrons vers lui : c’est comme si la couverture électronique était tirée sur lui par un des atomes. Cette couverture étant négative, la molécule toute entière se polarise : une partie devient négative et l’autre positive. La colle s’accroche à la matière en faisant s’attirer ses propres régions négatives avec des régions positives de la matière. Ce ne sont pas des liaisons atomiques à proprement parler, mais des forces intermoléculaires.
La colle qui colle, la peinture qui reste sur sa toile, la patafix®, les sticky-pad pour téléphones, tous fonctionnent grâce à ce procédé. Le teflon au fond des casseroles fonctionne également comme ça, mais avec un but opposé : empêcher quoi que ce soit de coller à la poêle !
La soudure froide
Une soudure classique, chaude, fait fondre deux pièces de matière, généralement en métal, pour que leur phase liquide unisse les deux pièces et qu’elles ne fassent plus qu’une en refroidissant.
Pour la soudure froide, il n’y a pas de chauffe et aucune fonte. Il s’agit de mettre deux objets en contact et elles finissent par se solidariser avec le temps. Cela peut arriver par exemple deux glaçons : quand on place un glaçon sur un autre, ils gèlent ensemble, même en l’absence d’eau liquide.
Dans ce cas, les structures cristallines des deux glaçons fusionnent et des liaisons cristallines se forment entre les deux glaçons, à cause de leur proximité.
Plus étonnant, la fusion froide peut avoir lieu avec des métaux, comme l’aluminium. Quand on met en contact deux pièces en aluminium fraîchement décapées, elles vont se souder entre elles. On voit parfois ceci sur les selles de vélo qui sont comme collées à leur tube de maintien. Il est alors très difficile de les désolidariser, et pour cause : la tige de selle et son tube de maintien ont commencé à se souder ensembles !
Conclusion
Vous ne touchez que rarement les objets qui vous entourent : vous lez repoussez à distance avec votre champ de force électrique, comme on repousse un aimant avec un autre aimant. Le contact entre deux objets, c’est exactement ça.
Mieux, on peut exercer des pressions immenses sur deux objets pour les « coller » le plus possible. La seule chose qui se passera c’est l’espace entre les deux nuages électroniques qui se réduit. L’espace entre le nuage électronique et les noyaux ne changera pas : ce sont des comportements quantiques qui maintiennent les électrons sur leur orbitale.
Ces comportements d’origine quantique ne sont pas invincibles cependant. Quand on appuie suffisamment, l’énergie employée à exercer cette pression se transmet aux électrons qui quittent leur orbitale : la matière s’échauffe et s’ionise. On obtient alors un plasma où les noyaux atomiques baignent dans une soupe d’électrons libres. C’est ce qui se passe dans le cœur des étoiles, où la pression est suffisante pour ça.
Si on augmente encore la pression, les électrons et les protons sont forcés à fusionner pour former des neutrons. On obtient alors des étoiles à neutrons. L’ensemble de l’étoile est alors un noyau atomique unique et ultra-dense : il n’y a plus le 99,99 % d’espace vide entre les particules, qui est alors comblé par de la matière.
Encore au-delà, si l’étoile à neutron est plus massif, les neutrons eux-mêmes ne peuvent plus soutenir cette pression immense : ce sont les quarks (les constituants des protons et des neutrons) qui se libèrent. L’étoile obtenue est appelée « étoile étrange ».
Enfin, une étoile étrange a également ses limites : trop massive, les quarks eux-mêmes ne résistent plus et fusionnent tous ensemble en un point unique. C’est une singularité à la densité infinie et à l’accélération de la pesanteur si forte que même la lumière n’est pas assez rapide pour s’en libérer : c’est un trou noir. Toute matière qui s’en approche trop est alors indéfiniment perdue et piégée…