La pyrophoricité du plutonium.
Je vous avais déjà parlé du plutonium métallique et à quoi il pouvait ressembler.

Parlons-en un peu plus, tellement il est fascinant, à la fois par sa physique que par ses multiples dangers méconnus.

En effet, utilisé non-convenablement, le plutonium peut :

  • vous tuer maintenant, par exposition aiguë aux rayonnements ;
  • vous tuer plus tard, par empoisonnement aux métaux lourds ;
  • vous tuer indirectement en provoquant spontanément un incendie ;
  • vous tuer indirectement en provoquant une explosion de criticité quand on aura voulu éteindre l’incendie avec de l’eau.

Ça annonce la couleur, non ?
Donc préparez-vous à continuer de ne pas vouloir de ce matériau chez vous !

Un matériau pyrophorique et oxydable

Une propriété impressionnante pour certains matériaux, est leur pyrophoricité : leur capacité à s’enflammer spontanément dans l’air.

Le phosphore blanc ou le potassium métallique possèdent cette propriété : ils sont réactifs au point de s’enflammer au contact de l’eau ou de l’air. Le fluor en est un autre : il est tellement réactif qu’il peut attaquer n’importe quel matériau, y compris l’or, le platine ou les gaz rares pourtant très stables. Le fluor envoyé sur n’importe quel matériau (sauf l’hélium) va s’enflammer en quelques secondes.

Le plutonium métallique également est pyrophorique sous certaines conditions.

Laissé à l’air libre, il réagit avec l’humidité de l’air et produit des hydrures de plutonium, qui sont des pyrophores : des composés dont le point d’auto-inflammation est inférieur à la température ambiante : en d’autres termes, qui s’enflamment spontanément.

Cette réaction de l’humidité avec la surface du plutonium rend cette surface — déjà chaude à cause de la radioactivité — carrément incandescente et rougeoyante. C’est ce que l’on voit sur la photo d’en-tête de cet article.

Une conséquence néfaste de cette élévation de température est une élévation tout aussi importante de la réactivité du plutonium avec l’oxygène, qui se met alors à réagir avec l’air.

Dans ces conditions, ce métal s’oxyde et prend alors du volume, comme le fer oxydé. L’oxydation provoque en effet une augmentation considérable — jusqu’à 70 % — de volume par rapport au plutonium métallique. Ceci peut conduire à la destruction de son contenant, à la manière de l’eau dans une canalisation quand il gèle, dont l’augmentation de volume avoisine seulement 10 %.

Le contenant brisé, l’oxyde de plutonium — éventuellement incandescent — peut alors se répandre partout. Non seulement ceci n’est pas souhaitable d’un point de vue des radiations, mais constitue aussi une pollution aux métaux lourds : le plutonium présente, en plus de sa radiotoxicité, une toxicité similaire au plomb, au cadmium… et à l’uranium !

À noter que cette séquence d’événements façon « Rube Goldberg nucléaire » est documentée, car elle s’est déjà produite. Par exemple, au Laboratoire de l’usine de production d’armes nucléaires de Rocky Flats, dans le Colorado aux USA où deux incendies de plutonium s’y sont déclarés, en 1957 et en 1969, précisément à cause de la pyrophoricité.
Ces accidents sont longtemps restés dans le secret… incluant les légères émissions de plutonium dans la nature…

Un matériau qui craint l’eau

Les métaux comme le lithium, le sodium, le potassium… entraînent une réaction explosive au contact de l’eau. Ces éléments sont tellement réactifs qu’ils transforment l’eau en hydrogène qui lui-même explose ensuite sous l’effet de la chaleur dégagée. Ces réactions sont violentes et dangereuses, et c’est pour cela que l’on conserve ces métaux dans de l’huile et hermétiquement.

Le plutonium, bien que réactif en présence d’humidité, ne brûle pas chimiquement avec l’eau. Si on le plonge dans de l’eau, il peut juste produire une réaction nucléaire en chaîne et dégager une quantité importante de rayonnement.

En temps normal, le plutonium émet spontanément des neutrons à cause de son caractère fissile. Si un neutron est capté par un autre atome de plutonium, cet atome va éclater et également émettre d’autres neutrons en plus d’une grande quantité d’énergie. Les nouveaux neutrons vont faire de même, et ainsi de suite beaucoup d’énergie va être libérée. C’est une réaction en chaîne.

Lorsque cette réaction est incontrôlée et poussée à son paroxysme, on obtient une bombe atomique avec la puissance que l’on connaît.
Lorsque cette réaction est contrôlée et limitée avec des absorbeurs de neutrons (au bore, cadmium, gadolinium…), l’excédant de neutrons est absorbé et l’ensemble reste stable : c’est ce que l’on fait dans une centrale nucléaire (sur de l’uranium, et parfois sur un mélange d’uranium et de plutonium (combustible MOX)).

Les neutrons émis par le plutonium et l’uranium sont dits « rapides » : car ils filent à environ 20 000 kilomètres par seconde (5-10 % de la vitesse de la lumière) en ligne droite et sortent rapidement dans l’environnement. Ainsi, ces neutrons sont faiblement susceptibles de provoquer une réaction en chaîne.

Maintenant que se passe-t-il si l’on place du plutonium dans de l’eau ?

L’eau est un modérateur de neutrons : il ralentit les neutrons, sans les absorber. Dans cet état lent (2 km/s, donc 0,00005 % de la vitesse de la lumière, ou encore Mach 6 « seulement »), les neutrons sont nettement plus susceptibles de produire une fission.
En effet, ces neutrons « lents », moins énergétiques, vont rebondir sur les atomes et avoir une trajectoire plus chaotique. Au sein du plutonium, ils provoquent de nombreux chocs entre les atomes et ont davantage de chances d’en fissionner un..

On comprend donc qu’un morceau de plutonium trop petit laissé à l’air libre peut ne pas produire de réaction en chaîne, car les neutrons traversent l’air en ligne droite à haute vitesse, mais si on l’inonde avec de l’eau, alors les neutrons émis vont être ralentis et peuvent rebondir dans le plutonium où ils vont à coup sûr produire une fission.

Si la masse critique — masse à partir de laquelle la matière produit automatiquement une réaction en chaîne incontrôlée — de plutonium est d’environ 10 kg, il en suffit de seulement 500 grammes quand on le place dans de l’eau !

Un laboratoire qui possède des échantillons de plutonium d’un kilogramme ne risque pas grand-chose en temps normal, mais risque d’exploser en cas d’inondation, y compris à cause de l’arrosage suite à un incendie par exemple.
Il faut donc éviter que ce genre de choses puissent arriver de façon accidentelle, en stockant en petites quantités et dans un environnement sec et hermétique.

Un matériau luisant

Si ce qui se trouve plus haut semble, à juste titre, assez effrayant, le plutonium en quantité suffisante et les matériaux hautement radioactifs en général produisent des particules qui peuvent se déplacer à des vitesses très importantes, proches de la vitesse de la lumière, en particulier dans l’eau voire dans l’air.

Quand la particule se déplace plus vite dans l’eau que la lumière dans l’eau (mais moins vite que la lumière dans le vide, évidemment), la particule produit un flash lumineux, généralement bleuté. C’est un peu l’équivalent du mur du son, mais pour la lumière : on appelle ça l’effet Vavilov-Čerenkov.

C’est ça qui donne sa lueur bleutée au fond d’une piscine de refroidissement d’une centrale nucléaire.

Certains matériaux radioactifs sont suffisamment actifs pour que les particules émises produisent ce type de rayonnement. Placés dans l’air, ils brillent alors du halo bleuté de l’effet Čerenkov, ce qui a probablement donné cette caricature populaire où les éléments radioactifs brillent dans le noir d’une lueur bleu-vert électrique.

L’actinium est un de ces éléments très radioactifs, qui brille naturellement d’un halo luisant même en petites quantités et dans l’air

Le plutonium a besoin d’être en quantité proche de sa masse critique pour commencer à émettre des particules assez énergétiques pour briller par effet Čerenkov dans l’air. Il faudrait tout de même en obtenir plusieurs kilogrammes, mais l’on pourrait observer cette lueur en versant de l’eau dessus.

image d’en-tête de Los Alamos National Laboratory

4 commentaires

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Juju écrit :

Un peu flippant mais bien.
Quid de la nuance entre le poids et l'enrichissement ?

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blux écrit :

@timo :
Euh, ce n'est pas du plutonium dans une centrale nucléaire mais de l'uranium. Le plutonium n'est qu'un "déchet" de cette réaction, très utile pour fabriquer des bombes. Soit dit en passant, il est sans doute intéressant de constater que la France ne souhaitera sûrement pas arrêter sa filière nucléaire civile...

@juju : le poids (ou plutôt la masse) n'est là que pour s'assurer que la réaction en chaine ne va pas s'arrêter d'elle-même par manque de matière (on parle de masse "critique") une fois que tous les atomes auront été brisés. Cette réaction en chaine est modérée (ou non) selon que l'on veut s'en servir pour chauffer de l'eau afin de produire de la vapeur ou pour augmenter fortement la température externe des humains dans un rayon de plus de 10 km...
Quant à l'enrichissement, il faut savoir que l'uranium "naturel" U238 ne contient que moins de 1% de son isotope fissile U235, une réaction en chaine ne durerait que le temps de "consommer" ce U235. Il faut donc arriver à concentrer ce U235 dans des proportions qui soient "industriellement" exploitables, c'est-à-dire au moins 3% pour le nucléaire civil et plus de 90% pour une "qualité" militaire. Cet enrichissement permet d'avoir dans un même volume (et avec une masse comparable) beaucoup plus de l'isotope fissile U235 qui pourra faire bouillir la marmite.

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Le Hollandais Volant écrit :

@blux : Le MOX, utilisé dans certaines centrales est certes un déchet d’un autre réacteur, mais il est utilisable et contient environ 10 % d’oxydes de plutonium, le reste étant de l’uranium 238 (également sous formes d’oxyde).

Mais c’est vrai que je vais reformuler la phrase : c’est le contrôle de la fission qui est utilisé dans une centrale, plus que le plutonium. Le premier peut être appliqué au plutonium comme à l’uranium.

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galex-713 écrit :

« Cette réaction de l’humidité avec la surface du plutonium rend cette surface déjà chaude à cause de la radioactivité carrément incandescente et rougeoyante. »

J’ajouterais des virgules ou tirets d’incise (longs, donc : — ) autour de « déjà chaude à cause de la radioactivité », car c’est ce que c’est : une incise.

J’ai longuement bugué sur cette phrase en croyant que l’attribut de « rend » était « déjà chaude », genre « il la rend déjà chaude », et du coup yaurait eu comme cause à la fois la pyrophoricité et la radioactivité… pas logique ! tu parles d’une accumulation (explicitée par le « déjà » dans l’incise).

Bref encore un article très intéressant :))


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