Certaines expressions sont des abus de langage, et certaines expressions scientifiques également. Voici l’occasion d’en voir et d’en rectifier quelques-unes.
La chaleur monte
Parler du fait de la chaleur qui monte est — au sens propre — faux. La chaleur c’est un transfert d’énergie thermique : elle peut aller partout selon le sens où elle est rayonnée ou conduite.
Si on dit que la chaleur monte, c’est que l’on parle en réalité de l’air chaud qui monte, par simple gravité, grâce à la poussée d’Archimède.
On peut même trouver un contre-exemple à la chaleur qui monte : l’eau, par exemple, possède son maximum de densité à +3,98 °C. Ainsi, entre +0 °C et +3,98 °C, l’eau est de plus en plus dense : l’eau à +3 °C est donc plus chaude et plus lourde à la fois que l’eau à +0 °C : l’eau chaude à +3 °C ne montera pas, elle descendra par gravité quand on la verse dans de l’eau à +0 °C.
En hiver, la température de l’eau au fond d’un lac est donc plus élevée que l’eau située au-dessus, sous la glace. C’est d’ailleurs grâce à cela que les poissons survivent en hiver : ils restent au fond de l’eau, qui reste globalement à température constante toute l’année.
Le transfert de chaleur
Parlant de chaleur, le terme « chaleur » comprend déjà l’idée de « transfert ». Dire « transfert de chaleur » est donc un pléonasme. On devrait dire « transferts thermique », ou « chaleur », mais pas « transferts de chaleur ».
Cette erreur est courante, y compris sur ce blog. J’essaye cependant de l’éviter désormais. Mais l’expression « transferts de chaleur » est plus parlante que « transfert thermique » quand on essaye de vulgariser quelque chose et employer des mots de la vie courante.
La condensation sur les vitres
Physiquement, le terme « condensation » désigne la transition d’un état gazeux à l’état solide, et uniquement solide. À moins que vous formiez du givre sur la vitre en expirant près de celle-ci, la vapeur de votre bouche ne se condense pas : elle se liquéfie. La transition d’état gazeux à liquide est une liquéfaction.
ÉDIT : étymologiquement, et selon les sources, la condensation désigne le passage d’un état gazeux à un état condensé, donc liquide ou solide. Il convient cependant à différentier la condensation solide d’une condensation liquide (voir ce commentaire).
Les électrons qui gravitent
On parle souvent des électrons qui gravitent autour du noyau de leur atome. Ceci est également un abus de langage : si les électrons restent dans le voisinage de leur noyau ce n’est pas par gravité, mais grâce à la force électrique. Il intervient également des phénomènes quantiques, qui décrivent la probabilité de présence des électrons dans l’espace : un électron est ainsi beaucoup plus susceptible de se trouver autour de son noyau que partout ailleurs dans l’univers.
Les sacs isotherme
Dans le langage courant, un sac isotherme est un sac qui conserve des aliments au froid durant leur transport. En physique, on qualifie d’isotherme un processus dont la température ne varie pas.
Si on considère nos aliments, cela ne suffit pas : par exemple, de la glace qui fond est également un processus isotherme (durant la fonte, la température ne varie pas), pourtant on veut justement conserver la glace solide et pas la laisser fondre.
Il faudrait plutôt dire « sac adiabatique ». Ce terme qualifie un phénomène au cours duquel il n’y a pas de transferts thermiques avec l’extérieur. Un sac adiabatique est donc imperméable à la chaleur, et pour notre sac de conservation, c’est ce que l’on cherche.
De la glace dans un sac adiabatique supposé parfait ne pourrait alors pas fondre, si aucune chaleur ne rentre.
Cet abus de langage vient de la confusion des termes de chaleur et de température, et du fait que tout changement de température est induit l’apparition de chaleur, mais qu’un transfert thermique n’implique pas forcément un changement de température ; les changements d’états physique — isothermes mais pas adiabatique — en sont des exemples.
L’étoile du berger
L’étoile du berger est la première étoile visible dans le ciel, quand la nuit commence à tomber. C’est l’étoile qui permettait au berger de savoir qu’il devait commencer à rentrer son troupeau.
Sauf que cette étoile est en réalité une planète : il s’agit de Vénus. Vénus est l’astre le plus brillant dans le ciel (après le Soleil et la Lune, évidemment), et il apparaît donc souvent en premier dans le ciel et du côté du Soleil couchant.
La face sombre de la Lune
De l’anglais dark side of the moon, la face sombre de la Lune n’existe en réalité pas ! Toutes les faces de la Lune sont éclairées de façon périodique par le Soleil.
En revanche, s’il y a une face remarquable, c’est la face invisible de la Lune et depuis la Terre : la Lune est en verrouillage gravitationnel vis-à-vis de la Terre, et nous présente donc toujours sa même face. L’autre moitié de la surface lunaire n’est donc pas visible, mais cela ne veut pas dire que cette face soit éternellement plongée dans l’obscurité.
Un produit chimique
« Chimique » est un adjectif qualifiant ce qui est composé d’atomes. Or tout ce que l’on voit et sent est composé d’atomes, y compris l’eau ou les gens.
À la place de chimique dans le sens courant, on devrait utiliser le terme « artificiel » ou « synthétique » : le premier désigne quelque chose d’inventé qui n’existait pas avant, et le second quelque chose de produit ou répliqué.
La vanilline naturelle est extraite de la vanille : on en fait du sucre vanillé. Mais on peut aussi la produire à partir d’autres produits, et l’on obtient de la vanilline synthétique, que l’on trouve dans le sucre vanilliné. La molécule est la même, juste pas produite pareil. Dans ce cas du sucre vanillé ou vanilline, cependant, le premier contient l’ensemble du bouquet aromatique de la vanille, pas seulement la vanilline (qui en est seulement le principal). C’est pour ça qu’il est préféré par les cuisiniers, mais également plus cher à produire.
Il y a des choses qui ne soient pas composés d’atomes, à commencer par les constituants même des atomes et d’autres particules élémentaires du modèle standard. Ce qu’on appelle la matière noire et l’énergie noire ne sont a priori pas composées d’atomes non plus (elles ne semblent pas se comporter comme eux en tout cas).
Un chronomètre
Vous n’avez probablement jamais manipulé de chronomètre : ce que l’on utilise pour mesurer des durées dans la vie courante, que ce soit pour cuire un œuf ou pour mesurer votre vitesse au 100 mètres lors de votre sport du dimanche, est en fait un chronographe.
Le terme « chronomètre » désigne en effet un chronographe qui a passé avec succès des tests qualitatifs et normatifs rigoureux (ISO 3159) par le COSC (Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres), et vendu avec un certificat d’authenticité.
Donc à moins d’être un arbitre de haut niveau dans une compétition sportive officielle comme les Jeux Olympiques, vous utilisez plus souvent un chronographe qu’un chronomètre pour mesurer des durées (la certification ISO est quelque chose de rigoureux et très dispendieux).
Même remarque pour les applications chronomètre dans votre smartphone : ce sont des applications chronographe.
Une bouteille d’oxygène
Ici il faut faire attention : quand on fait de la plongée sous marine, on n’utilise pas de bouteilles d’oxygène, mais des bouteilles d’air comprimé.
En cas de plongée profonde, on peut utiliser un mélange hélium-oxygène (mélange héliox), où l’azote de l’air est remplacé par de l’hélium : en effet, en profondeur, l’azote peut devenir dangereux par ses effets narcotiques.
Dans certains cas (plongée extrême), l’hélium est lui-même toxique et on utilise des mélanges comme l’héliair (hélium-azote-oxygène) ou l’hydréhiox (hélium-oxygène-hydrogène).
Quoi qu’il en soit, l’oxygène n’est jamais envoyé pur.
La même remarque est faite pour les bouteilles utilisés par les pompiers : s’ils utilisaient de l’oxygène pur, ça serait beaucoup trop dangereux car l’oxygène est un comburant et favoriserait l’incendie !
Les bouteilles d’oxygène pur sont utilisés par exemple dans le domaine médical, en cas d’insuffisance respiratoire, ou dans l’industrie pour diverses applications. Mais pas en plongée.
(merci à Guenhwyvar dans les commentaires pour celui-ci)
Respirer de l’oxygène
D’ailleurs, parlant d’oxygène… ce que nous respirons exactement est un mélange de gaz dont l’un est non pas de l’oxygène (ce dernier n’est pas stable), mais du dioxygène. En effet, la molécule que notre corps cherche dans l’air que nous respirons est l’O2, donc du dioxygène, pas exactement de l’oxygène, ou O.
Il en va évidement de même pour le contenu des bouteilles de plongées, ci-dessus. Il s’agit d’un abus de langage, que l’on utilise bien souvent pour alléger l’écriture et la lecture, mais cela reste un abus.
(merci à Blux dans les commentaires pour celui-ci)
La bande passante
Dans la vie courante et dans le domaine de l’informatique on appelle « bande passante » le débit maximum (ou capacité) d’une connexion réseau, exprimée en Mo/s ou Mb/s. Cette terminologie n’est pas correcte : la vitesse de la transmission correspond au débit, et l’on devrait effectivement employer le terme de « débit ».
La bande passante, à l’origine, et dans le domaine du traitement du signal analogique, désigne la fenêtre spectrale utilisée par un système de transmission d’un signal analogique. Elle n’a pas réellement de sens pour un signal numérique.
Le terme de « bande passante » désigne littéralement la bande de fréquence pour laquelle un système laisse passer les signaux.
Par exemple, pour un oscillateur électronique (circuit de type résistance-inductance-capacitance, ou RLC), certaines basses-fréquences sont filtrées par le condensateur, et certaines hautes fréquences par la bobine d’inductance. Subsiste alors une bande de fréquence pour laquelle le signal n’est pas filtré : il s’agit de la bande passante pour ce circuit.
Inversement, si on envoie toute une panoplie de signaux sur ce circuit, seule celles situées dans la bande passante sortent du circuit, les autres sont bloquées.
C’est de cette manière que fonctionne un récepteur radio : parmi la flopée de signaux qui arrivent sur l’antenne, c’est un circuit RLC qui en sélectionne une seule et unique, vous permettant de choisir une station radio bien précise.
Autre exemple, la transmission du son dans l’air peut s’effectuer à peu près n’importe quelle fréquence, mais la bande de fréquences pour laquelle l’oreille humaine est capable de capter ces sons se situe uniquement entre 20 Hz et 20 kHz. La bande passante pour la transmission d’un son audible est la plage 20 Hz – 20 kHz. Tous les sons situés en dehors (infrasons et ultrasons) seront transmis par l’air, mais l’oreille ne les capte pas et ne les restituera donc pas au cerveau.
Quoi qu’il en soit, le terme de bande passante ne devrait pas être utilisé pour désigner le débit d’information d’un signal. Pour cela, le terme de débit convient parfaitement.
La vitesse tue
D’une point de vue purement physique, la vitesse ne tue pas. Que l’on se déplace à 30 km/h en voiture ou à 330 km/h dans un TGV, l’on ne se sent pas réellement différent. Et pour cause : une fois à cette vitesse de croisière, le bilan des forces qui s’exercent sur nous est nul et l’on ne ressent rien.
La vitesse n’est pas une force et n’est pas ce qui nous tue. Pour vous en convaincre : la Terre a une circonférence à l’équateur de 40 000 km et nous, qui sommes à sa surface, en faisant le tour en 24 heures. Autrement dit, notre vitesse pour faire un tour sur nous-même est de 1 666 km/h. Et l’on n’en meurt pas.
De la même façon, vous ferez le calcul si vous voulez, la Terre orbite le Soleil à une vitesse de 107 500 km/h en moyenne. On n’en meurt toujours pas.
Ce n’est donc pas le fait de rouler à 130 km/h au lieu de 110 km/h qui vous tue.
Non, ce qui est dangereux et trop souvent mortel, c’est une décélération brutale contre un mur, un arbre, un autre véhicule.
Dans ce cas, toute notre énergie cinétique liée à notre vitesse est transformée en bruit, chaleur, et en déformation du véhicule… et de vous.
Plus on va vite, plus un éventuel choc dissipera une quantité importante d’énergie et plus il sera violent. Vous aurez donc nettement plus de risque de mourir d’un accident à haute vitesse que d’un accident en roulant au pas.
Mais dans tous les cas, ce n’est pas la vitesse qui tue : c’est une accélération ou une décélération trop violente qui tue.
Perdre du poids
Quand il s’agit de maigrir pour changer d’apparence ou améliorer sa santé, ce que l’on souhaite quand on dit que l’on veut « perdre du poids » c’est en réalité « perdre de la masse ».
En effet, notre masse est la quantité de matière que l’on accumule au sein de notre corps. Notre poids, il dépend de notre masse, mais il dépend aussi de l’astre sur lequel nous nous trouvons. Ainsi, à quantité de matière égale, notre poids serait divisé par 6 si l’on était sur la Lune.
Or, si nous nous trouvons trop gros sur Terre, il y a de grande chance que nous nous trouverions également trop gros sur la Lune, quand bien même nous aurions perdu environ 83 % de notre poids.
Ce que nous voulons, c’est perdre de la masse, pas seulement du poids. C’est ça que va changer notre apparence et notre santé.
(merci à Horaels dans les commentaires pour celui-ci !)
Conclusion
Les mots ont un sens : chaleur n’est pas température. Condensation n’est pas liquéfaction. Bande passante n’est pas débit. Certes, la langue évolue, mais conserver le sens des mots existants que l’on emploie permet de continuer de savoir de quoi l’on parle, ce qui, en science probablement encore plus qu’ailleurs, est très important.
Ces quelques exemples montrent que le langage courant n’est pas toujours exact dans l’emploi de termes techniques.
La liste est loin d’être exhaustive, mais je l’étofferai si jamais d’autres de ces abus de langages me viennent en tête. N’hésitez d’ailleurs pas à mettre les vôtres en commentaire si vous en connaissez : je les ajouterais également.