Parmi les petits mystères de la vie courante, il y a celui de la buée sur le miroir de votre salle de bain : ce dernier sèche toujours du bas vers le haut. La frontière entre la région sèche et la région humide remonte le miroir au cours du séchage. Le séchage n’est donc pas uniforme : il se fait spécifiquement dans ce sens-là.
Cela peut être surprenant si l’on considère que l’air chaud monte, et donc que le haut devrait être plus chaud, et donc moins sujet à accumuler de la buée (la buée s’accumule préférentiellement sur les surfaces froides).
Si cette remarque reste juste, que l’air chaud — pas la chaleur — monte bien, votre miroir est essentiellement à la même température quel que soit l’endroit où l’on en mesure la température. D’une part, parce que le miroir conduit la chaleur d’un endroit à un autre jusqu’à s’équilibrer, et d’autre part parce qu’il est généralement accroché à un mur, et que ce dernier a une température relativement uniforme.
L’autre problème avec l’hypothèse précédente, c’est qu’elle ignore l’élément principal dans toute cette histoire : l’humidité !
Une histoire de densité des gaz
Contrairement à ce que l’intuition pourrait nous suggérer, l’air humide chargée en vapeur d’eau, n’est pas plus dense que l’air sec. Bien au contraire : l’air humide est plus léger que l’air sec. La raison est liée à la molécule d’eau elle-même, et à la façon dont les gaz se mélangent.
La molécule d’eau est une molécule très légère. Sa masse molaire est de 18 g/mol, contre une moyenne de 29 g/mol pour l’air.
Aussi1, si l’on ajoute un gaz A dans un gaz B, sans changer la pression globale, alors c’est comme si une molécule du gaz B était remplacée par une molécule du gaz A. Le remplacement se fait typiquement d’une molécule pour une molécule, quel que soit le gaz (ce principe dérive de la loi d’Avogadro-Ampère qui dit qu’un volume donné de gaz à des conditions de température et de pression données comportera le même nombre de molécules quel que soit le gaz en question).
De l’air humide n’est donc pas de l’air dans lequel on ajoute de l’eau, mais de l’air dans lequel on remplace un peu de l’air par de l’eau. Cela revient donc à remplacer une molécule de 29 g/mol par une molécule de 18 g/mol : la densité globale de l’air dans lequel on injecte de l’eau en devient plus faible.
En d’autres termes, la vapeur d’eau allège la densité de l’air.
Mécanique de l’air humide
Si l’air humide est moins dense, il s’élève. Dans une pièce fermée comme une salle de bain humide, l’humidité a donc tendance à s’accumuler au plafond. Si l’on continue de produire de la vapeur d’eau, la quantité d’air humide augmente et chasse l’air sec en dessous. Un miroir qui se trouverait exposé à cette humidité s’embue donc en commençant par le haut, jusqu’à s’embuer à un niveau de plus en plus bas.
Lorsqu’on quitte la salle de bain et que l’on ouvre la porte, l’air sec et froid du couloir arrive par le bas et c’est donc aussi le bas du miroir qui reçoit de l’air sec en premier. L’humidité sur ce dernier s’évapore dans l’air sec et le miroir sèche en bas.
Enfin, au fur et à mesure que l’air humide quitte la pièce par le haut, l’air sec remonte dans la pièce, séchant le miroir par le bas.
La même chose se produit quand on active la ventilation (VMC) : cette dernière aspire l’air humide au niveau du plafond et de l’air sec le remplace en passant sous la porte, à nouveau par le bas.
Dans tous les cas donc, l’humidité reste en hauteur et le haut du miroir sera le dernier à être exposé à l’air sec, et donc le dernier à sécher.
Notons toutefois que si l’on laisse l’air de toute la maison se mélanger, l’humidité finira par se diluer peu à peu sur toute la hauteur de la pièce, mais cela prend du temps. Beaucoup plus que pour sécher un miroir.
Conclusion
Quand on cherche à comprendre un phénomène, il est très important de tenir compte de tous les facteurs. La chaleur, l’air chaud, monte, oui c’est vrai. Mais ce n’est pas le principal élément en lien avec l’air humide d’une salle de bain. Ce titre revient, précisément, à l’humidité. Et dans le cas de l’air, l’humidité agit de façon très particulière sur l’air et notamment sa densité.
Dans cet exemple, l’air humide est moins dense que l’air sec, et donc il monte, et il commence donc par embuer d’abord le haut d’un miroir ou d’une vitre. Et lors du séchage, l’air humide stagne aussi plus longtemps en hauteur, et c’est également la dernière zone à sécher : c’est la raison pour laquelle le miroir sèche en bas d’abord puis en haut.
Un autre exemple simple, mais fascinant sur cette idée où il faut voir la totalité d’un phénomène avant de tirer une conclusion, c’est celui du thermomètre de Galilée, dans lequel, malgré les apparences, la densité des capsules colorées ne change pas en fonction de la température !
Notes
1 : Dans l’approximation des gaz parfaits, généralement appliqués pour les gaz « simples » comme ici.
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