la pyramide de nuit
Il y a environ un an, le CEA faisait la une en publiant les résultats d’une imagerie de l’intérieur de la pyramide de Khéphren, en Égypte.
Cette imagerie a été réalisé sans entrer dans la pyramide, et pour cause : il s’agissait de confirmer la présence de chambres secrètes inaccessibles sans avoir à ouvrir ou détruire la pyramide.

La technique est à la pointe : utiliser des muons (une particule exotique) et des rayons cosmiques pour « scanner » l’intérieur de la pyramide. La technologie utilisée est complexe, mais le principe est relativement simple.

Vous avez dit des muons ?

Notre matière est composée d’électrons, de protons et de neutrons. Les deux derniers sont eux-mêmes composés de quarks (up & down). Ce sont là les particules élémentaires dont la matière est faite, mais il en existe d’autres :

les particules du modèle standard
Les particules du modèle standard (source)

Le tableau du modèle standard (la liste des particules élémentaires) contient bien-sûr les quarks (de 6 types différents, en orange) et l’électron (en bas à gauche, en vert). Le muon en fait aussi partie : il est à côté de l’électron.
La matière ordinaire est composée d’éléments dans la première colonne du tableau. Sans aller dans les détails, il s’agit là des particules de masse la plus basse (la valeur exprimée en eV)

Les muons font partie de la seconde colonne : il s’agit d’un groupe de particules environ 100 fois plus massives que celles de la première colonne. Ils sont bien plus instables et n’existent que temporairement. La dernière colonne est environ 100 fois plus massif que la seconde, et sont encore plus instables (et peu connues).

Le muon a la même charge négative que l’électron. C’est une particule en tout point similaire (à tel point qu’on peut remplacer un électron par un muon, dans une molécule) à ceci près qu’il pèse 205 fois plus lourd et qu’il est très instable.

Pour créer un muon, on doit produire des phénomènes très énergétiques : atteintes dans les accélérateurs de particules… mais pas seulement !

Une autre source de muons, gratuite, est le ciel !

Les rayons cosmiques en provenance de quasars ou de supernovas situées à des centaines d’années-lumières sont des rayonnements très énergétiques (particules gamma, par exemple). Quand un tel rayonnement arrive sur Terre, il heurte les atomes de l’atmosphère et les détruit sous l’effet du choc. Une partie de l’énergie de la collision est alors convertie en masse : une particule naît.

Les muons font partie des particules créées de cette façon. Le muon poursuit sa route et arrive sur le sol. S’il ne s’est pas spontanément désintégré à cause de son instabilité, il traverse la matière (air, sol, humains…) jusqu’à heurter un atome.

Si j’avais déjà parlé les milliards de neutrinos en provenance du Soleil qui traversent chaque centimètre de votre corps chaque seconde, les muons sont tout de même moins nombreux : ce sont quelques dizaines de muons qui vous traversent chaque jour au niveau du sol.

Lors de la muographie, ce sont ces muons, formés par les rayons cosmiques, que l’on détecte.

L’imagerie par les muons

Si vous avez compris que les muons sont des particules exotiques, différentes du reste de la matière (mais tout de même connues et prévues par la physique), alors vous avez compris l’essentiel. Car le principe de l’imagerie muonique, vous la connaissez déjà : c’est la même méthode que celle des rayons X !

Si les rayons X sont envoyés sur votre corps par devant. On place un film photosensible derrière vous et on voit votre squelette quand le film photo des développé. La raison à ça est que les rayons X traversent les tissus peu denses (peau, muscles, graisses…) mais sont arrêtés par les organes denses (comme les os). Le film photographiques capture alors comme une ombre de votre squelette :

photgraphie X

Les muons font la même chose. C’est simplement qu’on utilise une source naturelle, le ciel, et qu’ils sont bien plus pénétrants que les rayons X. Pour arrêter un muon, il faut une épaisse couche de roche, et encore.

Photographier l’intérieur des pyramides et des volcans

Comme je l’ai dit : il faut des murs épais pour arrêter un muons. Plus le mur est épais, plus on a de chances que le muon soit stoppé.

Ceci est très pratique ! Car si la pyramide est creuse à un endroit, beaucoup plus de muons traverseront la pyramide à cet endroit ! Et c’est précisément ce qu’on cherche à détecter ici.

Les chercheurs ont placé un détecteur en cherchant à capter les muons qui traversent la pyramide. Connaissant le nombre de muons qui arrivent sur le monument, ils ont mesuré combien la traversent… et ils ont observé un surplus de muons à un endroit :

résultats imagerie muonique
Nombre de muons captés en fonction de la hauteur visée sur la pyramide (source)

Le surplus détecté, aux deux-tiers de la hauteur de la pyramide correspond à environ 2~3 muons par jour sur une durée de plusieurs semaines.

Ceci signifie qu’un endroit sans roche se trouve quelque part sur la trajectoire des muons en excès : autrement dit, une cavité, une chambre secrète !
En utilisant plusieurs détecteurs placés à différents endroits, les chercheurs sont parvenus à localiser la cavité plus précisément en en définir les dimensions approximatives.

Pour autant, il ne sera pas possible d’avoir davantage d’information avec cette méthode : elle n’est pas assez précise.
Ici il s’agissait principalement d’utiliser l’imagerie muonique de plusieurs méthodes différentes pour confirmer l’existence d’une chambre encore inconnue, et donc éviter d’avoir à entamer d’éventuels travaux pour rien.

Pour conclure

Les muons de conception cosmique sont des particules instables, mais c’est bien cette instabilité qui rend possible la méthode décrite dans cet article. Elle a permise de cartographier assez grossièrement l’intérieur des pyramides sans avoir à faire tomber un mur ou à entrer dedans, ce qui constitue un avantage majeur sur les méthodes plus traditionnelles.

Les pyramides ne sont pas les seuls choses à être analysés de cette façon. On analyse également des montagnes, en particulier des volcans.
En tout, de nombreuses pyramides (d’Égypte, du Mexique), des volcans (Puy-de-Dôme, Stromboli, Etna…) ont pu être cartographiées. Cette forme d’imagerie est aussi utilisée pour détecter des brisures ou des anomalies dans des structures sensibles (centrales nucléaires, par exemple). La Nasa espère également utiliser la muographie pour analyser la surface de Mars ou l’intérieur d’astéroïdes.

Dans d’autres cas, l’imagerie muonique permet de mesurer les paramètres des orages : étant des particules chargées, les muons sont déviés par les champs électriques de l’orage. Il est dès lors possible d’utiliser la muographie en météographie. Récemment, cette technique a permise de montrer que les orages produisent des tensions de plus d’un milliard de volt, ce qui est 10 fois plus que tout ce qu’on avait imaginé jusqu’alors !

Enfin, et ça sera pour terminer, si les rayons X voient l’intérieur d’objets de taille humaine et les muons l’intérieur de bâtiments géants ou de montagnes, il est possible de modéliser l’intérieur de planètes, comme la Terre, grâce à une imagerie impliquant des neutrinos. Les neutrinos sont des particules émises par les noyaux d’éléments radioactifs et ils sont très pénétrants (ils peuvent facilement traverser une planète).

Ces particules là n’interagissent avec la matière que de façon occasionnelle, et leur détection est par conséquent très difficile, mais cela reste possible. Ainsi, en novembre 2018, des neutrinos ont été utilisés pour cartographier l’intérieur de la Terre avec une méthode inédite. Ce sont ici les mesures d’atténuation des neutrinos qui a été mesurée : chaque couche interne de notre planète réduit la vitesse ou change la direction de déplacement d’un neutrino, ce qui constitue des renseignements sur les entrailles de la Terre.

photo d’en-tête d’Ahmed El Husseiny

6 commentaires

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Pouf écrit :

Bonjour.

Merci pour l'article, encore une fois très intéressant, mais quelque chose m'échappe :

Il me semble que pour déterminer l'emplacement et les dimensions des zones creuses, il faut "tirer" une ligne droite imaginaire entre le point d'impact du muon sur le détecteur (pas de soucis ici) et son origine. Or, comment savoir d'où vient précisément le muon, et donc sa trajectoire ?

Merci

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Le Hollandais Volant écrit :

@Pouf : C’est exact, mais c’est possible avec un détecteur prévu pour :)

Imagine le muon comme une balle (de fusil) et le détecteur comme un drap tendu. Si tu tires la balle à travers le drap, quelque soit l’angle de tire, tu ne sauras pas d’où il vient. Par contre, si tu tends 3 ou 4 draps les un derrière les autres, en laissant un espace entre chacun d’eux, alors tu pourras aligner les trous et savoir d’où provient la balle.

Le détecteur à muon fonctionne exactement comme ça : c’est en ensemble de surfaces détectrices placées parallèlement et les uns espacés des autres.

Cette formation en couches peut être vue sur ces schémas :
https://www.cppm.in2p3.fr/lhcb/TriggerIntro.html
https://en.wikipedia.org/wiki/File:BTeVExperiment.png

Aussi, si ce n’est pas forcément le muon qui est détecté, ça peut aussi être ses produits de désintégration, mais ça devient au même : en connaissant les trajectoires des produits de désintégration (et connaissant leur masse, taille, etc.) on peut facilement remonter à la trajectoire du muon initial.

Mais dans tous les cas, le l’appareil lui-même possède ces structure en couches de détecteur qui permet d’avec une représentation en 3D de la trajectoire.

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Pouf écrit :

@Le Hollandais Volant :

Cela veut dire que le muon "marque" chaque couche du détecteur ? Je pensais qu'on pouvait seulement détecter sa désintégration, et donc qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule interaction du muon avec le détecteur.

Comment chaque couche est-elle marquée par le passage du muon, alors ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Pouf : un muon peut bien agir sur une particule du détecteur et continuer sa course. Il n’est pas obligé de perdre toute son énergie d’un seul coup (comme une balle de fusil, encore une fois).

De la même façon, les chambres à vapeur servent à mettre en évidence des particules (émise par radioactivité, cosmique ou autre) fonctionnent en rendant visible la trajectoire des particules qui heurtent les molécules d’alcool sur leur passage : https://www.youtube.com/watch?v=ZiscokCGOhs&t=90s

Sur cette vidéo, on voit que la traînée laissée par la particule s’arrête à un moment : la particule émise n’a plus d’énergie cinétique, mais la traînée est de longueur suffisante pour réaliser des observations et tirer des conclusions quant à l’origine de la particule.

Les muons pourraient fonctionner de cette façon aussi, avec une chambre à vapeur, mais ils sont tellement pénétrants qu’avec une matière solide il est plus « facile » de les détecter. Après tout, ils viennent de traverser une pyramide en roche…

Au passage, c’est également comme ça qu’on détecte des neutrinos. Mais ça, ça se passe dans des détecteurs de neutrinos, profondément enfouis sous terre, et constitués d’immenses quantités d’eau lourde (ou autre liquide, comme du tétrachlorure de carbone) et des photomultiplicateurs, détectant le scintillement émis par rayonnement Cerenkov quand un neutrinos percute un atome.

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d écrit :

Bonjour.

Petite coquille: le taux de muon en surface (qui traverse un être humain, par exemple) n'est certainement pas "plusieurs dizaines par jour", mais bien plus. C'est évident lorsqu'on observe les événements d'une chambre à étincelle, où, sur un volume de l'ordre d'un être humain, on observe une étincelle toutes les dizaines de seconde. Mais en réalité, la question n'a de sens qu'en exprimant également l'énergie de ces muons. Par exemple, lors de la tomographie de la pyramide, le taux détecté est de 10'000 par m2 par minutes (avant sélection).

Concernant la détection: les méthodes principales se basent sur le fait que les muons sont chargés (positivement pour les muons cosmiques, vu qu'il s'agit d'anti-muons), et une particule chargée est facile à détecter, vu qu'elle ionise sur son passage. D'autant plus que le muon est une "minimum ionizing particle", perdant peu d'énergie lors de l'ionisation, et continuant donc sans problème.

Je pense que l'analogie avec le rayon X induit en erreur. La détection de la cavité n'est pas due au fait que les muons soient stoppés par la matière, mais simplement déviés. (d'ailleurs, même chose pour "plus le mur est épais, plus on a de chance que le muon soit stoppé": cela devrait être "soit dévié")


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