Bien que ce ne soit pas nécessaire pour comprendre cet article, je vous en conseille la lecture si le sujet vous intéresse :
- Pourquoi la lumière va moins vite dans l’eau ou le verre ?
- Pourquoi la lumière se propage en ligne droite ?
- Pourquoi la vitesse de la lumière est-elle ce qu’elle est ? (le présente article)
- Comment fonctionne un miroir ?
- Pourquoi la direction de la lumière change-t-elle quand elle pénètre dans l’eau ?
Le titre « pourquoi la vitesse de la lumière est-elle ce qu’elle est ? » peut être reformulé en « pourquoi la vitesse de la lumière n’est-elle pas infinie ? ». La question peut sembler étrange au premier abord : après tout, pourquoi questionner une propriété immuable de la nature ?
En réalité, j’ai besoin de ceci pour d’autres articles à venir, sur la lumière. Aussi, vous allez voir, c’est assez intéressant de se poser cette question : ça permet de voyager au cœur de la matière, ou, en l’occurrence, au cœur du vide.
La nature de la Lumière
La lumière est tantôt décrite comme une particule, tantôt comme une onde, selon ce qu’on essaye de montrer. Ainsi, la version « particule » explique très bien le phénomène photoélectrique, mais la version ondulatoire, elle, explique parfaitement les phénomènes de la diffraction, la réfraction ou les interférences.
Depuis la mise au point de la physique quantique, les interactions lumière-matière s’expliquent beaucoup mieux. Aussi, en quantique, la lumière n’est ni exactement une particule ni exactement une onde : on l’associe plutôt à ce qu’on appelle un paquet d’onde.
Il s’agirait, si j’avais à le décrire, d’une sorte de perturbation se propageant à travers un champ quantique (le champ électromagnétique, pour la lumière). Cette perturbation transporte l’énergie de la lumière :
Dans ce qui va suivre, cependant, on peut se limiter à considérer la lumière comme une onde : l’explication y sera plus simple et compréhensible, et au final ça ne changera pas grand chose.
Naissance d’un rayon de lumière
Sous cette hypothèse, la lumière est donc une onde électromagnétique. Cette onde se propage en traversant le champ électromagnétique de l’univers. Ce champ combine le champ magnétique et électrique (qui ne sont que deux facettes d’une seule chose).
Une onde lumineuse peut être émise par une particule chargée oscillant autour de son point d’équilibre, comme un électron en équilibre sur son orbitale atomique.
L’électron qui oscille constitue une charge électrique en déplacement : ceci excite le champ magnétique ambiant et une perturbation se forme dessus. Cette perturbation agit elle-même comme un aimant agité. Or, un aimant que l’on agite va induire une perturbation dans le champ électrique.
On a donc un système couplé et auto-entretenu : le champ électrique variant induit une variation dans le champ magnétique, et la variation dans le champ magnétique induit une variation dans le champ électrique, et ainsi de suite en boucle.
Les perturbations électriques et magnétiques sont donc couplées et les deux s’entretiennent mutuellement tout en progressant à travers l’espace :
Propagation d’un rayon de lumière
Les choses intéressantes commencent ici.
Dans l’air, une onde comme le son se propage comme une compression (et décompression) des molécules de l’air. Cette propagation n’est pas infiniment rapide : il faut un petit instant pour que les molécules se déplacent, augmentent la pression, repoussent les autres molécules, et reviennent à leur position d’équilibre, et ainsi de suite pour chaque molécule. Il en résultat une chose fondamentale : le son se déplace à une vitesse finie dans l’air : 340 m/s environ.
Dans l’hélium, beaucoup moins dense que l’air, les molécules sont mises en vibration plus facilement et oscillent donc plus rapidement. Aussi, le son se déplace beaucoup plus vite dans l’hélium : à environ 890 m/s. C’est à cause de ça que notre voix est aiguë quand on inspire de l’hélium.
Revenons à la lumière dans le vide : tout comme les molécules de l’air ne vibrent pas infiniment vite sous l’effet du son, les champs électrique et magnétique ne sont pas non plus excités infiniment rapidement par la perturbation électromagnétique. Bien que la lumière n’ait pas besoin de support matériel pour se propager, elle se déplace tout de même sur le champ électromagnétique. Et comme ce champ ne peut pas varier infiniment vite, la lumière se déplace elle aussi à une vitesse finie.
Voyons maintenant comment ça se passe plus en détail, pour la composante électrique d’une part, puis pour la partie magnétique.
Notion de permittivité diélectrique
Tels deux électrons dans un conducteurs ne pouvant pas se repousser infiniment rapidement à cause de leur inertie et la répulsion entre les deux, une perturbation sur le champ électrique ne peut pas se déplacer infiniment rapidement. Le champ électrique n’est pas infiniment sensible à une perturbation électrique : il lui faut un bref instant pour prendre une nouvelle valeur. Cette notion est celle de la permittivité diélectrique du vide.
La permittivité diélectrique du vide se mesure en farad par mètre.
Le farad c’est aussi l’unité de la capacité électrique d’un condensateur. Quand une impulsion électrique traverse le champ électrique, il faut un bref instant pour que le champ électrique transmette cette impulsion. Durant ce bref instant c’est comme si l’impulsion électrique était légèrement ralentie par sa progression, comme un électron qu’on aurait envoyé sur une armature déjà chargée d’un condensateur.
La valeur associée à la permittivité diélectrique du vide, notée $\epsilon_0$ est environ de :
$$\epsilon_0=8,854\ 187\ 82\times 10^{-12}\ \text{Fm}^{-1}$$
La permittivité diélectrique du vide est un nombre très faible : le vide n’accumule que très peu les charges et a au contraire tendance à très bien transmettre les impulsions électriques. Néanmoins, même si c’est rapide, ce n’est pas infiniment rapide, et cela change tout.
Notion de perméabilité magnétique
La même idée de « latence » dans la transmission d’une perturbation sur le champ électrique s’applique pour le champ magnétique : le champ magnétique résiste un peu au passage d’une perturbation magnétique. On parle de perméabilité magnétique du vide, et elle se mesure en henry par mètre.
Le henry est l’unité de l’inductance magnétique d’une bobine, qui correspond à sa capacité à ralentir le courant due à des effets magnétiques face aux électrons qui se déplacent dans la même bobine.
Pour notre vide, c’est là encore comme si le vide avait une petite inductance propre et se comportant comme une petite bobine électrique.
La valeur de cette perméabilité magnétique $\mu_0$ est environ :
$$\mu_0 = 1,256\ 637\ 061\ 4\times 10^{-6}\ \text{Hm}^{-1}$$
Là aussi, c’est un nombre très faible, et on peut dire que le vide bloque juste un tout petit peu le passage du courant.
Et la vitesse de la lumière fut…
À la lumière de ce qui se trouve ci-dessus, on voit que le vide se comporte comme un tout petit condensateur couplé à une toute petite bobine. L’un dans l’autre, ceci empêche la propagation de la lumière d’être infiniment rapide : le vide a besoin d’un peu de temps pour véhiculer la lumière.
Plus la capacité de ce petit condensateur et l’inductance de cette petite bobine sont faible, plus la lumière pourrait aller vite. On montre que la vitesse de la lumière est reliée à ces deux constantes $\mu_0$ et $\epsilon_0$, et que cette relation est de nature inverse.
La vitesse de la lumière s’obtient ainsi par la relation :
$$c = \frac{1}{\sqrt{\mu_0 \times \epsilon_0}}$$
Et vous pouvez calculer : on retrouve bien une vitesse égale à 299 792 458, et l’unité tombe également juste sur des mètres par seconde.
Historiquement, cependant, les scientifiques ont d’abord mesuré et fixé la valeur de la vitesse de la lumière, puis en ont déduit les valeurs de la permittivité diélectrique et de la perméabilité magnétique du vide.
Conclusion
Les deux constantes électromagnétiques $\mu_0$ et $\epsilon_0$, ainsi que leur origine physique — le vide se comporte comme une petite bobine associée à un petit condensateur — expliquent à elles seules pourquoi la lumière n’a pas une vitesse infinie !
Cette vitesse est ralentie par une sorte de latence qu’ont les champs magnétiques et les champs électriques à progresser.
Dans le verre ou l’eau cette latence est bien plus forte en raison de la présence de particules chargées partout (électrons, protons) et donc la vitesse de la lumière diminue dans ces matériaux (jusqu’à 60 % de ralentissement dans le diamant).
Le mécanisme de ce ralentissement est expliqué dans cet article.
S’il y a une chose à retenir ici, c’est de voir que les champs électriques et magnétiques sont couplés et s’autoentretiennent : à chaque longueur d’onde, le champ magnétique induit le champ électrique devant lui, puis le champ électrique induit le champ magnétique devant lui, et l’onde électromagnétique progresse.
Une onde électromagnétique telle que la lumière, tout comme les électrons dans une bobine, sont donc sensibles aux champs électriques et magnétiques, et s’en trouve ralentie.