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On parle des « trois états de la matière » que sont le solide, le liquide et le gaz. Il en existe pourtant d’autres : peut-être connaissez-vous le plasma ? Mais avez-vous déjà entendu parler de l’état supercritique (à ne pas confondre avec le superfluide, qui en est encore un autre) ?

L’état supercritique n’est pas rencontré dans la vie courante, mais il est fort possible que vous ayez des choses chez vous dont la fabrication ait impliqué des fluides supercritiques.

État supercritique

Si l’on observe le diagramme des phases d’un corps on note deux points remarquables : le point triple, qui est le point pression-température où ce corps peut exister à la fois sous sa forme solide, liquide et gazeuse, et le point critique :

Le diagrame de phase du CO2
Diagramme de phase du CO2, montrant les états physiques du CO2 en fonction de la température et de la pression. (image)

C’est le point critique qui nous intéresse, car si on le dépasse, le corps devient un fluide supercritique (super = « au-dessus », [du point] critique). Un fluide supercritique ne peut donc exister qu’à des hautes pressions et des hautes températures.

Pour expliquer ce qu’est un fluide supercritique et comment le produire, faisons une expérience de pensée.

Imaginez une bouteille que vous remplissez à moitié d’eau. À ce stade, la bouteille est remplie à moitié d’eau et moitié d’air. Pour notre expérience, il faut commencer par chasser l’air : pour cela, on branche la bouteille à une pompe à vide qui va chasser cet air.

On va supposer que la bouteille ne se déforme pas : on se retrouve alors avec une bouteille contenant 50 % d’eau et 50 % de vide au-dessus. Sauf que, la pression ayant baissé, l’eau va se mettre à bouillir et de l’eau gazeuse (eau sous sa forme de gaz, pas de l’eau gazéifiée et avec des bulles) va combler le vide. À ce moment, la bouteille ne contient que de l’eau dans les états liquides et gazeux.

Rappelons que dans un gaz, les molécules sont libres et espacées les unes des autres. Dans un liquide, les molécules sont toujours libres, mais rapprochées les unes des autres :

Création d'un fluide super critique 1.
Maintenant, on va chauffer la bouteille.

Sous l’effet de la température, une partie du liquide va s’évaporer et devenir du gaz. Comme il y a maintenant davantage de gaz, les molécules sont moins espacées : la pression augmente. La densité du gaz, au passage, augmente aussi.
Parallèlement, la température va dilater le liquide : les molécules dans le liquide vont s’agiter davantage et ces dernières vont prendre globalement plus de place :

Création d’un fluide super critique 2.
Si l’on chauffe suffisamment, la densité augmentant du gaz va rejoindre la densité diminuant du liquide : le gaz et le liquide obtiennent alors la même densité ! C’est à ce moment que la magie opère : les deux phases se mélangent et on obtient un fluide unique sans interface entre le gaz et le liquide ! On appelle ce fluide le fluide supercritique :

Création d’un fluide super critique 3.
Lorsque l’on avait du gaz et du liquide bien séparés, la gravité maintenait la phase liquide en bas et la phase gazeuse en haut. Si les deux phases sont de densités égales, l’interface disparaît. Il n’y a plus de liquide, il n’y a plus de gaz : tout n’est alors que fluide supercritique.

Pour obtenir un fluide supercritique en chauffant une bouteille fermée, il faut qu’il y ait assez de liquide dans la bouteille. Autrement, tout le liquide se transforme en gaz avant d’avoir atteint le point critique et on aurait simplement du gaz chaud. Il faut qu’à la température critique, il reste du liquide non évaporé. Le passage d’une situation liquide + gaz à une phase supercritique est très rapide, brusque même : en l’espace d’un instant, les deux phases disparaissent au profit d’une seule, transitant par un bref moment où les deux phases se troublent à cause des transferts de molécules d’une phase à l’autre.

Si l'on rabaisse la pression et la température, une partie du fluide va se contracter et redevenir liquide. Le liquide va retomber au fond de la bouteille et on observe de nouveau deux phases distinctes.

Cette phase supercritique pourrait correspondre à un gaz comprimé à l’extrême, ou un liquide super détendu, mais elle a quand-même des propriétés spécifiques qui la différencient de l’une comme de l’autre.

Propriétés d’un fluide supercritique

Les fluides supercritiques sont de densités intermédiaires entre le liquide et le gaz. Comme on le voit de plus sur les diagrammes de phase, ils sont situés à des températures et des pressions élevées. Pour l’eau, par exemple, il faut monter à 218 bars de pression et 374 °C ! Ce n’est donc pas dans la vie courante que l’on aura de l’eau sous sa forme supercritique.

L’eau supercritique est utilisée pour nettoyer ou désintégrer des déchets variés : les molécules d’eau réussissent à dégrader complètement les matières organiques en molécules plus petites et beaucoup moins toxiques.

Les fluides supercritiques ont généralement aussi des coefficients de viscosité plus faible : leur écoulement est moins sujet à des pertes mécaniques. Certains concepts de générateurs électriques — y compris nucléaires — prévoient l’usage d’eau supercritique pour faire tourner les turbines des réacteurs ou servir de caloporteur, offrant alors une amélioration très sensible du rendement énergétique.

Le dioxyde de carbone supercritique a également des applications dans l’industrie. Il est nettement plus facile à obtenir que l’eau, car il suffit seulement de 74 bars et 31 °C. En plus du nettoyage (à sec) comme pour l’eau et ses propriétés stérilisantes, il est utilisé comme solvant en remplacement avantageux des solvants organiques habituels. Le CO2 supercritique reste du simple CO2 gazeux aussitôt que l’on abaisse la pression et il s’évapore sans laisser de traces.

L’exemple typique est celui de l’extraction de la caféine du café, pour produire du café décaféiné (et de la caféine). La méthode traditionnelle employait des solvants organique, dont il pouvait subsister des traces dans le produit fini, ce qui n’était pas l’idéal. Même remarque dans l’extraction d’arômes et essences ou d’autres molécules végétales dans le domaine de la parfumerie ou celui de la pharmacie.

Inversement, on peut également diluer préalablement des pigments dans du CO2 supercritique en vue de teindre du textile par exemple : cette technologie apporte l’avantage de nécessiter beaucoup moins d’eau et de produits dangereux dans un secteur autrement particulièrement polluant et gourmand en eau.

Un dernier exemple de fluide supercritique, et c’est celui que l’on voit généralement dans les salles de classe ou les musées, c’est l’hexafluorure de soufre supercritique. On l’utilise pour les démonstrations « grand public » car il est très simple à obtenir : « seulement » 38 bar et 46 °C.

Notes

Bien que je parle ici d’obtenir du fluide supercritique dans une bouteille, ce n’est pas possible. En vrai, ce n’est clairement pas une bouteille que l’on utilise, mais des dispositifs spéciaux destinés à résister à des pressions de plusieurs centaines de bars. Les petites vitres pour pouvoir voir le fluide sont généralement en quartz ou en saphir très épais pour pouvoir voir sans que ça ne casse.
Pour info, un pneu de voiture, c’est 2 à 3 bars, une bouteille de soda ou une recharge de gaz 5-7 bars et un extincteur de l’ordre de 15 bars.

N’essayez donc pas de chauffer votre bouteille en verre à la maison : les conditions de pression et de température à obtenir sont beaucoup trop élevées. Vous risqueriez de faire exploser la bouteille et de mettre de l’eau brûlante partout.

image d’en-tête de Thomas Kinto

8 commentaires

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Linette écrit :

Merci pour cet article qui, encore une fois pour moi, est une réelle découverte d'un état dont je n'avais connaissance et bien expliqué qui permet une totale compréhension ^^

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Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN écrit :

▬JFP¦¦20200831¦¦Bonjour.
▬Article simple mais très bien expliqué et clair, pour dire que ce qui est simple est ce qu'il y a de meilleurs en explication. Merci pour ce nouvel article qui pose les vraies bases.
▬Pour cet état particulier de plasma, nous ne sommes pas trop d'accord avec vous, car un plasma ne renferme plus vraiment de molécules, ni mêmes d'atomes, car un plasma est une sorte de soupe d'électrons ou d'autres particules mais n'est plus une substance dit de matière à base d'atomes. Comme l'atome n'est plus présent dans un plasma, difficile alors de parler d'un état de la matière, mais par contre cet état supercritique, est un état particulier, d'un gaz ou liquide compressé à haute température, donnant des effets sûrement différents d'un liquide ou d'un gaz. Nous ne connaissons pas ce type d'état de la matière, où la température et pression donnent des effets et des résultats inhabituels... Ce qui est sûr, est que l'atome reste une énigme, même si on croit savoir ce qu'il est, car son contexte, le rend différent, et donne des états différents, et donc des effets différents...
▬Dès le départ de votre article, vous dites qu'il existe d'autres états de la matière que les trois classiques, que sont solide, liquide et gaz, et vous en donnez un quatrième dit état superfluide, qui d'ailleurs dans le titre est une phase de la matière et non un état, mais vous nous posez la question indirectement en disant qu'il existe d'autres états sans nous donner quelques exemples. Nous nous posons la question de savoir si un gel, une mousse, une pâte comme la graisse par exemple sont aussi des états particuliers de la matière, car ces structures ne rentrent pas dans les trois états connus.
▬Un exemple très simple sur ces autres états de la matière peut être le beurre par exemple. Ainsi de tartiner ses biscottes du matin au petit déjeuner avec du beurre mou, qui est resté à température ambiante, ne fait pas casser les biscottes en les tartinant. Par contre essayer de tartiner des biscottes avec du beurre sortant du réfrigérateur sera alors plus difficile à tartiner, et à coup sûr vos biscottes se casseront si vous ne prenez pas de précaution. Pourtant un beurre à température ambiante et un beurre sortant du réfrigérateur à la même pression et seulement quelques degrés de différence, et donne pourtant des états différents, si on le manipule. De cet état de pâte à l’état fluide pour ces graisses, il ne faut pas énormément de différence de température pour les rendre différentes. Nous ne savons pas si ce que nous avons énuméré, comme graisses, pâtes, mousses, gel et sûrement d'autres notions, sont des états particuliers de la matière... Si on rassemble deux blocs de ces notions énumérées, il y a bien fusion ou collage, et même pour une mousse de bulles de savon. Nous ne savons pas si pour ces notions énumérées, il y a des descriptions et des expériences réalisées. Une mousse sous pression reste t-elle une mousse ? Mais les mousses se divisent en deux notions, car certaines mousses au contact de l'air deviennent des solides enfermant des bulles d'air et deviennent donc des structures rigides mais allégées. Pour les mousses non solidifiées nous n'avons pas d'explication...
▬Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN

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marc écrit :

super article; merci

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JFP écrit :

▬JFP¦¦20200915¦¦ Bonjour. J’ai pris cet article pour poser ma question, mais il y en a d’autres possibles ...
▬Sur le dessin de "Membre du café des sciences" de votre site, on voit une tasse à café avec une évaporation représentée par une symbolisation chimique, représentant sans doute, la vapeur du café chaud qui se dégage et monte de cette tasse. Ma question est très simple :
▬Pourquoi la vapeur monte et ne se diffuse pas autour du haut de la tasse Ɂ
▬Les choses courantes et très simples sont sans doute les plus difficiles à être expliquées physiquement …
▬De dire que l’air chaud est plus léger que l’air froid est un raccourci trop facile, car pourquoi il est plus léger Ɂ Et surtout pourquoi monte t-il et ne se diffuse pas en haut de la tasse Ɂ
▬Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN

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Le Hollandais Volant écrit :

@JFP :

De dire que l’air chaud est plus léger que l’air froid est un raccourci trop facile, car pourquoi il est plus léger Ɂ

L'air chaud est plus léger car il est moins dense : les molécules sont plus agitées (car ils sont chauds), donc se repoussent davantage et occupent un volume plus grand. Il y a donc moins de molécules par unité de volume, d'où une densité plus base. Ensuite la poussée d'Archimède fait le reste : l'air froid plus dense est davantage attiré par la Terre que l'air chaud : l'air froid passe sous l'air chaud et ce dernier est forcé à remonter.

Quand à la molécule : il s'agit d'une molécule de caféine (en référence au Café des Sciences - ce logo est le leur, au passage, pas le miens).

Ensuite, il faut savoir que l'air humide est moins dense que l'air sec.
L'air est composé de diazote (masse molaire 28 g/mol) et de dioxygène (masse molaire 32 g/mol). En moyenne, la masse molaire de l'air est de 29 g/mol.
L'eau, l'humidité, a une densité de 18 g/mol.

L'eau sous sa forme de gaz est donc nettement plus légère que l'air : l'air humide (où certaines molécules de l'air (lourdes) sont remplacées par de l'eau (légère)) est donc moins dense. C'est pour ça que l'air humide monde et que les nuages se forment en hauteur.

C'est aussi pour tout ça que la vapeur du café monte au dessus de la tasse, tant qu'elle est chaude. Lorsque l'ensemble s'est refroidi, alors les molécules aromatiques du café sont diffusées un peu partout par le mouvement brownien entre toutes les molécules d'un fluide, et par les turbulences provoquées par les déplacement d'air.

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JFP/Jean-François POULIQUEN écrit :

▬JFP¦¦20200919¦¦ Bonjour. Nous vous remercions pour votre réponse très claire liée à la densité du gaz, mais nous nous posons quand même des questions. Si nous reprenons le principe de Galilée disant que toute masse tombe à la même vitesse et à la même accélération, et bien si nous prenons une plume et une enclume en les laissant tomber sur terre, cette expérience nous dit exactement le contraire, car simplement c'est le gaz de l'air qui freine les masse légères, et donc la plume arrive bien après au sol que l'enclume... Mais si nous reproduisons cette expérience sur la lune, plume comme enclume tombe à la même vitesse car il n'y a pas d'atmosphère pour freiner les objets attirés par la lune. Cela se comprend très bien, car si on décompose les objets, ceux-ci sont fait de molécules, puis d'atomes, puis encore de particules élémentaires, et quand les particules élémentaires tombent, et bien elles tombent à la même vitesses si rien ne les freinent. Au lieu de prendre l'air comme substance ayant des densités différentes suivant des volumes où les températures ne sont pas homogènes, prenons des liquides de même température, mais de densités différentes, et mélangeons ces deux liquides dans une bouteille. Si nous comprenons bien, au bout d'un laps de temps, les liquides mélangés vont se séparer, car celui de densité plus forte ira au fond de la bouteille, et donc le liquide moins dense ira forcément dans le haut de la bouteille. Il y a donc une recombinaison des liquides initiaux, simplement par le fait, qu'ils soient de densités différentes. Nous trouvons cela magique, bien que cela soit totalement banal. Maintenant reprenons notre questionnement un peu déformé, disant pourquoi ce qui est plus lourd est plus attiré par le sol que ce qui est plus léger ? Et bien nous supposons que tout ceci est lié à la gravitation, car il y a plus d'effet gravitationnel sur les substances lourdes que sur les substances légères. Ainsi voir la vapeur dégagée et montée de notre tasse à café, est liée à la notion de gravitation, et nous trouvons cela simplement magique, car par quelques degrés de différences nous voyons en réel ce que peut être les effets gravitationnels, c'est du moins ce que nous supposons et comprenons.
▬Dans l'un de vos articles de 2013, vous présentez un bel objet qui est le thermomètre de Galilée. Nous pensons que la mécanique de cet objet donnant la température ambiante, est en réalité un appareil basé sur la gravitation, ce qui semble assez curieux, mais pour nous nous c'est bien la gravitation qui donne ces effets secondaires.
▬Est-ce que nous nous trompons Monsieur le Hollandais Volant Ɂ
▬Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN

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Le Hollandais Volant écrit :
le liquide moins dense ira forcément dans le haut de la bouteille […], simplement par le fait, qu'ils soient de densités différentes. Nous trouvons cela magique
pourquoi ce qui est plus lourd est plus attiré par le sol que ce qui est plus léger ?

Alors oui, tout est une question de gravitation car c’est elle qui provoque les attractions et les forces en jeu.

Mais dès le moment où l’on a plusieurs fluides, comme ici l’huile et l’eau par exemple, il faut prendre en compte la poussée d’Archimède qui explique ça très bien :

Tout corps plongé dans un fluide au repos, entièrement mouillé par celui-ci ou traversant sa surface libre, subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé

Si tu mets 10 cm3 d’eau (donc 10 grammes) dans de l’huile, alors le niveau de fluide dans le récipient va monter. La quantité d’huile qui monte est de 10 cm3. L’huile ayant une densité de 0,9 (environ), ça signifie que le poids de l’huile déplacé est 9 grammes. La force exercée par l’huile sur l’eau est donc de 9 gramme-force (soit 0,09 newton).

Maintenant, si tu mets 10 cm3 d’huile (donc 9 grammes) sur de l’eau, alors le niveau d’eau va également monter. La quantité d’eau qui monte est toujours de 10 cm3. Sauf qu’ici, le poids de l’eau déplacé est de 10 grammes (l’eau ayant une densité de 1). L’eau exerce donc une force de 10 gramme-force (soit 0,10 newton).

Dit autrement : l’eau appuie — vers le haut — davantage sur l’huile que l’huile appuie sur l’eau. L’eau finit donc par pousser l’huile vers le haut.


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