Quand on envoie une sonde spatiale dans l’espace, en vue d’explorer une planète particulière, par exemple, on ne l’envoie pas directement en direction de cette planète.
Déjà, pendant la durée du voyage de la sonde (qui peut prendre plusieurs années), la planète aura bougé. Il faut donc viser non pas la position actuelle de la planète, mais la position de la planète lorsque la sonde arrivera sur son orbite.
Ensuite, une deuxième raison, il faut tenir compte de la difficulté d’envoyer une fusée vers un autre monde. Ce n’est pas aussi simple que de jeter un ballon de basket en direction du panier. Il faut plutôt le voir comme jeter un ballon autopropulsé depuis une voiture en mouvement vers un panier également en mouvement avec des joueurs munis de battes de baseball situées entre le panier et vous. L’exercice est donc difficile en soi et il s’agit de compenser tous les mouvements et interactions en présence pour atteindre sa cible, et de préférence du premier coup.
Enfin, une troisième raison, c’est que l’on souhaite rarement s’impliquer dans un projet scientifique si l’on sait qu’on ne pourra pas en voir l’aboutissement au cours de sa vie, voulant dire par là que la durée de la mission doit être réduite le plus possible afin que les scientifiques vivent assez longtemps pour voir la mission aboutir.
Quand il s’agit d’envoyer une sonde spatiale vers Saturne, Jupiter ou Pluton, le voyage en lui-même dure déjà 5, 10, voire 15 ans !
Les deux premiers problèmes sont facilement solvables. Pour le dernier, il faut réduire la durée du voyage de la sonde. Pour ça, il faut que la sonde aille plus vite.
Une solution pour cela est d’utiliser l’assistance gravitationnelle des autres planètes : la sonde va passer à proximité d’une planète tierce — pas celle que l’on veut étudier — et récupérer de la vitesse à ce moment-là.
Comment fonctionne l’assistance gravitationnelle ? C’est l’objet de ce billet.
Principe de la manœuvre
Le principe de base de l’assistance gravitationnelle, comme expliqué brièvement, c’est de passer à proximité d’une planète, puis de profiter de l’attraction gravitationnelle pour gagner de la vitesse, et enfin de repartir plus rapidement que l’on est arrivé.
Au premier abord, il peut sembler logique de se dire que la sonde qui arrive vers la planète accélère, mais ne devrait au mieux seulement repartir aussi vite qu’elle est arrivée.
Or, avec l’assistance gravitationnelle, on arrive à s’éloigner beaucoup plus vite que durant la phase d’approche. La sonde a donc bien gagné de la vitesse et donc de l’énergie.
Par exemple, la sonde Voyager 1 lancée en 1977 approchait Jupiter en 1979 avec une vitesse d’environ 15 km/s (54 000 km/h). À son plus proche de Jupiter, elle voyageait à une vitesse de 38 km/s (136 800 km/h). Mais quand elle s’en éloigna, elle le fit avec une vitesse d’environ 22 km/s (79 200 km/h). On voit donc que la sonde a fortement accéléré, puis a ralenti un peu, mais qu’au final, elle est repartie sensiblement plus vite qu’elle n’est arrivée, ce qui est le but recherché.
Comment est-ce possible ?
Un phénomène pas aussi trivial que ça
Comment peut-on partir plus vite qu’on est arrivé ? D’où provient l’énergie acquise par la sonde ?
Déjà, oui : en s’approchant de la planète, on gagne de la vitesse. Beaucoup de vitesse, et en partant, on en perd forcément… mais pas tout ! Il suffit de voir l’exemple avec Voyager 1 et Jupiter ci-dessus.
Pour comprendre, il ne faut pas oublier que Jupiter avance sur son orbite : il est en mouvement ! Quand on s’approche de lui, on est comme partiellement pris au piège par sa pesanteur.
Ainsi, si l’on pouvait se poser sur Jupiter, on partagerait toujours la vitesse de Jupiter lui-même ! Et celle-ci, cette vitesse, une fois qu’elle est acquise par la sonde, elle peut la conserver. La sonde reçoit donc bien une certaine quantité d’énergie cinétique simplement en « s’accrochant » à Jupiter (par la force de gravité) !
Une analogie peut-être de prendre l’exemple de Tarzan qui saute de branche en branche : s’il ne fait que sauter d’une branche à une autre, seule sa direction change, pas sa vitesse :

Mais si maintenant la branche est elle-même en mouvement, alors, quand Tarzan relâche la branche, il conserve la vitesse de déplacement de cette branche en plus de la sienne :

Il sautera alors beaucoup plus haut, et de plus en plus haut s’il peut sauter plusieurs fois de suite sur différentes branches en mouvement.
Ce principe est utilisé par les voltigeurs et acrobates dans un cirque : ces derniers utilisent la force et l’énergie d’un coéquipier pour augmenter leur propre inertie et gagner en vitesse ou en hauteur.
Même chose quand on fait de la balançoire : à chaque phase de descente et de montée, on replie ou étend les jambes pour modifier son moment d’inertie et pouvoir aller plus haut. Sans le savoir, en fait, quand on fait ça, on injecte de l’énergie dans notre mouvement : étirer ou rétracter ses jambes demande de l’énergie musculaire, et au final, cette énergie est convertie en énergie cinétique (vitesse) puis potentielle.
Idem pour Tarzan : il a fallu mettre la branche en mouvement ! l’énergie acquise par Tarzan provient de la source d’énergie qui a mis sa branche en mouvement. Elle ne sort donc pas de nulle part.
Pour en revenir à la planète, la sonde s’approchant d’elle par-derrière se « hisse » à la planète en mouvement sur son orbite pour gagner de l’énergie puis s’en éloigne pour repartir en conservant un maximum de cette énergie.
l’énergie captée par la sonde est obtenue au moment où la planète attire la sonde vers elle.
Maintenant, il ne faut pas non plus oublier que si la planète attire la sonde, la sonde attire également la planète ! La planète se dirige donc également un tout peu vers la sonde.
l’ensemble étant en mouvement orbital, c’est donc comme si la planète ralentissait très légèrement sur son orbite, alors que la sonde accélère !
Ce que la sonde gagne en vitesse, la planète, elle, le perd. La sonde vole donc de l’énergie orbitale à la planète.
Bien-sûr, la sonde est infiniment moins massive que la planète. La sonde peut donc accélérer de plus de 70 000 km/h, la vitesse perdue par la planète est absolument imperceptible.
Et avec un astre immobile, comme une étoile ?
L’assistance gravitationnelle telle que décrite ci-dessus consiste donc à dérober de l’énergie orbitale à une planète pour permettre à une sonde spatiale d’aller plus vite.
Si l’on essaye de faire la même chose avec un astre immobile (dans le référentiel considéré), l’astre n’a pas de vitesse orbitale et il ne sera pas possible de lui en voler. Par exemple, il n’est pas possible d’aller plus vite en envoyant une sonde vers le soleil pour en faire le tour et s’en éloigner plus vite.
Il y a néanmoins d’autres méthodes fonctionnant pour des astres immobiles.
Pour cela il faut se rendre compte que la force de gravité, quoi que très faible dans l’absolu, est immensément forte quand on considère la gravité produite par une planète ou une étoile, tout simplement parce que ces astres sont immensément massifs. Ceci pour dire qu’il faut donc énormément de carburant pour vaincre ces forces. Dans une fusée typique, la masse de carburant représente ainsi 90~95 % de la masse totale au décollage : seules les 5 % restants correspondent à la masse de la fusée et la masse de la charge utile.
Toute cette masse de carburant doit être mise en mouvement et suivre la fusée. Chaque litre de carburant ajouté demande donc un surplus de carburant rien que pour soulever ce litre de carburant, et ce surplus de carburant en demandera d’autant plus. Vous voyez le problème (solvable avec l’équation de Tsiolkovski) ?
Imaginons désormais un vaisseau spatial. Une fois dans l’espace, loin des planètes, le carburant à bord constitue une masse non négligeable qu’il faut également accélérer si le vaisseau souhaite aller plus vite.
C’est dans cette configuration que l’assistance gravitationnelle d’un astre, même immobile, peut devenir intéressante. Plutôt que de brûler du carburant pour aller plus vite, on va s’approcher d’un astre par gravité, et moteurs éteints. Cette gravité accélérera le vaisseau ainsi que le carburant du vaisseau ! Ensuite, quand on est au plus proche de l’astre et au plus rapide, on rallume les moteurs et on cherche à s’éloigner de l’astre en maintenant notre vitesse.
Le carburant produit toujours autant d’énergie, mais il se trouve qu’une fois brûlé et les gaz propulseurs éjectés, la répartition de l’énergie est différente.
Quand le vaisseau est initialement à l’arrêt, l’intégralité de l’énergie du moteur est transmise au gaz éjecté : le gaz est éjecté à très haute vitesse vers l’arrière mais le vaisseau n’a qu’une très faible vitesse. Au fur et à mesure de son accélération, de plus en plus d’énergie est transmise au vaisseau plutôt qu’aux gaz éjectés. Et plus le vaisseau va vite, plus la proportion d’énergie transmise au vaisseau est importante.
En effet, à haute vitesse, le vaisseau et le carburant sont déjà en mouvement et le carburant possède lui aussi son énergie cinétique. Dans ce cas-là, quand on allume les moteurs, une partie de l’énergie cinétique du carburant (en mouvement avec le vaisseau) est récupérée et captée par le vaisseau.
Si l'on résume, l'approche d'un astre va donner de l'énergie à la sonde plus à son carburant. L’ensemble aura donc une vitesse beaucoup plus grande. A ce moment là, on se débarrasse du carburant en récupérant son énergie cinétique, puis on s'éloigne de l'astre. L’éloignement se fait alors à haute vitesse et plus facilement, car il y a toute la masse de carburant en moins à accélérer.
On appelle cela la manœuvre d’Oberth, et elle permet ni plus ni moins d’optimiser l’extraction de l’énergie contenue dans le carburant en récupérant non seulement son énergie chimique grâce à la combustion, mais également une partie de son énergie cinétique, acquise « gratuitement » grâce à l’assistance gravitationnelle.
Cet effet est une des méthodes possible pour profiter de l’assistance gravitationnelle d’un trou noir, dont il n’est pas, a priori, possible d’extraire quoi que ce soit, mais qui reste un astre comme tout autre.
Pour résumer
l’assistance gravitationnelle telle qu’on l’entend normalement revient à voler de l’énergie cinétique orbitale à un astre pour la transmettre à une sonde spatiale en vue de la faire accélérer.
En pratique, en passant près d’une planète, la sonde gagne en vitesse et peut ensuite s’en éloigner nettement plus vite. L’énergie gagnée par la sonde est volée à la planète ou à l’astre, qui s’en trouve ralentie.
Bien-sûr, l’énergie cinétique de la planète étant immensément plus grande que celle de la sonde, sa baisse de vitesse est imperceptible.
Inversement, en passant de l’autre côté de la planète ou en arrivant de face, on peut s’en servir pour ralentir une sonde spatiale.
l’assistance gravitationnelle est quelque chose de très utilisée par les sondes spatiales et permettent à celles-ci d’atteindre leur objectif beaucoup plus rapidement.
Bien-sûr, l’assistance gravitationnelle permet aussi de dévier sa trajectoire par rapport à une ligne droite, ce qui est également parfois utile. C’est par exemple ainsi que les premières fusées Apollo (qui ne faisaient que survoler la Lune) contournaient la Lune pour se rediriger en direction de la Terre, simplement avec une manœuvre gravitationnelle.