Certaines personnes se perdent parfois sur Wikipédia (et constatent qu’on finit toujours sur la page de la philosophie), d’autres parfois dans la liste des normes ISO étranges.
C’est ainsi qu’on peut découvrir la norme ISO 3103, intitulée Thé — Préparation d’une infusion en vue d’examens organoleptiques.
Cette norme décrit, à l’aide de schémas et de plans côtés, une méthode standardisée pour préparer du thé. Préparer. Du. Thé.
Oui, il s’agit d’une norme bien réelle et n’est pas une farce. Pourquoi une telle norme ?
Faut-il une norme pour du thé ?
La norme ISO 3103 peut prêter à sourire, mais il s’agit d’un travail sérieux. Elle est une transposition de la norme BS 6008:1980 de l’Institut Britannique des Standards (BSI), qui reçut d’ailleurs un prix IgNobel — une version parodique des prix Nobel — pour ce travail. L’idée des IgNobel est de récompenser les travaux scientifiques à première vue ridicules, mais à seconde vue intéressants. Et c’est un peu le cas ici, pour l’ISO 3103, mais aussi toutes les normes en général.
La norme ISO 3103 n’est probablement pas la plus utilisée au monde, mais elle permet de mettre tout le monde d’accord pour ce qui est d’un thé, qui est un produit parfois utilisé lors de la réalisation de tests sensoriels et gustatifs, ou « examens organoleptiques » comme ils l’appellent.
Le but est d’éviter que ce genre tests sensoriels soient entachés d’erreurs si la coutume locale d’un institut de recherche fait du thé à sa façon. Un thé préparé au Japon n’est pas le même qu’un thé préparé au Maroc, par exemple, et tout ça peut poser problème au cours d’études scientifiques.
Pour mettre tout le monde d’accord, notamment sur le temps d’infusion ou la quantité de plante, cette norme fut créée.
On peut faire le parallèle avec les tests de vision des couleurs. Certains domaines d’activité exigent que les personnes perçoivent les couleurs de façon normale. On peut imaginer certains domaines (en cuisine, ou en œnologie, par exemple) où il faille des tests standardisés liés au goût et à l’odorat. Dans ces là, il faut des protocoles également standardisés pour tester les gens sur leur aptitude à distinguer les goûts. D’où ce genre de normes, qui met tout le monde d’accord sur la façon de préparer un thé « type ».
La norme n’est pas destinée à préparer une tasse de thé parfaite, mais plutôt un thé « contrôle », ou neutre. Pour une tasse de thé parfaite, on pourra prendre l’essai littéraire de George Orwell : « A Nice Cup Of Tea ».
Pourquoi tout normer ?
Ce qui est expliqué ci-dessus par « mettre tout le monde d’accord » est précisément le but de tous les organismes de standardisation. L’ISO, le CEI, l’Afnor, le Tüv et d’autres organismes servent à cela. Mettre tout le monde d’accord.
Vous en connaissez sûrement un petit nombre car il suffit de regarder sur un chargeur de PC pour voir leur logos :

L’ISO, dont l’acronyme signifie en français « organisation internationale de standardisation », sont ceux qui définissent les standards industriels à l’échelle internationale.
Un standard — ISO ou non — est juste une règle, une loi, destinée à l’industrie et que l’on peut même ne pas être obligé de suivre. On la suit seulement si on a besoin : satisfaire un client, par exemple.
Une norme permet de simplifier le travail de tout le monde : si plusieurs industriels respectent la même norme, cela permet et même garantir une forme d’interopérabilité entre les différents acteurs de l’industrie concernée.
Un exemple très simple : les prises de courant. On visualise très bien ce que c’est : les deux broches, phase et neutre, la fiche de terre… Pourtant rien n’empêche un industriel de positionner ces broches d’une autre façon.
Ainsi, la prise type « E/F » utilisée en France (norme CEI 60320) n’est pas la seule qui existe. Certains ont peut-être vu des prises de type G anglaise (standard BS 1363) ou encore des types J suisse (SEV 1011). Il en existe un paquet d’autres dans le monde, et tous ne sont pas compatibles entre-elles ! Ces différences subsistent de façon historique aujourd’hui à travers le monde.
Maintenant, à l’intérieur d’un même pays, les normes permettent une uniformité : si ces normes n’avaient pas été établies (par le CEI, l’ISO, le BSI, l’Afnor…) alors chaque fabriquant aurait pu faire une prise dédiée. Pire, chaque appareil aurait pu fonctionner avec un type de courant différent : alternatif, continu, 220 V, 150 V… Ça aurait été très difficile à gérer.
On se souviendra de l’époque où chaque téléphone avait son propre format de chargeur, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, c’est la norme USB (IEC 62680) qui a été retenue par l’industrie, ou imposée par la législation (en Europe notamment) pour les téléphones portables et d’autres petits appareils. Depuis, les prises USB se retrouvent partout et on peut brancher n’importe quel câble et charger n’importe quel appareil dessus.
Le fait que les fabricants d’appareils en tout genre se mettent d’accord permet à tous de s’y retrouver. Les utilisateurs, mais aussi les fabricants d’accessoires : il suffit de respecter la norme USB et on sera certain que tous les téléphones accepteront vos câbles.
Certains standards ne sont pas légalement obligatoires et les constructeurs peuvent choisir de se mettre d’accord entre eux. Parfois en revanche, le respect de certains standards est imposé pour qu’un industriel puisse commercialiser son produit. C’est généralement pour tout ce qui concerne la sécurité, des ceintures de sécurité de voitures, aux extincteurs en passant par la disposition des issues de secours dans un bâtiment.
Maintenant il y a des standards pour à peu près tout : du format et des vitesses des disques durs (norme SATA), au format des photos pour les permis de conduire français (Afnor NFZ 12-010), en passant par la définition de la note de musique du La 440 Hz comme la note de référence dans le domaine musical (ISO 16) ou la taille d’un conteneur de transport de marchandises (ISO 6346), d’une balle de fusil de guerre (7.62×51mm NATO), ou d’une feuille de papier A4 (ISO 216).
Oui, c’est grâce à l’ISO que tous les musiciens utilisent le La 440 de référence : avant, chaque pays, chaque conservatoire avait sa note de référence. Rien qu’à Paris, la note référence a changé trois fois au XIXe siècle : 420 Hz en 1807, 430 Hz en 1829 puis 435 Hz en 1859. Ce dernier a été accepté par l’Autriche, mais pas l’Allemagne, qui préférait alors la note à 440 Hz depuis 1835, tout comme les américains depuis 1936, qui ont ensuite standardisé ça chez eux puis à l’ISO en 1975.
Le but n’est pas de rendre la vie compliquée à coup de restrictions, mais de rendre la vie plus simple en fournissant des spécifications techniques qui seront vouées à fonctionner à tous les coups. Si différents fournisseurs respectent la même norme, leurs produits fonctionneront ensemble sans tracas.
Conclusion
L’ISO permet de poser un cadre pour permet à l’industrie de fonctionner facilement, un peu comme les textes de loi d’un pays posent un cadre permettant à la société de fonctionner correctement.
L’industrie aujourd’hui n’aurait jamais pu être ce qu’elle est sans l’ISO ni le reste. Vous imaginez si chaque voiture avait son propre carburant unique ? Chaque marque de frigo sa propre prise ? Chaque télécommande son propre format de pile ?
Certaines normes pourraient encore naître (par exemple pour les formats de cartouches d’imprimante), et d’autres améliorées (il reste encore beaucoup de formats de piles électriques différentes), mais globalement on est pas mal.
Notons que pour les cartouches d’imprimante, par exemple, les industriels n’ont aucun intérêt économique à se voir imposer une norme… Comme j’ai dit : si le législateur ne l’impose pas, les normes sont utilisées seulement si les différents acteurs le veulent bien. Et tant qu’il n’y a pas d’accord entre les acteurs, rien ne se passera.