un camion bétonnière, malaxeur
Sauf si vous vivez dans un chalet ou une hutte, vous avez probablement des éléments en béton partout autour de vous : murs, dalles au sol, mobilier urbain, poteaux électriques… à tel point que je suis donc sûr que vous savez à quoi ça ressemble. Pourtant, il est possible que vous ne savez pas comment on le fabrique !

Le béton, ou plutôt le ciment que l’on utilise dans le béton se présente au départ comme une poudre grise, à laquelle on ajoute de l’eau pour former une pâte. On fait ensuite sécher cette pâte dans la forme et le lieu choisi pour le faire durcir. Non ?

En réalité, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Le béton, ou plutôt le ciment est de ces choses de la vie courante (comme les arbres !) qui fonctionnent de façon contre-intuitives.

Contrairement à de la peinture à l’eau, le ciment ne sèche pas : il prend. Et le ciment peut très bien aussi « prendre » sous l’eau, en milieu totalement immergé. Son durcissement ne résulte en effet pas d’un séchage mais d’une réaction chimique dans laquelle l’eau a un rôle important. Voyons tout cela !

béton ou ciment ?

Le béton est ce qu’on utilise pour faire des dalles ou des murs : c’est un mélange de gravier et de ciment.

Le ciment est là pour coller les graviers entre-eux et former un bloc solide. On pourrait se passer des graviers, mais le béton est de cette façon plus solide que le ciment seul, et il est également moins onéreux. Le ciment est cher à produire et l’inclusion de sable, de graviers et/ou de cailloux permet de réduire les coûts. Les propriétés mécaniques (rigidité, élasticité, solidité…) et l’aspect varient en fonction de la proportion de ces inclusions.

Au sein du béton, les inclusions ne participent pas à la chimie responsable de son durcissement. Seul le ciment fait intervenir des réactions chimiques et c’est donc de ça que cet article va parler.

La chimie du ciment

Le ciment, plus précisément le ciment Portland (le plus utilisé) est une poudre grise très fine obtenue après un traitement chimique et thermique de roches calcaire, de gypse et de et divers minéraux dans les cimenteries. Je ne parlerai pas de ce traitement ici, mais seulement du processus de prise, donc du durcissement final du ciment.

La poudre grise du ciment Portland contient divers minéraux, en proportions quelque peu variables qui sont :

silicate tricalcique$3\text{CaO}\cdot\text{SiO}_2$de 45 à 79,7 %
silicate bicalcique$2\text{CaO}\cdot\text{SiO}_2$de 5,7 à 29,8 %
aluminate tricalcique$3\text{CaO}\cdot\text{Al}_2\text{O}_3$de 1,1 à 14,9 %
aluminoferrite tétracalcique$4\text{CaO}\cdot\text{Al}_2\text{O}_3\cdot\text{Fe}_2\text{O}_{3}$de 2,0 à 16,5 %
gypse$\text{CaSO}_4\cdot2\text{H}_2\text{O}$de 3 à 5 %

Ce sont ces éléments qui vont réagir chimiquement avec l’eau que l’ont va rajouter à la poudre.

Premièrement, l’eau va réagir avec l’oxyde de calcium, le $\text{CaO}$, ou chaux vive, présent dans l’aluminate tricalcique — très réactif — et rapidement former de l’hydroxyde de calcium. Le gypse permet de contrôler et ralentir cette réaction pour éviter une « fausse prise » trop rapide.
Étant donnée que l’on ajoute de l’eau et que l’oxyde de calcium prend un hydrogène pour devenir de l’hydroxyde de calcium, cette étape est appelée l’hydratation.

S’il y a assez d’eau, ce produit est à l’état de solution ionique et c’est un milieu très basique à cause des ions $\text{OH}^\text{-}$. Les ions présents dans la pâte liquide se réassemblent en cristaux longs et fins de monosulfoaluminate de calcium hydraté $3\text{CaO} \cdot \text{Al}_2\text{O}_3 \cdot 3\text{CaSO}_4 \cdot 32\text{H}_2\text{O}$, aussi appelé de l’ettringite. Cette réaction se produit après quelques minutes seulement, et dégage très rapidement beaucoup de chaleur.

On dit maintenant que le ciment est en phase « dormante » : rien ne semble se passer, mais les cristaux d’ettringite, qui ne sont que des produits intermédiaires de la réaction disparaissent de façon imperceptible. On obtient une « soupe » de différents ions et le béton est alors relativement liquide.

Les silicate tri‑ et bi‑calcique ne sont pas aussi réactifs que l’aluminate. Ils vont déshydrater l’etrringite en monosulfoaluminates de calcium $\text{CaO} \cdot 3\text{Al}_2\text{O}_3 \cdot \text{CaSO}_4 \cdot 12\text{H}_2\text{O}$, pour réagir eux-mêmes et former de l’hydroxyde de calcium (portlandite) : $\text{Ca}(\text{OH})_2$. Cette réaction là, de formation de portlandite, peut commence quelques heures après le mélange et s’estompe lentement, perdurant des mois. Là également, une bonne quantité de chaleur est émise :

portlandite et ettringite
Des cristaux d’ettringite (longs et fins) et de portlandite (en gros blocs), vu au microscope électronique (image)

Les autres ions et éléments présents (oxydes de fer et d’aluminium) privés d’eau vont également retrouver leur forme cristalline sans vraiment participer à la cohésion du ciment.

Une fois solide, l’ensemble forme une masse où divers cristaux s’enchevêtrent. Cette structure est très solide et donne au béton sa dureté bien connue.

Enfin, une grande quantité de chaleur est libérée par le prise du béton, que ce soit tout au début lors de la formation de l’ettringite ou un peu après quand c’est le portlandite qui se forme. Si vous coulez une grande dalle de béton, il convient de prendre ceci en compte : le centre de la dalle risque de chauffer beaucoup plus que l’extérieur. Si l’ensemble chauffe trop, il peut alors fissurer, ce qui fragilise l’ensemble de la structure (et dans le cas d’un pont ou d’un mur, ce n’est clairement pas l’idéal). Aussi, il n’est pas rare que le béton soit maintenues au chaud avec des radiateurs ou des réchauds lorsque de grandes pièces sont coulées par temps froid. Ceci afin de réchauffer les couches extérieures de la pièce pour réduire la différence de température avec le cœur, et éviter les tensions mécaniques au sein du bloc de béton.

Conclusion

Pour conclure, comme on peut le voir, l’eau ne s’évapore à aucun moment. Il réagit simplement avec les minéraux dans le ciment et prend part dans la réaction et dans la structure solide finale. En tant que réactif, donc, il convient donc de bien doser l’apport en eau dès le départ, pour permettre au béton final d’être homogène sans qu’il reste de bulles d’eau ou de zones n’ayant pas réagit par manque d’hydratation.

Une dalle de béton, aussi moche et ennuyeux que ça peut sembler, renferme là aussi bien de la science, en l’occurrence de la chimie !

Références

image d’en-tête de Tom VanNortwick

8 commentaires

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Juju écrit :

Et donc rien de tout cela n'arrive dans la bétonneuse rouge & jaune !

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AdnX écrit :

Tres intéressant! Merci

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Loukatao écrit :

Bonjour,
Depuis le dernier accident de Gênes, on nous dit que le béton vieillit, ce qui est assez flippant vue tous nos immeubles et autres constructions en béton.
Peux-tu nous expliquer quel phénomène agit sur cette dégradation du béton et à quel rythme.

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Le Hollandais Volant écrit :

@Loukatao : Certaines constructions romaines sont encore là après 2 000 ans : le pont du Gard et les arènes de Nîmes ou d’Arles pour ne citer que ça. Ils avaient une sorte de ciment à eux (dont la recette a été perdue) qu’ils utilisaient pour souder les pierres entre elles. Ça tient toujours.

Concernant le ciment, la prise continue durant des mois, voire des années après la pose. Donc la structure minérale du béton continue de changer durant longtemps. Je ne sais pas si c’est vraiment ça qu’ils entendent par « vieillir ».

À mon avis, c’est plutôt la construction qui vieillit, plus que le béton. Les fluctuations de température (chaud, froid…) provoquent des contraintes mécaniques sur la structure toute entière : torsion, élongation, contraction, compression…
Sans compter le vent, les tremblements de Terre, même les toutes petites qu’on ne sent pas (l’Italie est relativement exposée, comme une bonne partie de la méditerranée), les voitures qui passent dessus (mine de rien), et les précipitations (dont certaines peuvent très bien être des pluies acides, qui attaquent le béton).

Tout mis ensemble, des imperfections microscopiques dans la structure peuvent s’aggraver avec le temps sous l’effet de ces agressions. Et s’il n’y a pas d’entretien, d’inspection, de réparations, ben un jour il suffit qu’un vélo passe et le pont s’effondre (on en revient toujours au même : si personne ne paye pour vérifier l’état d’un pont, comment savoir si ce dernier est encore sûr ? En aparté : si je suis pro-nucléaire pour une multitude de raisons, je pense qu’un jour une centrale en France finira comme le pont de Gênes : à force de tirer sur les dates et de refuser la maintenance des infrastructures, à un moment il va y avoir des problèmes. La techno est bonne, mais l’implémentation, orienté « profits » est à chier et elle va tous nous tuer).

Concernant le rythme, si je prends celui des températures : tous les matins tu as un côté du pont qui est chauffé par le soleil, et le soir, c’est l’autre côté. On a donc un rythme quotidien. De même, il y a un rythme général hiver/été, donc annuel.

Sur la tour Eiffel, par exemple, l’exposition du côté Est le matin provoque la dilatation des piliers à l’Est : ils s’allongent et la pointe est repoussée vers l’Ouest. Durant la journée, c’est le côté Sud puis Ouest qui sont exposés et qui repoussent la pointe. Au cours d’une journée, la pointe décrit un arc de cercle d’environ 50 cm. C’est peu et beaucoup à la fois. L’acier résiste bien à ça. Le béton… beaucoup moins.

Enfin, un pont qui s’écroule, c’est « juste un pont ». Ça arrive. Oui, ça aurait pu être évité et c’est quelque chose de grave, mais rien n’est pas parfait. Entre temps, y a 500 000 ponts qui, eux, tiennent bien debout et qui ne tomberont jamais. Maintenant il s’agit surtout de savoir ce qui s’est passé exactement, puis de voir quels autres constructions peuvent être sujets au même problème (et c’est là qu’il faut être honnête, et ne pas cacher au public le fait que tel ou tel construction n’est pas sûre, et ça, c’est pas gagné).

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blux écrit :

Il se murmure que le barrage Hoover, aux Etats-Unis, construit dans les années 30 et épais de près de 200 m (!) à la base n'a pas encore fini de prendre, même en ayant été coulé par blocs...

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Tduvi écrit :

Juste un petit point sur les caractéristiques mécaniques du béton, ces dernières augmentent régulièrement jusqu’à atteindre un point où elles n’évolueront que très peu dans le temps, en général aux alentours de 28 jours.
Il y a quelques temps déjà existait une valeur fc28 qui correspondait à la résistance à la compression du béton à 28 jours et qui servait de base au calcul du BAEL remplacé depuis par les Eurocodes.
Bref tout cela pour dire que le béton seul présente de très bonnes caractéristiques à la compression mais de bien moins bonnes à la traction, c’est donc pour cela qu’on utilise des armatures en acier.
Le béton armé comme tout matériau est soumis à ce que l’on nomme de la fatigue, l’usure sous l’action de son emploi auquel il est destiné.

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Lian Mech écrit :

Bonjour, je commence a monter un mur de parpaing à une température de 9 degré celsius. Durant la nuit la température a chute 3 degré .Y a t 'il un risque que les parpaings ne colle pas? Merci pour votre réponse.
Brahim

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Le Hollandais Volant écrit :

@Lian Mech : Bonjour,
Aucun risque pour les petites quantités de ciment.

Le problème de température a lieu surtout avec les grandes dalles en béton de plusieurs mètres-cube. Dans ces cas, la chaleur produite au centre s’accumule et a du mal à se dissiper et il y a risque que certaines zones soient plus froides que d’autres.

Pour un muret de parpaings avec un peu de ciment, ce dernier est en quantité suffisamment faible pour que le ciment se refroidisse vite, que la chaleur ne s’accumule pas. Le ciment prendra tout à fait normalement.


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