Rien. Le vide. Le « zéro », le « néant ».
Quand on y pense, c'est une notion compliquée à comprendre, même en maths. Les chiffres romains, par exemple, ils n’avait pas de zéro. Les égyptiens n’en avaient pas besoin et les grecs refusaient — voire s’interdisaient — de s’en servir.
Le zéro que l’on utilise aujourd'hui, dans les chiffres arabes, est apparu bien plus tard que les autres chiffres : seulement autour du IIIe siècle après J.-C. Le zéro désigne aujourd’hui la quantité d’éléments dans un ensemble vide.
Parler de « quantité » dans ce cas n’a pas trop de sens, si on y réfléchit : quand vous faites votre liste de courses, vous mettez « 6 bouteilles de lait, 2 pains… » mais vous n’indiquez pas tous les articles dont il vous faut zéro de chaque. Avoir zéro objets revient donc à ne pas avoir de ces objets, mais également de nier la quantité elle-même.
Il n’y a pas de piège ici pour « zéro » : ce n’est que sa définition et ce à quoi il sert. On peut noter que cette définition du zéro et de l’ensemble vide nous fait parvenir un concept intéressant : le vide.
C’est sur ça que cet article porte : comment définir le vide ? Le vide [de l’espace] est-il réellement vide ?
C’est quoi le vide ? C’est quoi « rien » ?
Pour essayer de comprendre et de répondre à cette question, on peut tourner le problème dans l’autre sens : « rien », par définition, c’est l’absence de toutes choses.
Le vide est ce qui reste quand tout ce qui peut être retiré, a été retiré.
— Lord Kelvin (1824‑1907)
Il faut donc, pour n’avoir plus rien, définir ce qu’on entend par « les choses », puis s’en affranchir.
Et là ça devient très intéressant car le concept de « chose » dépend du contexte. Vous allez comprendre.
Si l’on parle d’une bibliothèque, alors les choses sont les livres. Lorsque l’on retire les livres, alors la bibliothèque est vide. Le bibliothécaire a donc créé un vide à ses yeux.
Maintenant si on dit que les choses sont des atomes, alors l’armoire de bibliothèque, n’est plus vide : il est rempli d’air !
— Ok, donc si on place l’armoire de bibliothèque dans le vide sidéral, il n’y aura plus d’air. Là elle sera vide, non ?
Et bien… encore une fois, en cherchant on peut trouver des choses : de l’énergie, des photons, des neutrinos…
Si vous avez compris ce raisonnement, alors vous avez compris le problème : le néant, le vide n’est définit que par ce que l’on considère.
C’est sur cet aspect là des choses que je vais tenter de m’attarder : jusqu’où peut-on aller pour atteindre quelque chose qui est véritablement « rien du tout » ?
Dans le vide
Dans le vide de l’espace, malgré le nom « le vide », il y a plein de choses, y compris quelques atomes !
Dans l’atmosphère terrestre, le libre parcourt moyen d’un atome, la distance qu’une particule peut parcourir avant de heurter une autre particule, est de 10 nanomètres.
Dans le vide intersidéral, le libre parcourt moyen est supérieur à 10 000 km. Ça peut sembler beaucoup (ou très vide) mais il reste tout de même environ 10 000 atomes par mètre cube. Le vide n’est donc pas si vide que ça.
Imaginons qu’on arrive à vider le vide plus que le vide n’est lui-même vide. Pardon… je veux dire : si on retire tous les atomes, il reste quoi ?
Dans le vide, sans les atomes
Si on va sur la station spatiale internationale (ISS), qu’on sort dehors, qu’on prend un bol de vide et qu’on retire tous les atomes, alors il reste plein de choses.
Le Soleil nous envoie des flux de rayonnement : des particules chargées (protons, électrons…) à très haute vitesse : on en trouve beaucoup dans l’espace ; suffisamment pour qu’une fraction d’entre elles produise les aurores polaires visibles sur Terre. On trouve aussi un certain nombre de neutrinos émis par le Soleil : 65 milliards de neutrinos traversent chaque centimètre cube de l’espace chaque seconde. Le vide, disions-nous ?
Dans le vide, sans les protons et les neutrinos
Ok, donc on a retiré les 10 atomes par litre et les 65 milliards de neutrinos par cm³. Il reste quoi ?
Le vide n’est pas infiniment froid : il est à 2,725 Kelvin au dessus du zéro absolu, soit à −270,425 °C. Cette température trahit ce qui reste du Big Bang. À cause de l’expansion de l’univers, ce dernier s’est peu à peu refroidit, jusqu’à 2,725 K aujourd’hui.
Selon la thermodynamique, tout corps chauffé à une certaine température émet des rayonnements, et inversement, tout corps qui émet un rayonnement de corps noir a une température non nulle.
Dans le vide, on observe ce rayonnement, c’est le rayonnement diffus cosmologique. Cela signifie que le vide n’est pas dénué de chaleur, et donc pas de photons.
Ces photons ayant été émis à haute température lors du Big Bang, ils ont refroidit à force de l’expansion de l’univers : la longueur d’onde de ces photons s’est elle aussi étirée et l’univers s’est refroidit : plus la longueur d’onde d’un rayonnement est étiré, plus de rayonnement est froid.
Une des hypothèses pour l’avenir, est que l’univers va tendre de façon asymptotique vers une température de 0 K. Ce sera comme si les photons du fond diffus cosmologique n’étaient plus là non plus.
— Donc si y a plus de photons dans le vide, on a le vide ?
Et la matière noire ?
En dehors de nos particules de matière et des photons, on sait que 80% de la gravitation de l’univers est d’origine inconnue. On ne sait pas si elle est la conséquence de la présence d'une véritable matière, mais on appelle « matière noire » la source de cette gravité inconnue.
L’idée d’une particule pour la matière noire semblerait assez logique (même si elle son existence n’est pas prouvée à ce jour). Il faudrait donc la retirer aussi, dans notre quête du vide parfait.
Je ne peux pas en dire plus pour la matière noire, tout simplement parce qu’elle constitue encore aujourd’hui un grand mystère pour la science. Quoi qu’il en soit, sautons ce « détail » et passons à un vide sans matière, noire ou pas, quelle qu’elle soit, donc.
L’énergie noire ?
Encore quelque chose d’inconnue : comme la matière noir, l’énergie noire est quelque chose dont on ignore pratiquement tout, sinon qu’elle est là : elle traduit sa présence par ses effets, et même si elle n’est pas visible ou mesure, les effets qu’on lui attribue sont, eux, visibles.
Ainsi, quand on a découvert — contre toute attente — que l’expansion de l’univers s’accélérait au lieu de ralentir, on a nommé « énergie noire » quoi que ce soit qui pousse l’expansion de l’univers à s’accélérer.
On peut estimer la densité de l’énergie noire à environ 10⁻⁹ J/m³ (ou, en terme de masse, à environ $10⁻²⁷ kg/m³). Cette densité est ridiculement faible, mais elle semble constante dans tout l’espace et elle s’additionne pour représenter environ 70 % de l’énergie totale de l’univers…
70 % de l’univers dont on ne sait rien de plus que sa présence partout dans le cosmos. Dans notre quête vers le vide, ignorons donc également l’énergie noire.
Le vide quantique
Si l’on est dans l’espace et qu’on retire toutes les particules, tous les photons ainsi que la matière et l’énergie noire, il ne reste plus rien. Mais ce n’est pas pour ça qu’il ne se passe plus rien !
Si des particules ne s’y propagent plus, on trouve toujours des champs : le champ électromagnétique, le champ de gravitation, etc.
Qualitativement parlant, une masse représente une excitation du champ de gravitation ; un aimant ou une charge électrique représente une excitation du champ électromagnétique. À l’inverse, loin d’une masse ou d’un aimant, ces champs sont au repos… mais sont toujours là !
De plus, même sans masse ou sans aimant, ces champs ne sont pas 100% au repos : il y a des fluctuations, comme il y a toujours quelques petites vagues à la surface d’une étendue d’eau calme.
Si l’on reprend notre analogie de l’étendue d’eau et des micro-vagues à sa surface, on voit des bosses et des creux. Dans notre champ quantique, on peut voir les fluctuations comme des particules de matière et d’anti-matière respectivement. Le vide crée et détruit des couples de particules/anti-particule, de façon incessante.
On appelle ces fluctuations les fluctuations quantique du vide. Elles sont toujours là et sont prévues par la physique quantique. Pour parler de vrai vide, il faut aussi éliminer ça.
L’énergie de point zéro
Imaginons que les champs quantiques soient nuls, sans fluctuations ni formation de paires particule/anti-particule. Que reste-t-il ? Il reste l’énergie du point zéro.
L’énergie du point zéro, c’est l’énergie possédée par un système quantique dans son état fondamental (son état d’énergie le plus bas possible). L’état fondamental d’un système ne correspond pas à une énergie nulle, que l’on qualifierait en physique classique de « égale à zéro » : au contraire, il correspond juste à un niveau de référence sous lequel on ne peut pas aller. C’est donc le dernier barreau d’une échelle : on ne peut pas descendre plus bas, mais ce n’est pas pour ça qu’on n’est pas en hauteur.
Si on navigue sur un océan calme, il n’y a pas de vagues ni de remous, mais il y a tout de même de l’eau. Pour notre énergie du point zéro, on peut le voir comme un « océan d’énergie » dont nous ne pouvons exploiter que la force des fluctuations à la surface, sans pouvoir puiser dessous.
En retirant les fluctuations quantique « à la surface », ce qui reste est une « mer » complètement calme : l’énergie du point zéro, qui est toujours là.
Jusqu’à maintenant, nous avons retiré les objets solides, les gaz, les atomes et les particules isolées, la matière noire, les fluctuations quantiques, pour se retrouver avec seulement l’énergie du point zéro, cet océan d’énergie qui constitue le niveau d’énergie fondamental du vide.
Retirons-la.
Les champs quantiques
On se retrouve maintenant avec une énergie de point zéro totalement nulle : plus d’énergie, du tout. Notre univers ne contiendrait plus rien physiquement. A-t-on atteint le vide ? Non, pas tout à fait.
Si physiquement il ne reste plus d’énergie ni de particules ni rien, mathématiquement il est encore possible de décrire un tel vide.
On peut en effet parler des champs quantiques eux-mêmes : un champ quantique, même-vide, reste un champ quantique. Il est juste nul.
C’est comme si on avait une feuille avec un graphique et une courbe : si on retirait la courbe : il resterait alors l’échelle, le repère et le bout de papier : ce n'est pas rien.
Le champ de gravitation ou le champ électromagnétique sont des champs quantiques. Ils seront là même en l’absence de masse ou d’un aimant.
Ok, retirons les champs quantiques alors et poursuivons.
Les dimensions
Un univers sans les champs quantiques ne ferait pas grand chose.
Si vous placez un aimant et que vous supprimez le champ magnétique de l’univers, alors l’aimant sera juste un bout de métal ordinaire, sans aucune propriété particulière : pas d’attraction sur les autres aimants : juste un morceau de métal inerte.
Que reste-il sans ces champs quantique ? Il reste les dimensions : le haut, le bas, le devant, le derrière… On pourrait toujours se promener et se repérer dans l’univers. Les coordonnées de l’espace et du temps sont toujours là, elles.
La définition d’un tel « vide » n’est plus que mathématique, on est d’accord, mais ça suffit pour pouvoir le définir.
Il faut donc supprimer les dimensions aussi.
Le néant absolu ?
Il ne nous reste plus rien : plus de particules, plus d’énergie. On a même retiré l’énergie du vide et les dimensions spatiales et temporelles.
Un tel objet, si on voulait le décrire, serait un objet sans aucune dimension spatiale : donc un point.
Il n’aurait pas non plus de dimension temporelle : il serait un simple point dans le temps, sans durée de vie. Ce serait juste un événement ponctuel, petit et court à l'infini, et ne contenant aucune énergie ou matière.
Il se trouve que la physique quantique définit l’espace et le temps comme une suite d’instants et de longueurs. Les instants les plus petits possibles sont le temps de Planck, égaux à 5,39 × 10⁻³⁹ s, et les distances les plus petites possibles sont celles de la longueur de Planck : 1,62 × 10⁻³⁵ m.
Avec ce modèle théorique, on suppose que rien ne peut être plus court dans le temps ou plus petit dans l’espace que le temps et la longueur de Planck.
Le vrai vide « physique », serait donc quelque chose qui décrit ce qui se passe à un niveau plus petit que ça : rien ne peut se produire, se trouver ou simplement « être » à ce niveau.
Un objet (imaginaire) aussi petit serait donc le vide, le néant absolu, où il n’y a rien, même pas de dimensions ou de durées et encore moins de particules ou d’énergie.