La plupart des réactions chimiques sont exothermiques : elles libèrent de la chaleur. On explique ceci par la tendance qu’a la nature à pousser les choses à se mettre dans leur état d’énergie le plus bas possible, rejetant leur énergie vers l’extérieur et en en gardant le moins possible.
Pour une analogie plus simple à comprendre, on peut prendre un ballon en haut d’une colline. Dans cette situation, le ballon possède une énergie potentielle liée à son altitude. La tendance du ballon est donc de dévaler la colline en transformant cette énergie potentielle en énergie cinétique, qui est ensuite dissipée en chaleur par les frottements.
Avec ça, on comprend bien qu’il est impossible d’obtenir du ballon qu’il fasse l’inverse, c’est-à-dire qu’il remonte la colline en refroidissant l’air autour de lui. Il aurait acquis de l’énergie potentielle en puisant de la chaleur dans l’air.
Pour une réaction chimique, c’est pareil : quand on brûle quelque chose (réaction de combustion), des liaisons chimiques sont détruites et de nouvelles liaisons, de moindre énergie ou moins nombreuses, se forment. L’excès d’énergie est rejetée : la combustion libère de la chaleur.
Pourtant, on voit certaines réactions produire du froid : les réactifs captent de la chaleur dans leur environnement pour former des produits plus énergétiques et en refroidissant l’environnement.
Par exemple, lors de la dissolution du sel dans l’eau, les cristaux de sel $\text{NaCl}$ se transforment en ions sodium $\text{Na}^{+}$ et chlorure $\text{Cl}^{-}$ en refroidissant l’eau. On parle d’une réaction endothermique.
Les réactions endothermiques sont moins courantes que les réactions exothermiques, mais ne sont pas un processus exotique pour autant.
Pour ces réactions, c’est donc comme si l’on obtenait du ballon qu’il remonte la pente en refroidissant l’air ambiant : comment est-ce possible ?
Notion d’entropie
J’ai dit que la nature avait tendance à pousser les éléments à occuper leur état d’énergie minimale : le ballon en bas, les molécules vers des liaisons de plus basse énergie, etc. Et c’est vrai. Mais ce n’est pas tout.
Il y a une autre chose que la nature fait, c’est pousser les systèmes vers un état de plus haute entropie. Plus précisément, elle empêche l’entropie d’un système de baisser (ce qui revient au même, mais c’est plus juste).
Mais l’entropie, c’est quoi ?
L’entropie est souvent décrite comme la notion de désordre dans un système. Pour visualiser ça, il y a une explication que j’aime bien.
Dans tous les systèmes de production d’énergie (pile, barrage hydroélectrique, feu…) on peut exploiter de l’énergie quand elle n’est pas répartie de façon uniforme.
Ainsi, un barrage hydroélectrique fonctionne, car il y a une région avec de l’eau et une autre où il n’y a pas d’eau : le travail est obtenu en faisant couler l’eau de là où il y en a beaucoup à là où il n’y en a pas. S’il y avait autant d’eau de chaque côté, l’eau ne pourrait pas couler et rien ne se passerait.
Pour une pile, l’idée est similaire : le courant circule parce que le potentiel électrique est supérieur sur une des deux bornes. Quand les deux bornes affichent le même potentiel, la pile ne débite plus aucun courant et il n’y a plus rien à en tirer.
Pour un moteur thermique, il faut une région chaude et une source froide. Souvenez-vous le moteur de Stirling : si vous chauffez le moteur de façon égale sur chaque face, il ne tournera pas.
Dans tous ces cas, que l’on parle de l’eau, des électrons ou des calories, c’est leur transfert d’un endroit où ils abondent à un endroit où ils manquent qui permet d’obtenir un travail. Une fois que l’eau / les électrons / la chaleur s’est uniformisée, alors on a récupéré toute le travail qu’on pouvait et il n’y a plus rien à en tirer : le système n’évoluera plus et il sera à son état le plus stable d’énergie : on dit que l’entropie est maximale.
Dans la nature, une réaction se produit spontanément quand l’entropie globale augmente avec la réaction. C’est le second principe de la thermodynamique : le fait que l’évolution d’un système tende vers un état où l’énergie est répartie de la façon la plus uniforme possible.
Dans un tel état, l’entropie est maximale et le système ne reviendra pas en arrière de façon spontanée.
Dans notre exemple du barrage hydroélectrique, le système sera à son maximum d’entropie quand toute l’eau sera au même niveau (aucun écoulement possible), et que ce niveau soit tout en bas à la sortie du barrage.
Physiquement, donc, le système sera stable énergétiquement (l’eau est à son énergie potentielle minimale) et son entropie sera la plus élevée (l’eau sera étalée et toutes les molécules seront équitablement réparties).
L’entropie est une grandeur calculable qui dépend essentiellement de la répartition statistique des molécules. Sa valeur numérique n’a par conséquent de sens qu’au niveau microscopique de la matière. Sur le plan macroscopique, on étudie surtout sa variation.
Une réaction qui produit de l’entropie est irréversible. En effet, l’inverse voudrait dire que pour revenir dans l’autre sens, il faudra diminuer l’entropie, ce qui n’est pas faisable (pas spontanément, du moins).
Énergie, entropie, enthalpie libre de Gibbs ?
Compétition entre énergie et entropie
Il y a donc deux moteurs qui poussent une réaction à avoir lieu spontanément (sans aide extérieure) : une hausse d’entropie et une baisse d’énergie.
Pour les réactions exothermiques, les plus courantes, les réactifs voient baissent leur énergie tout en augmentant l’entropie. Les deux moteurs de la réaction travaillent donc dans le même sens.
Pour les réactions endothermiques, la chose est différente : l’entropie du système est toujours à la hausse, mais ici son l’énergie monte. Dans ces cas-là, la compétition entre l’énergie (qui veut diminuer) et l’entropie (qui doit monter) est gagnée par l’entropie.
L’énergie que le système gagne est captée dans l’environnement. L’environnement perd donc de l’énergie : il refroidit. C’est pour ça qu’une réaction endothermique refroidit son environnement (eau, air, bécher…). Cependant, l’entropie globale du système (incluant l’environnement), augmentera systématiquement.
Les exemples les plus courants de réactions endothermiques, donc qui produisent du froid, sont des réactions de dissolution de cristaux, et ce n’est pas pour rien : dans notre exemple initial où l’on dissolvait du sel de table, le cristal de sel est une structure moléculaire parfaitement ordonnée avec un niveau d’entropie très bas.
Quand ce cristal se dissout, les ions sodium et chlorures sont lâchés dans la solution et peuvent se déplacer où bon leur semble : il n’y a donc plus d’ordre : l’entropie augmente.
Dans cette situation, transformer un cristal de sel en solution d’eau salée produit suffisamment d’entropie pour forcer la chaleur extérieure à se mettre dans les liaisons atomiques et les niveaux électroniques. L’eau salée perd donc de la chaleur, et elle devient plus froide.
Enthalpie libre de Gibbs
Plus haut, je dis que c’est la compétition entre la hausse d’entropie et la baisse d’énergie qui pousse une réaction à avoir lieu spontanément ou non.
Si je mets du sel dans de l’eau, le sel va finir par se dissoudre et par refroidir l’eau : cette réaction est spontanée. Par contre, si je prends de l’eau de mer naturellement salée, je peux attendre autant que je veux, le sel ne va jamais cristalliser tout seul au fond et laisser de l’eau douce partout autour.
Ça va devenir un peu complexe, mais cette « compétition énergie versus entropie » donne lieu à une grandeur qui détermine si une réaction est spontanée ou non : l’enthalpie libre de Gibbs (notée $G$) :
- si l’enthalpie libre de Gibbs de la réaction est négative, alors la réaction est spontanément possible[/b].
- si l’enthalpie libre de Gibbs est positive, la réaction ne se produira pas toute seule, et il faudra, pour qu’elle se produise, la forcer par un apport actif d’énergie (chaleur, électricité, lumière…).
Tout ceci peut être mis sous la forme d’une équation :
$$\Delta G=\Delta H-T\Delta S$$
Où :
- $\Delta G$ (« delta G ») est la variation d’enthalpie libre de Gibbs.
- $\Delta H$ (« delta H ») est la variation d’énergie du système (dans ce qui précède, « l’énergie » correspond ici à la chaleur mise en jeu lors de la réaction, aussi appelée enthalpie de réaction, pour une réaction chimique). L’enthalpie (la chaleur) est positive (i.e. « reçue ») pour le système dans le cas d’une réaction endothermique.
- $T$ est la température
- $\Delta S$ est la variation d’entropie.
Sous cette forme, l’équation peut être lue :
L’enthalpie libre de Gibbs, $G$, correspond à l’énergie $H$ (ou enthalpie) que la réaction peut libérer à l’environnement, déduction faite de sa contribution à l’entropie globale du système $S$, le tout à une température $T$ fixée ou non.
Et sa signification :
L’évolution d’un système sera un compromis entre la stabilité atteinte par le système (exothermie) et la répartition statistique des molécules (entropie).
On voit que si l’entropie $S$ augmente (c’est-à-dire $\Delta S>0$), alors le terme $-T\Delta S$ est négatif. Pour que notre réaction soit spontanée, (et donc $\Delta G<0$) alors $\Delta H$ doit être plus petit que $\vert T\Delta S\vert$. Ainsi seulement on aura un $\Delta G$ également négatif.
Dans une réaction endothermique, $\Delta H$ est positive (l’énergie est reçu par le système). Dans une réaction exothermique, $\Delta H$ est négative (elle est cédée par le système).
Pour qu’une réaction endothermique puisse avoir lieu, il faut donc que $\Delta H$ soit compris entre 0 et $\vert T\Delta S\vert$ (et bien-sûr, que $\Delta S$, la variation d’entropie, soit positive, comme toutes les réactions spontanées).
Ceci montre donc plusieurs choses concernant les réactions endothermiques :
- que l’entropie doit forcément augmenter (indépendamment de l’énergie — chaleur/enthalpie — en jeu)
- que la quantité d’énergie en jeu est limitée : au-delà d’une certaine valeur (excédant $\vert T\Delta S\vert$), la réaction ne se produira pas ; là où l’énergie libérée par une réaction exothermique n’est pas limitée. En d’autres termes : il y a une limite à la quantité de chaleur que les réactifs peuvent absorber. Et dit de façon simplifiée : il y a une limite à la quantité de froid qu’une réaction endothermique peut produire.
Maintenant, pour une réaction donnée, les valeurs de l’enthalpie $H$, de l’enthalpie libre de Gibbs $G$ et de l’entropie créée $S$ peuvent être déterminées par le calcul théorique. On peut donc prédire qualitativement et quantitativement ce qui va se produire (ou pas) quand on met plusieurs réactifs ensembles.
Pour conclure
Il faut retenir ici que toutes les réactions (chimiques ou non) se produisent en fonction de plusieurs paramètres. Celui que l’on considère généralement est l’énergie, et on dit que la réaction se produit si l’énergie du système diminue. Si ceci est vrai dans un bon nombre de cas, ce n’est pas une généralité pour autant. Certaines réactions peuvent provoquer une augmentation de l’énergie du système. C’est le cas des réactions chimiques endothermiques.
Dans ces cas-là, la hausse d’énergie est compensée par une augmentation de l’entropie.
L’entropie est également un moteur d’une réaction chimique. Mais dans le cas des réactions endothermiques, l’évolution à la hausse de l’entropie et l’évolution à la baisse de l’énergie sont en compétition.
L’évolution d’un système sera alors conditionnée par la stabilité énergétique qu’il aura après son évolution, et le maximum d’entropie créée. Cette entropie s’obtient par analyse statistique des molécules, de leur nombre, leur structure, leurs positions…
Dans tous les cas de figures cependant, l’entropie d’un système fermé ne peut que croître, alors que l’énergie peut se convertir autant qu’il souhaite. Dans les réactions endothermiques, on a une hausse d’entropie, mais une partie de l’énergie thermique est convertie en énergie chimique, d’où la baisse de température qui s’ensuit. C’est cette baisse d’énergie thermique (et donc la diminution de la température) qui donne lieu à cette curiosité que sont, a priori, les réactions endothermiques.
Dès lors, si l’évolution à la baisse de l’énergie d’un système n’est pas un indicateur fiable pour la caractérisation d’une réaction, il en faut une autre, qui fasse également intervenir l’entropie. Cet indicateur, c’est l’enthalpie libre de Gibbs, dont le signe indique si une réaction est spontanément possible ou non.
Enfin, il est possible de faire baisser l’entropie d’un système : si l’on fait bouillir de l’eau salée, l’eau s’évaporera et le sel recristallisera. Le sel sera de nouveau dans un état de très faible entropie.
La différence ici, c’est que le système « sel » n’était pas fermé : on a utilisé de l’énergie pour faire partir l’eau. Le second principe « l’entropie ne peut que croître » ne s’applique qu’à un système fermé. Aussi, en faisant partir l’eau, le sel est bien à très basse entropie, mais l’évaporation de l’eau a créée une quantité d’entropie bien plus élevée que ce que le sel a perdu. Dans l’ensemble, on a toujours une création d’entropie et les lois de la thermodynamique ne sont toujours pas brisées.