des figures de Mandelbrot
Il y a quelques temps, j’étais tombé sur une photo où un gars disait que son téléphone mesurait approximativement 3/4 d’une banane. L’idée était qu’il avait utilisé une unité de mesure totalement aléatoire pour mesurer son téléphone, ou en donner un ordre de grandeur de taille.

J’avais alors répondu en disant que le système d’unités impérial encore utilisé — entre autre — aux USA ne valaient pas beaucoup mieux : le pied ou le pouce ont des dimensions qui ont été prises à une époque par et sur une personne qui n’existe plus aujourd’hui. Toujours aux USA, on peut faire la même remarque sur le degré Fahrenheit : à l’origine, 1 °F correspond à un douzième du huitième de la différence de température entre le sang d’un cheval et la température la plus froide mesurée à Dantzig (Allemagne) durant l’hiver 1708. Sur cette échelle, l’eau gèle à 32 °F et bout à 212 °F.

Toutes ces méthodes pour créer une unité peuvent être utilisées, mais elles posent quelques problèmes. Par exemple, comment redéfinir l’échelle de température Fahrenheit si jamais le thermomètre de référence est perdu, étant donnée que l’année 1708 n’est plus et ne sera plus jamais là pour faire son 0 °F ?

Pour contrer ce problème, aujourd’hui on utilise plutôt des unités basées sur des phénomènes physiques reproductibles, indépendantes d’un lieu, d’une époque, d’objets ou des personnes.

Des unités définies par des constantes physiques

Pour rester dans la température, l’unité de base aujourd’hui est le Kelvin (utilisée partout en sciences). Le 0 K correspond à la température minimale vers laquelle tend la matière quand on lui retire toute forme de chaleur. C’est la température minimale à laquelle la matière puisse exister. On considère ensuite le point triple de l’eau (le couple {pression, température} unique où l’eau est à la fois liquide, gazeux et solide) et on gradue ensuite la différence entre les deux. L’avantage ici c’est que les deux mesures pourront toujours être faites : le zéro kelvin absolu et le point triple de l’eau sont universels et ne dépendent ni d’un lieu ni d’une année précise.

Pour définir les distances, on utilise le mètre, qui est basé sur la vitesse de la lumière, une constante universelle absolue, et sur la seconde, une unité elle-même basée sur les caractéristiques de l’atome de césium 133. À la fois la vitesse de la lumière et le césium 133 sont des choses qui ne varieront jamais. Redéfinir le mètre ne constitue donc pas un problème, du moment qu’on a la recette.

Ces unités (mètre, seconde, kelvin…) font partie du système international d’unités : un ensemble d’unités que l’on définit à partir d’équations et de constantes universelles (ou que l’on cherche à définir comme tel, car le kilogramme ne l’est pas encore, mais on y travaille).

Ce système, cohérent et (quasi-)complet, dépend des constantes intrinsèque de notre univers : quoi qu’il arrive à notre planète, tant que la définition de nos unités ne sont pas perdues, on saura les retrouver. Ceci est un grand pas en avant par rapport à la définition du Fahrenheit qui nécessite un voyage dans le temps vers l’année 1708 et le sacrifice d’un cheval.

Mais… il y a quand-même un problème. Deux problèmes, en fait.

Les limites des unités du système du système international

Des unités non universelles

Si l’on prend le cas du mètre, ce n’est qu’au vingtième siècle que l’on a décidé que le mètre était la distance parcourue par la lumière durant la fraction $\frac{1}{299\ 792\ 458}$ d’un laps de temps correspondant à 9 192 631 770 oscillations de la radiation émise par la transition d’un électron de l’atome de césium 133. Avant ça, c’était la fraction $\frac{1}{10\ 000\ 000}$ du quart de la circonférence de la Terre (la distance minimale reliant un pôle à l’équateur).

Donc si le mètre mesure un mètre, c’est parce qu’on se trouve sur Terre et que l’on a utilisé les dimensions de notre planète pour définir le mètre. Si la Terre avait été un peu plus grosse ou un peu plus petite, sa circonférence aurait était différente et la taille d’un mètre n’aurait pas été pareil.

Avec la définition contemporaine du mètre, il est possible pour n’importe quelle civilisation extraterrestre, où qu’elle soit, de retrouver la longueur d’un mètre. Cependant, la longueur « 1 m » obtenue sera totalement arbitraire et liée à notre planète Terre.

Pour nous autres humains, le mètre est plus pratique que l’année-lumière, ou que le micro-pouce pour se mesurer. Mais il n’est pas dit qu’elle le soit pour des extra-terrestres ou même d’autres espèces vivantes sur Terre. Pas sûr donc, qu’une autre espèce vivante aurait pris le mètre comme unité de base.

La même remarque peut-être faite pour la seconde : à la base on a pris la fraction $\frac{1}{60}$ de la fraction $\frac{1}{60}$ du vingt-quatrième de la durée de la rotation terrestre, et ce n’est qu’ensuite que l’on a fait tenir dans ce laps de temps un nombre d’oscillations des radiations des électrons du césium 133. Là aussi, la durée d’une seconde aurait été différente sur Mars, sur la Lune ou n’importe où ailleurs dans l’univers, y compris en appliquant le même calcul.

Nos unités, même si elles sont définies à partir de modèles mathématiques et de constantes physiques universelles, ont les valeurs qu’elles ont à cause de leur origine terrestre.

Des unités non naturelles

Le second problème du mètre ou de la seconde, c’est que ces unités sont rattachées à l’être humain.

Ainsi, le mètre a cette dimension car on a décidé qu’il était pratique d’avoir une unité qui fasse la fraction $\frac{1}{10\ 000\ 000}$ du quart de la circonférence de la Terre. On aurait pu prendre aussi la fraction la fraction $\frac{1}{9\ 425\ 111}$ : la méthode aurait été la même. On peut arguer le choix du « dix millionième » par le fait que c’est un nombre bien joli et bien rond, mais là encore…

Si on creuse un peu plus, on voir que ce 10 000 000 est bien rond car il est représenté en base 10. Si nous avions eu un système de comptage en base 60, on aurait eu une fraction différente, comme par exemple la fraction $\frac{1}{(10\ 000)_{60}}$… où 10 000 est donc en base 60 (soit 12 960 000 en base 10).

D’ailleurs, la base 60 est celle qui est utilisée pour la seconde et les minutes : on a défini la seconde comme le soixantième de la soixantième de la vingt-quatrième de la rotation terrestre. L’une des raisons à ça est que les nombres 60 et 24 sont largement plus divisibles que le nombre 10 : ainsi, le nombre 60 est divisible en 2, en 3, 4, 5, 6, 10, 15, 20 et 30, et 24 est divisible en 2, 3, 4, 6, 8, 12, alors que le nombre 10 n’est divisible que que 2 et 5. Il était donc relativement pratique d’utiliser la base 60 et 24 pour diviser une journée en moitiés, en tiers, en quarts…

Dans tous les cas, le choix d’une base 10, 60 ou d’une base 12 ou 24 vient de notre anatomie : on dispose de 10 doigts pour compter et de 12 phalanges sur une autre main. Si les retenues sont comptées sur les doigts de l’autre main, on retrouve notre base sexagésimal : 5×12=60.

Si l’évolution nous avait donné 7 doigts sans phalanges ou 3 doigts avec 5 phalanges, nous aurions eu un système numérique complètement différent et la division de la circonférence de la Terre n’aurait jamais été le même et nos unités non plus. En plus d’avoir des origines terrestres, donc, nos unités ont également une origine anthropologique.

Pour l’anecdote : les révolutionnaires français, juste après 1789, avaient eu l’idée de refaire l’horloge en choisissant une unité de temps basée sur le système décimal : 100 secondes dans une minute, 100 minute dans une heure et 10 heures dans la journée… Mais le système n’a jamais pris (bien qu’il existe encore des montres et des horloges dans les musées…).

Quoi qu’il en soit, base 10 ou 60, une civilisation extra-terrestre saura trouver la distance équivalente à un mètre, grâce aux constantes physiques qui sont les mêmes partout dans l’univers, mais la distance obtenue leur paraîtra comme sortie d’un chapeau.

Alors que faire ?

Une solution est d’utiliser les constantes physiques directement : c’est le système d’unités naturelles.

Les systèmes d’unités naturelles

Dans le système des unités internationales, on utilise les grandeurs pour la distance, les durées, la masse, l’intensité électrique, la température, la quantité de matière et l’intensité lumineuse.

L’univers n’a pas de constante correspondant à la durée, ni même à une masse ou une longueur. Par contre, elle une unité absolue de vitesse : la vitesse de la lumière !

Dans un système d’unités naturelles, on n’aura donc pas d’unité de base pour les longueurs ou les durée, mais on aura directement une unité de vitesse : l’unité de vitesse correspondra à 1 $c$, soit directement 1 fois la vitesse de la lumière. Dans ce système, l’unité de longueur est une unité dérivée de la vitesse (à l’inverse du système international d’unités, donc).

Il existe à ce jour plusieurs systèmes d’unités basés sur les constantes universelles. L’une d’elle, probablement la plus connue, est le système d’unités de Planck.
Parmi les différentes constantes de la physique, on trouve la constante de gravitation universelle $G$, la constante de Planck $\hbar$. En y ajoutant $c$, la vitesse de la lumière, on peut exprimer les longueurs. Ici, la longueur de Planck $\ell_P$ :

$$\ell_P = \sqrt{\frac{\hbar G}{c^3}}$$

De même, son unité de temps est alors simplement $l_P$ divisée par la vitesse de la lumière $c$ :
$$t_P = \frac{\ell_P}{c} = \sqrt{\frac{\hbar G}{c^5}}$$

Ce système d’unités est universel, dans le sens où seul l’univers nous fournit ce dont on a besoin : tous les nombres ($c$, $G$, $\hbar$…) sont intrinsèque à l’univers et seulement ça. Les unités dérivés ne sont pas obligatoires : on peut très bien exprimer les vitesses en pourcentage de $c$, plutôt qu’en kilomètres (une distance) par heure (une durée). Une vitesse sera toujours le rapport d’une portion de l’espace sur une portion du temps qui passe, mais le choix de l’unité de base et de l’unité dérivé est sans importance. Le système naturel utilise ce qui se trouve dans la nature directement.

L’avantage de ce système, c’est que si une civilisation extraterrestre est au moins aussi avancée que nous dans le domaine de la science, alors ils auront découvert que la vitesse de la lumière et la constante de Planck sont universelles, et sauront les utiliser pour concevoir un système d’unités avec tout ça.
Si leur unités usuelles sont une fraction de la circonférence de leur planète, ou la longueur d’un pied d’un de leur roi, alors elles seront différentes de nos unités à nous (pourtant basées sur une méthode de définition identique). Mais si leurs unités sont basées sur les constantes de l’univers et les nôtres aussi, alors les grandeurs seront identiques pour nous comme pour eux, et c’est cela qui est important ici.

Un système d’unités naturelles est un système d’unités absolu qui ne dépendent que des constantes intrinsèques de notre univers. C’est pour ça qu’ils ont été créés.

Un des avantages d’un tel système, c’est que n’importe quel civilisation intelligente de cet univers finira par les retrouver à l’identique de nous, ce qui pourrait peut-être un jour s’avérer utile

image d’en-tête de Kevin Dooley

6 commentaires

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Juju écrit :

Sauf si ils viennent d'un univers "parallèle" ou les constantes physiques ne sont pas les mêmes ?
ça marche aussi pour les unités électriques ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Juju : en effet, mais rien ne garantit qu'un être existant avec des lois physiques d'un autre univers puisse ne serait-ce qu'exister dans le notre.

Un atome où la l'interaction forte est différente qui entre dans notre univers peut très bien voler en éclat.

Un peu comme un ballon de baudruche sur terre qu'on placerai sur la lune : l'absence de pression atmosphérique ferait exploser le ballon.

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L6Atmo écrit :

Salut,

J'ai récupéré lors d'une formation une norme humoristique éditée dans la format AFNOR qui se nomme "système d'unités pifométriques" dont certaines unités qui y sont définies se rapprochent assez de l'unité Banane :
- la palanquée,
- la ribambelle,
- la lichette,
- la roupie de sansonnet,
- le pouième...
Un grosse dizaine de pages très drôle.

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Free Bird écrit :

Pas d'accord sur la définition même d'une mesure sur la "vitesse" de la lumière.
Si elle ne varie pas, la notion même de "vitesse" est propre à l'homme, comme le temps. La "mesure" définie par une "vitesse" est encore une notion humaine, donc faillible et variable, même si la lumière, intrinsèquement, n'a pas de variations sur cet item quelque soit l'endroit. Vous saisissez ce que je veux dire ?
Admettons une autre civilisation Extra T. : sa mesure de décomposition de la constante de déplacement de la lumière ne sera pas forcément la même. Et son résultat sera différent pour interpréter pourtant une même constance naturelle.

D'autre part, j'ai bien aimé un jour la définition des frères Bogdanoff (on aime ou pas les personnages mais ils ont un talent de vulgarisation indéniable de la chose scientifique) : on leur demandait ce qu'ils pensaient qu'il pouvait y avoir derrière le "mur de Planck" et ils répondirent qu'il n'y avait plus de temps. Pour illustrer leur propos ils dirent "prenez un sablier. Si vous le mettez en haut ou en bas, le temps s'écoule. Si vous le mettez horizontalement, il n'y a plus de temps".

Ce qui rejoint l'idée même de relativité du temps, mais de manière inversée : non pour en quantifier la variation, mais pour en admettre son absence hors de nos notions. Ce qui rejoint également une définition surnaturelle que l'on dit de Dieu : ni début, ni fin, ni passé, ni futur, seulement le présent.

Donc, à partir de cette notion de présent, de cette constante Lumière, on peut s'interroger non sur les éléments naturels invariables mais plutôt sur nos capacités de mesure et la manière dont nous les mettons en oeuvre qui sont forcément liés à nos limites temporelles, lesquelles (limites de connaissance) varient à mesure de l'accumulation des précédentes, remettant en cause l'absolu déclaré précédemment.

A partir de là, rien de dit que la certitude absolue dans laquelle on place ces mesures d'unités, ne soit pas remises en cause par la suite. Qu'en pensez vous ?

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Le Hollandais Volant écrit :

@Free Bird : les mesures d’une portion du temps (une durée) et d’une portion de l’espace (une longueur) dépendent effectivement de qui fait la mesure, quand, et comment.

Mais la mesure de la vitesse de la lumière ne dépend plus de tout ça : peu importe la situation, la lumière se déplace toujours à la même vitesse.

En fait, si l’on essaye de mesurer la vitesse de la lumière alors qu’on est nous même lancé à une vitesse proche de la lumière, on observe que les distances sont contractée et les durées sont dilatées. Si l’on effectue un calcul de vitesse dans ces conditions, on retombe toujours sur la même vitesse que si l’on était « immobile ».

C’est ça la relativité : cette grandeur est immuable quoi qu’il arrive et quoi qu’on fasse. Les mesures de durées et de longueurs, elles, sont ce qui change. Mais pas la vitesse de la lumière.


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