Vous ne vous êtes jamais posé la question sur l’origine du tracé d’une route ou d’un chemin de fer ?
Le tracé d’une route est loin d’être une chose simple : si dans certains cas on se contente de routes parfaitement droites (c’est le cas si le relief le permet, comme c’est très souvent le cas en Hollande ou en Belgique), il faut généralement éviter les collines, vallées ou forêts. Pour des questions de coûts, on réduira également le nombre de ponts et tunnels en préférant contourner ces obstacles avec des virages.
Dans ce qui suit on va prendre le cas précis de tracé d’une courbe de raccordement entre deux portions de ligne droite :
Comment faut il relier ces deux routes ?
- avec une ligne droite ?
- avec un arc de cercle ?
- avec une autre courbe ?
La ligne droite est définitivement exclue : si le but est de garder une circulation fluide et uniforme, on évite les routes anguleuses nécessitant un ralentissement.
La route en arc de cercle semble bien tentante ici, pourtant, cette solution pose problème, comme on va le voir.
Déjà, sur une ligne droite, le volant est droit. Sur une route en cercle, comme sur un rond-point, le volant est tourné d’un angle fixe d’un côté ou de l’autre.
Pour passer d’une ligne droite à une route circulaire, il faut passer d’un angle nul à un angle non nul de façon immédiate. Il en résulte un besoin de tourner d’un coup le volant lors du passage de la ligne droite à l’arc de cercle. Ceci n’est pas pratique et cela impose un effet centrifuge brusque au véhicule et aux passagers.
La solution ?
La solution est d’utiliser une courbure qui passe progressivement d’une ligne droite à un cercle.
De cette façon, pour prendre le virage, le volant n’aura pas besoin d’être braqué d’un coup mais progressivement. Les passagers ne subiront pas de force centrifuge violente, mais une force appliquée de façon graduelle, ce qui est tout de même beaucoup plus confortable.
En pratique, en roulant à allure fixe, il faudra tourner le volant avec une vitesse constante, incrémentant ainsi doucement le rayon de courbure suivi par le véhicule.
Une courbe dont le rayon de courbure varie de fonction linéaire avec la position sur la courbe, se nomme la spirale d’Euler, également connue sous le nom de spirale de Cornu, ou Clothoïde.
Le rayon de courbure d’une ligne droite est infinie : la ligne droite est considérée comme un cercle infiniment grand. Pour changer de direction, il faut donc diminuer ce rayon de courbure de façon progressive de façon à avoir un tracé faiblement courbé au début et dont la courbure devient progressivement de plus en en plus importante :
Bien-sûr, dans le cas d’une route, on ne pratique que les premiers pas de cette spirale, jamais la spirale entière. La route doit également présenter une telle courbure dans les deux sens de circulation.
Ce que l’on fait, ce sont deux spirales d’Euler se rejoignant sur un cercle :
D’un point de vue pratique, il faut tourner le volant progressivement et linéairement dans le sens du virage, puis arrêter de le tourner — on est alors sur une trajectoire purement circulaire — puis reprendre la rotation dans l’autre sens, à la même vitesse jusqu’à être enfin revenu au point de repos.
La spirale d’Euler ne représente qu’une petite partie de la courbure, mais elle est des plus importantes car la transition doit se faire de façon progressive.
Sur un chemin de fer, c’est grâce à la spirale d’Euler que le TGV peut prendre des virages à 300 km/h sans que vous vous en rendiez compte. Ici, une force appliquée de façon progressive évite également une usure prématurée à la fois des rails et des roues.
Pour finir à propos des routes, sachez que la spirale d’Euler n’est pas la seule utilisée. Dans le cas de virages faiblement incurvés, les courbes elliptiques ou circulaires et les courbes de Bézier remplacent généralement la spirale d’Euler.
Néanmoins, un virage tracé selon la spirale d’Euler est celui qui — mathématiquement — offre le meilleur confort et la plus grande facilité à prendre.
Pour conclure sur la spirale d’Euler, sachez que la même propriété — le rayon de courbure croissant de façon constante, donc linéairement — a d’autres applications. On les retrouve dans le design des montagnes russes (où il s’agit d’appliquer une accélération progressive. Dans la sidérurgie, la distorsion de l’acier doit se faire de façon progressive pour conserver sa performance mécanique : les spirales d’Euler interviennent également. Enfin, lorsque des satellites doivent emprunter une orbite de transition entre deux altitudes, cette orbite de transition a la forme d’une portion de la spirale d’Euler.