Tableau de la prise de la Bastille.
Cet article a été publié le duodi 12 vendémiaire, de l’an CCXXXIII, jour de l’immortelle.

Perplexe ? Il s’agit de la date de publication de l’article (jeudi 3 octobre 2024) exprimé dans un autre calendrier, celui de l’ère républicaine française et mis en place peu après la révolution française, en 1792 (et officiellement adoptée en 1793).

Lors de révolution française en 1789, les sans-culottes ne se sont pas contenté de la décapitation du Roi et du changement de système politique. En plus de mettre en place un système républicain et de déclarer les Droits de l’Homme et du Citoyen, ils ont voulu marquer le coup en faisant table rase de tout le reste également.

Une remise à zéro des unités de mesure

Sur le plan technique et scientifique, on eut droit à une remise à zéro des unités de mesure. Les unités courantes (de poids, de longueur), à l’époque, n’était pas uniformes : chaque région, chaque ville, chaque commerçant parfois, avait les siennes, ce qui posait souvent problème. Si la nécessité d’une uniformisation avait été reconnue par Louis XVI, ce sont les révolutionnaires entamèrent les travaux de ce qui deviendra plus tard le système métrique en France, et, aujourd’hui, le Système International d’Unités dans le monde.

Oui, le Système International est français !

Plus radical : les révolutionnaires ont même jeté le calendrier et l’horloge à la poubelle. Jugé pas assez métrique, pas assez décimal, et trop royaliste et religieux, il fallait le réviser. Un nouveau calendrier fut donc mis au point : le calendrier républicain.

La création d’un nouveau calendrier

Ce calendrier français est centré sur la France. Les décrets de l’époque parlent même de « l’Ère des Français ». Les années sont remises à zéro, et la première, débutant le 22 septembre 1792, est nommée « an I », que l’on retrouve alors officiellement sur les documents et les monnaies d’époque, entre autres.

Le but ? En plus de couper avec le passé, il fallait simplifier tout ça. Les mois de 30, 31, 28 ou 29 jours, commençant à un moment de l’année arbitraire de l’année solaire, sont remplacés par un calendrier où chaque mois dure 30 jours et l’année commençait à une date ayant une signification révolutionnaire (celle de la Révolution française). Elle débute le lendemain de la proclamation de l’abolition de la Monarchie, qui par un hasard, tomba également sur une date ayant une signification astronomique, à savoir l’équinoxe d’automne.

Ce changement fut décidé par le Décret de la Convention nationale portant sur la création du calendrier républicain, en ces termes :

Chaque année commence à minuit, avec le jour où tombe l’équinoxe vrai d’automne pour l’observatoire de Paris.
[…]

L’année est divisée en douze mois égaux, de trente jours chacun : après les douze mois suivent cinq jours pour compléter l’année ordinaire ; ces 5 jours n’appartiennent à aucun mois. […] Les cinq derniers jours s’appellent les Sansculotides.
[…]

Chaque mois est divisé en trois parties égales, de dix jours chacune, qui sont appelées décades.
[…]

L’année ordinaire reçoit un jour de plus, selon que la position de l’équinoxe le comporte, afin de maintenir la coïncidence de l’année civile avec les mouvements célestes. Ce jour, appelé jour de la Révolution, est placé à la fin de l’année et forme le sixième des Sansculotides.

La période de quatre ans, au bout de laquelle cette addition d’un jour est ordinairement nécessaire, est appelée la Franciade, en mémoire de la révolution qui, après quatre ans d’efforts, a conduit la France au gouvernement républicain. La quatrième année de la Franciade est appelée Sextile.
[…]

Le décret complet est , ou , je n’ai pas tout mis ici.

On y trouve tout ce qu’il faut.

Architecture d’une année

Si l’on résume les points du décret ci-dessus :

  • L’année compte 12 mois, tous de 30 jours ;
  • Chaque mois est divisé en 3×10 jours ;
  • 5 (ou 6) jours sont ajoutés à la fin pour atteindre les 365 (ou 366) jours de l’année solaire.

Sur un calendrier avec des mois réguliers, il y a obligatoirement des jours restants, car l’année solaire n’est pas un multiple entier du nombre de jours dans un mois. On retrouvait ces jours restants également dans le calendrier de l’Égypte antique, également régulier. De tels jours sont qualifiés d’épagomènes, mais dans le calendrier républicain, on parle de sansculotides.

L’année solaire n’est pas non plus un multiple entier du nombre de jours. Il reste donc une fraction de journée chaque année et qui doit être rattrapée de temps en temps : on retrouve donc le principe de l’année bissextile. Tous les 4 ans environ, on ajoute une journée grâce aux heures accumulées sur les trois années précédentes. Une telle année avec 6 sansculotides est nommé année sextile, et ce jour supplémentaire est nommé jour de la Révolution.

Début de l’année

Chaque année commence à minuit, avec le jour où tombe l’équinoxe vrai d’automne pour l’observatoire de Paris.

L’équinoxe, j’en parle dans mon article dédié — Équinoxe ou Solstice — correspond au moment exact où le zénith traverse l’équateur. Ce dernier se déplace chaque jour, et oscille d’un hémisphère à l’autre deux fois par an. Lorsque cela se produit, c’est l’équinoxe. Il s’agit d’un instant précis (pas d’une journée entière).

Il est ainsi précisé que cet instant précis est mesuré par l’Observatoire de Paris, et donc l’heure de Paris (et non Greenwich, avec lequel il existe un décalage pouvant suffire pour changer la date de l’équinoxe). Dans ce calendrier, l’heure de référence est celle de Paris.

Les saisons

La logique de ce calendrier ne s’arrête pas avec des mois de 30 jours. Elle va plus loin.

Telle que ce calendrier fut défini, chaque groupe de trois mois correspond aux saisons civiles : l’automne, l’hiver, le printemps, l’été (plus les 5 ou 6 jours des sansculotides).

Ces mois ont été nommés d’après la réalité quotidienne de ces mois en France. En effet, il fallait aider le peuple dans sa vie quotidienne : le mois à cheval sur juillet et août était ainsi appelé « thermidor », pour rappeler que c’est le mois des chaleurs estivales. Le mois à cheval sur décembre et janvier est lui nommé « nivôse », rappelant la neige.

La liste complète :

SaisonMoisDates (approx.)Période…
AutomneVendémiaire23 Sept.-22 Oct.… des vendanges
Brumaire23 Oct.-21 Nov.… des brumes et brouillards
Frimaire22 Nov.-21 Déc.… du froid
HiverNivôse22 Déc.-20 Janv.… de la neige
Pluviôse21 Janv.-19 Fév.… de la pluie
Ventôse20 Fév.-21 Mars… du vent
PrintempsGerminal22 Mars-20 Avr.… de la germination des plantes
Floréal21 Avr.-20 Mai… de la floraison
Prairial21 Mai-19 Juin… des récoltes des prairies
ÉtéMessidor20 Juin-19 Juil.… des moissons
Thermidor20 Juil.-18 Août… des chaleurs
Fructidor19 Août-17 Sept.… de la récolte des fruits

Comme je l’ai dit, tout ça est centré sur la France. Les mois neigeux ou pluvieux ne correspondraient à rien au Moyen-Orient par exemple, et les mois des moissons n’aurait sûrement aucun sens au Groenland non plus. Toutefois, ces noms, au contraire des mois du calendrier grégorien, sont issues de la nature ou de l’activité humaine, pas de la religion, de la mythologie ou de la politique.

Les mois correspondant à une même saison sont suffixés de la même façon :

  • -aire pour l’automne
  • -ôse pour l’hiver
  • -al pour le printemps
  • -idor pour l’été

… que l’on peut retenir avec le moyen mnémotechnique « aire-ôse-al-or », soit « Et Rose, alors ? ».

Les décades (ou nouvelles « semaines »)

La notion de semaines de 7 jours est remplacée par celle des décades de 10 jours.
Le nom des jours est également modifié et leur nombre ajusté. Chaque jour d’une décade porte ainsi les noms assez évocateurs :

jour de la décadeNom
1ᵉʳPrimidi
2ᵉDuodi
3ᵉTridi
4ᵉQuartidi
5ᵉQuintidi
6ᵉSextidi
7ᵉSeptidi
8ᵉOctidi
9ᵉNonidi
10ᵉDécadi

Là également, ces noms numéraux tranchent avec les noms issus des divinités romaines et des astres des jours de la semaine du calendrier Grégorien

Les fêtes de chaque jour

Sur les calendriers français actuel, nous constatons la présence de prénoms, les « saints ». Il s’agit là d’un héritage catholique (les pays protestants ne le font pas). Ces prénoms correspondent à des saints catholiques, qui sont fêtés un jour de l’année.

Ceci est une autre chose que le calendrier républicain a transformé à sa manière pour être plus laïc et pratique. Exit les saints : chaque jour se voit attribuer une plante ou un animal représenté en France, ou encore des inventions ou des productions françaises.

Ces attributions étaient prévues pour changer d’une année sur l’autre, mais finalement la liste fut fixée et appliquée tous les ans. Ainsi, pour le mois de fructidor (à cheval sur nos mois d’août et septembre), on aura :

1Jour de la Prune16Jour du Citron
2Jour du Millet17Jour de la Cardère
3Jour du Lycoperdon18Jour du Nerprun
4Jour de l’Escourgeon19Jour du Tagette
5Jour du Saumon20Jour de la Hotte
6Jour de la Tubéreuse21Jour de l’Églantier
7Jour du Sucrion22Jour de la Noisette
8Jour de l’Apocyn23Jour du Houblon
9Jour de la Réglisse24Jour du Sorgho
10Jour de l’Échelle25Jour de l’Écrevisse
11Jour de la Pastèque26Jour de la Bigarade
12Jour du Fenouil27Jour de la Verge d’or
13Jour de l’Épine-vinette28Jour du Maïs
14Jour de la Noix29Jour du Marron
15Jour de la Truite30Jour du Panier

La praticité des décades et des mois réguliers commence à se faire voir : les jours 5, 15, et 25 fêtent des animaux. Les jours 10, 20, 30, des outils et instruments ruraux. Il en sera de même pour les autres mois.

Les 24 autres jours du mois fêtent des plantes sauvages ou agricoles (fleurs, fruits, légumes, arbres…), mais aussi des productions minérales (granit, sel, cuivre, étain…) ou agricoles (fumier, tourbe…), notamment pour le mois de nivôse, durant lequel la neige recouvrant les plantes, il fallut trouver autre chose.

De plus, les plantes ou outils fêtés au cours d’un mois sont censés référer le plus possible au mois. Ainsi, durant le mois des vendanges, vendémiaire, on a les outils de la cuve, du pressoir et du tonneau, et le premier jour est celui du raisin.

Pour prairial, le mois de la moisson des prairies, l’on trouve la faux, la fourche et le chariot et un bon nombre de plantes cultivées (seigle, avoine, blé…). Durant fructidor, ce sont l’échelle, la hotte et le panier, essentiels à la cueillette des fruits qui sont mis en avant.

Et l’horloge ?

L’heure est également redéfinie. Exit les journées de 24 heures de 60 minutes de 60 secondes. Désormais (toujours du même décret) :

Le jour, de minuit à minuit, est divisé en 10 parties ou heures, chaque partie en dix autres ; ainsi de suite jusqu’à la plus petite portion commensurable de la durée. La 100ᵉ partie de l’heure est appelée minute décimale ; la 100ᵉ partie de la minute est appelée seconde décimale.

On trouve donc des horloges d’époque graduées pour correspondre à ce décret.

Pourquoi ce calendrier n’est pas resté

Il n’aura échappé à personne qu’aujourd’hui nous n’utilisons plus un tel calendrier. Nous utilisons le calendrier Grégorien, notre calendrier « normal ».

En effet, le calendrier Républicain n’a pas su s’imposer dans la durée. Ni en France, et encore moins dans le monde. Il n’a en vérité duré que 12 ans en France. C’est Napoléon qui l’abbrogea en 1806, pour revenir au calendrier Grégorien.

Faire appliquer un changement de calendrier est difficile sur le plan logistique. Non seulement, ce n’est pas pratique de remettre en cause le calendrier précédent (Grégorien, basé sur le Julien) utilisé depuis l’époque romaine dans tout l’occident et même ailleurs, mais aussi sur le plan politique : la révolution française est ce qu’elle est : française, pas mondiale ; et les autres pays n’en ont que faire de ce qu’ils voyaient probablement comme une excentricité franco-française.

Aussi, l’équinoxe, qui marque le début d’une année, varie d’année en année, et le fait de démarrer l’année selon une date variable irrégulière n’était pas pratique. Tous les calendriers subissent le même soucis, y compris le calendrier Grégorien, mais ce dernier règle cela avec des années bissextiles régulièrement espacées de 4 ans (avec des correctifs tous les 100 et tous les 400 ans, donc là également bien régulières).

D’autres critiques furent également faites, comme la durée des décades : 10 jours avec seulement un jour reposé (le décadi) était difficile, ou encore une non représentation de la réalité très catholique de la France à cette époque : les avis sur la laïcité n’étaient pas partagés par tout le monde.

Dans l’ensemble, ce calendrier fut donc aboli assez vite, malgré des avantages de régularité, de laïcité pourtant évidente pour qui y accorde de l’importance.

Et aujourd’hui ?

Peut-on connaître quel jour serait aujourd’hui dans un tel calendrier ? Oui !

Le 12 vendémiaire an 233.
La date du 3 octobre 2024 dans le calendrier républicain.

Les règles pour établir le commencement de l’année sont écrits. Il n’est pas impossible de relancer un tel calendrier pour une année quelconque, en dehors de son époque d’utilisation. Il « suffit » de savoir quel jour et à quelle heure se produit l’équinoxe d’automne, et transcrire ça dans l’heure de Paris puis de débuter une année.

Trouver l’équinoxe relève d’un calcul d’astronomie, et c’est un exercice très complexes : il faut tenir compte de la durée précise d’une année, de la vitesse de rotation de la Terre, de la vitesse de déplacement de la Terre sur son orbite (variable au fil d’une année, et rendue compte grâce à la fameuse équation du temps), de l’inclinaison de la Terre. Puis, pour notre calendrier, de tenir compte de la position de Paris sur la globe.

Cela se fait pourtant. Je n’ai pas tout recalculé moi-même, mais en reprenant un code existant, j’ai reproduit le calendrier sur cette page : Le Calendrier Républicain.
Ainsi, comme j’ai dit en en-tête, la date de publication de cet article aurait correspondu au Duodi 12 Vendémiaire an CCXXXIII. Cela n’a aucune valeur, vraiment, mais c’est un exercice amusant.

image d’en-tête

2 commentaires

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Juju écrit :

Les "sansculotides", c'est vraiment génial !
Bravo pour ces recherches.

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Mev écrit :

Merci, c'est top !!


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