Je viens de tomber sur cet article qui explique qu’en ayant réduit la limite de vitesse sur le périf parisien de 90 à 70 km/h, la nombre de bouchons a diminué de 40 %, et qu’au final la circulation est plus fluide.
Ceci est un exemple du paradoxe de Braess appliquée au réseau routier. Ce paradoxe dit que pour accélérer le trafic d’un réseau il faut en retirer les portions les plus rapides.
Comment c’est possible ?
Chacun pense avant tout à lui !
Pour expliquer ce paradoxe, il faut conjecturer que tous les automobilistes adoptent un comportement « égoïste ». Quand on cherche à se déplacer, en voiture, mais aussi à pied, à vélo ou avec son caddie dans les allées d’un magasin, on pense d’abord à arriver à notre point de destination, plutôt que de s’occuper de la fluidité du trafic dans son ensemble. Ainsi, on cherche avant tout à prendre les voies rapides quoi qu’il arrive, se disant que ça sera plus rapide, tout simplement.
La conséquence, est qu’une voie rapide déjà bouchée continuera de voir arriver des automobilistes, ce que ne fera qu’empirer la situation.
Ce comportement est naturel et pas vraiment reprochable : on ne peut pas demander à tout le monde d’avoir en tête l’état du trafic, même si un peu d’intelligence dans le choix de sa route pourrait être bénéfique à soi et à tout le monde. Sérieusement : pensez-y la prochaine fois qu’il y a un bouchon !
Certaines applications GPS tiennent compte en temps réel de l’état du trafic et proposent un trajet alternatif quand ils voient que la route habituelle est bouchée.
Explications du phénomène
Prenons un exemple concret. Regardons ces routes et ces villes notées A, B, C, D. Le but est d’aller de la ville A à la ville D :
Les chiffres indiquent la durée qu’il faut pour aller d’un bout à l’autre de la rue :
- la route jaune est une voie rapide : il faut 1 minute pour aller d’un bout à l’autre.
- la route verte est une voie lente : il faut 6 minutes pour y aller
- la route rouge est une voie rapide, mais très étroite et dangereuse : il faut autant de minutes pour y aller qu’il y a de voitures dessus.
Si vous êtes tout seul sur la route, il faudra emprunter le chemin A-B-C-D, et vous mettrez alors 1+1+1 = 3 minutes pour faire le trajet. Ceci est effectivement plus rapide que de passer par le chemin A-C-D, où vous mettriez 6+1 = 7 minutes.
À présent, imaginons qu’il y a beaucoup de voitures : 4 voitures doivent emprunter la route pour aller de A à D !
Évidemment, ils vont tous passer par le chemin ABCD : c’est la voie la plus rapide, et chacun ne pense qu’à lui, n’est-ce pas ?
Sauf qu’avec 4 voitures sur la route rouge il faudra 4 minutes pour aller d’un bout à l’autre : le trajet complet prendra donc 4+1+4 = 9 minutes.
Ceci est plus long qu’avec une seule voiture, mais ça sera toujours plus rapide que passer par la voie verte (où il faudra 6+4 minutes = 10 minutes).
On se dit que la voie rapide jaune, même par fort trafic, aide tout le monde à aller plus vite.
En réalité, il s’agit d’une fausse impression.
Regardons maintenant ce qui se passe quand on bloque la voie rapide et qu’on oblige les voitures à prendre un autre chemin :
Dans cette configuration, si vous êtes le seul sur la route, il vous faudra 6+1 = 7 minutes pour effectuer le trajet entier. Ceci est beaucoup plus long que les trois minutes.
Voyons ce qui arrive avec 4 voitures.
On peut supposer à plus ou moins juste titre que les différents automobilistes vont emprunter l’une ou l’autre des routes avec une probabilité de 50 % : les routes étant identiques, les automobilistes prennent une des routes au hasard. Pour une partie des voitures il faudra donc 2+6 = 8 minutes et pour l’autre partie des voitures il faudra 6+2 = 8 minutes pour faire le trajet de A à D.
On remarque qu’avec un fort trafic, cela prend plus de temps d’emprunter la voie rapide qu’être forcé à prendre les petits chemins.
On a donc réussi : en supprimant la voie rapide la plus utilisée, le trafic routier est plus fluide !
Non pas vraiment à cause de la voie rapide, mais plutôt parce que les voies menant à la voie rapide sont lentes (mais tout aussi empruntées).
Cas concrets d’observation du paradoxe de Braess.
Ce genre de phénomène a été remarqué par hasard à Séoul en Corée du Sud (qui est une mégapole six fois plus grande que Paris).
La ville avait 3 tunnels en 2002 et il y passait 168 000 véhicules chaque jour. Lorsque la municipalité a fermé un des tunnels pour remettre une rivière à cet endroit, le trafic des autres tunnels a diminué, le trafic s’est dilué dans toutes les routes partout autour et les tunnels n’accueillaient plus que 30 000 véhicules par jour. En gros, en supprimant 1/3 des tunnels rapides, le trafic a été réduit de 80 %.
Le lien donné plus haut pour Paris en est un autre exemple, et depuis il a été observé à de nombreuses reprises : New-York, Boston, Londres… tous ont été sujets à ça.
À l’origine, le paradoxe de Braess a été établi pour la congestion des nœuds du réseau pour Internet : si on met un gros câble en fibre optique très rapide entre deux points, toutes les données l’emprunteront. Ça se fera sans problèmes pour le gros câble, mais pas pour tous les petits câbles au bout ! Au final on se retrouverait avec un trafic plus perturbé qu’avant.
La solution est donc de ne pas construire de « voie rapide », mais plutôt de faire plein de voies « normales » en parallèle.
C’est également pour ça que le partage de gros fichiers via la technologie P2P est si rapide par rapport à des solutions centralisées de téléchargement direct ou de streaming non distribué : si un fichier est très demandé, les sites seront saturés, mais avec le P2P, le fichier étant partagé directement d’un internaute à un autre sans passer par un point central, c’est tout le réseau qui est utilisé sans point centrale. Dans ce cas, plus il y a d’internautes, plus le fichier est partagé rapidement, et le transfert global est accéléré. De plus, vu que tout le monde a son fichier plus rapidement, la saturation du réseau est seulement temporaire.
Notes
- L’exemple et le schéma de cet article sont inspirés de cette vidéo de la Royal Institution of Science.
(Cet article a initialement été publié sur Le Hollandais Volant. J’ai décidé de le déplacer ici, avec ses commentaires)