Une analemme.
Le temps est quelque chose de mystérieux, presque indéfinissable. Pourtant, parmi tout ce que l’on peut trouver en sciences, on a un outil qui se nomme l’Équation du Temps.

Alors non, il ne s’agit pas une équation qui donnerait l’heure absolue de l’univers, où je ne sais quoi de mystique, mais cela n’enlève rien au fait qu’il y a des choses très intéressantes à dire dessus.

Tout comme il ’existe l’équation des télégraphistes qui est (ou était) utile, on s’en serait douté, aux télégraphistes et concernant la transmission du signal à travers un conducteur électrique de grande longueur ; l’équation du temps aurait pu s’appeler « l’équation des horlogers », car elle constitue un outil pour mesurer l’écart entre les horloges et l’heure solaire vraie.

En effet, il existe un décalage entre l’heure solaire réelle et l’heure sur votre montre. Ce décalage varie au cours de l’année, tantôt en positif, tantôt en négatif. Moyennée sur une année, le décalage est nul (par définition de l’heure), il n’y a donc pas besoin d’ajuster sa montre chaque année, mais le décalage existe pour un jour donné de l’année. La position exacte du Soleil dans le ciel ne suit donc pas votre montre : le moment où le Soleil est au plus haut ne correspond donc pas toujours au « midi » de la montre (et ça, sans même parler des fuseaux horaires ou de l’heure d’été).

Lorsqu’on lisait l’heure sur un cadran solaire, cela posait problème : une même position de l’ombre pouvait signifier des heures civiles différentes en fonction du jour de l’année ! Pour corriger cette erreur, les cadrans solaires étaient accompagnés de tables donnant la correction à appliquer à l’heure lue sur le cadran (l’heure solaire, donc) pour obtenir l’heure civile.

L’équation du temps condense ces valeurs tabulées en une formule mathématique plus ou moins simple.

Aujourd’hui, nous n’utilisons plus de cadrans solaires. En revanche, on utilise de plus en plus des panneaux solaires, et ces derniers sont plus efficaces lorsqu’ils font face au Soleil. Certains panneaux solaires sont fixés sur un axe pivotant qui suivent la position du Soleil dans le ciel, comme un tournesol. Pour ces systèmes, connaître la position du Soleil devient critique, et l’équation du temps (re)devient quelque chose d’important. Ceci est encore plus vrai pour les centrales solaires à concentration (ceux avec un champ de miroirs et une tour au milieu), où les miroirs doivent suivre le Soleil avec une très grande précision, et où un décalage n’est pas admissible.

Heure solaire et heure civile ? Un décalage ?

Depuis que nous mesurons l’heure et les jours, probablement depuis l’Égypte antique, à qui l’on doit d’ailleurs notre découpage de la journée en 24 heures, on a toujours considéré que tous les jours avaient la même durée.
Cette durée a servi de base pour le découpage en 24 heures. Un jour « civil » vaut donc précisément 24 heures.

En réalité, c’est plus compliqué que cela : les jours n’ont pas tous la même durée ! Pour expliquer pourquoi, rappelons tout d’abord ce qu’est une journée.

Jour sidéral et jour solaire

Une journée, telle qu’on le définit habituellement, c’est la durée d’une rotation de la Terre sur elle-même : quand la Terre effectue un tour complet sur elle-même alors on parle d’un jour.

Un tour complet, c’est 360° : c’est cela que l’on appelle une journée. Plus précisément, c’est ce qu’on appelle une journée sidérale. En effet, ces 360° sont mesurés par rapport à un référentiel considéré comme fixe, à savoir des étoiles suffisamment lointaines pour que notre déplacement sur l’orbite autour du Soleil n’en modifie pas l’emplacement dans le ciel au fil des jours.

Après un jour sidéral, donc, les mêmes étoiles lointaines ont exactement la même position dans le ciel.
Ou, pour le dire autrement : la durée séparant deux moments consécutifs pour lesquels les mêmes étoiles sont à la même place dans le ciel, est appelée jour sidéral.

Maintenant, le Soleil.
Lui, il n’aura pas la même position dans le ciel : il n’est pas assez distant, et la Terre orbite autour. Quand on se déplace par rapport à lui, sa position apparente change.

Une année compte 365,2425 jours. Chaque jour qui passe, la Terre effectue 1/365,2425ᵉ de révolution complète. Puisqu’une une révolution complète correspond aux 360° de l’orbite, le déplacement quotidien est de 360°/365,2425 j, ce qui correspond à 0,985°, soit environ 1° par jour.

La conséquence directe de ceci est que la position du Soleil dans le ciel change de ~1° chaque jour sidéral de l’année.

Différence entre jour sidéral et jour solaire.
Comparaison entre jour sidéral et jour solaire : la planète positionnée en 1 met un jour sidéral pour arriver en 2 (les deux flèches 1 et 2 sont parallèles) et un jour solaire pour arriver en 3 (les deux flèches 1 et 3 pointent vers le Soleil). La différence dans l’angle des flèches est d’environ 1° (source)

Pour que le Soleil occupe la même position dans le ciel, il faut donc que la Terre effectue non pas 360°, mais 361° sur son axe. Ceci prend environ 4 minutes supplémentaires.
La durée qui sépare deux moments consécutifs où le Soleil reprend sa place dans le ciel, est appelé très logiquement le jour solaire.

Or, lorsque nous avons défini l’heure comme étant la 24ᵉ fraction de la journée, on a regardé le Soleil, pas les étoiles lointaines. C’est le jour solaire qui permet de définir le jour civil.
Un jour solaire mesure donc 24 h par définition. Le jour sidéral, lui, dure un peu moins, à savoir 23 h 56 min 4 s (environ 4 minutes en moins).

Le jour solaire est une moyenne

Quand je dis que le jour solaire dure 24 heures par définition, c’est faux. Il s’agit en vérité d’une moyenne sur une année : c’est cette moyenne sur l’année qui dure par définition 24 heures. Les journées individuelles varient un peu, notamment à cause de la forme de l’orbite terrestre autour du Soleil et de l’inclinaison de l’axe de la Terre. Voyons tout ça.

Influence de la forme de l’orbite terrestre : l’équation du centre

On a donc vu que c’est le déplacement de la Terre sur son orbite qui produit la différence entre le jour sidéral et le jour solaire d’environ 4 minutes. Or, l’orbite de la Terre n’est pas un cercle : c’est une ellipse, qui plus est une ellipse excentrée très légèrement. Certaines parties de l’orbite sont plus proches du Soleil que d’autres.

À cause de cette forme irrégulière, la vitesse de déplacement de la Terre autour du Soleil est également irrégulière : la Terre se déplace plus vite lorsqu’elle est proche du Soleil et moins vite lorsqu’elle en est loin (c’est la loi de Kepler). Le moment où la Terre est au plus proche du Soleil se nomme le périhélie, qui a lieu chaque année autour du 3 janvier, et le moment où elle en est le plus éloigné est l’aphélie, qui a lieu six mois plus tard, vers le 3 ou 4 juillet :

Schéma de la loi de Kepler
Les angles A1SA2 et P1SP2 sont différents, mais les deux arcs A1A2 et P1P2 sont parcourus en une durée identique par l’astre, du fait de l’excentricité de S. (source)

Ces ~1° supplémentaires, ou ces 4 minutes de décalage sont donc une moyenne également. Il faut donc, pour la Terre, parfois un peu plus, parfois un peu moins de temps pour rattraper l’heure solaire.

Numériquement, l’amplitude de ces variations durant l’année se situe autour de ±7,6 minutes ! C’est loin d’être anodin.

Nos horloges calquées sur la moyenne de 24 heures exactement sont donc tantôt en avance, tantôt en retard sur le Soleil. Ce décalage est nul lors de l’aphélie et de la périhélie.

Ce décalage dû à la forme de l’orbite terrestre est appelé équation du centre, et il peut être représenté sous la forme d’une sinusoïde :

Sinusoïde représentant l’équation du centre
Équation du centre : la sinusoïde représente le décalage entre l’heure solaire vraie et l’heure solaire moyenne (heure civile) au fil d’un an, du 1ᵉʳ janvier au 31 décembre dû à l’excentricité de l’orbite terrestre. Notez le passage par zéro lors de la périhélie (début janvier) et de l’aphélie (début juillet).

Influence de l’inclinaison de l’orbite terrestre : la réduction à l’équateur

En plus de l’irrégularité de la vitesse de la Terre sur son orbite, l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre provoque également un décalage. La Terre est incliné d’environ 23,44° par rapport au plan de son orbite, ou plan de l’écliptique.

Là aussi, cela influence la position apparente du Soleil dans le ciel : le Soleil progresse chaque jour de ~1° sur le plan de l’écliptique. Or, la rotation supplémentaire que la Terre fait pour se remettre face au Soleil est fait dans le plan de l’équateur !
L’expression dans le référentiel de l’équateur de ce décalage dans le référentiel de l’écliptique implique un second correctif.

Ce décalage-ci compte pour environ ±9,8 minutes au cours d’une année, et il s’annule en particulier lorsque le plan de l’équateur traverse l’écliptique, c’est-à-dire aux équinoxes, ainsi que lors des solstices.

Ce décalage est appelé réduction à l’Équateur, et il s’agit à nouveau d’une sinusoïde. Celle-ci possède deux périodes au cours d’une année :

Graphique représentant la sinusoïde de la réduction à l’équateur.
Réduction à l’équateur: la sinusoïde représente le décalage entre l’heure solaire vraie et l’heure solaire moyenne (heure civile) au fil d’un an, du 1er janvier au 31 décembre dû à l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. Notez le passage par zéro aux équinoxes (fin mars, fin septembre) et aux solstices (fin juin, fin décembre).

Combinaison des deux phénomènes : équation du temps

Les deux phénomènes vus précédemment ne sont pas en phases : étant d’origines différentes, elles n’ont pas à l’être. Toutefois, c’est bien leur action combinée — leur somme — qui constitue le décalage global entre l’heure solaire vraie (position du Soleil) et l’heure solaire moyenne (heure civile) :

Graphique représentant l’équation du temps

L’ordonnée de cette courbe montre, pour une journée donnée de l’année, ce décalage en minutes. Ce décalage, cette courbe, est ce que l’on appelle l’équation du temps.

Une dernière chose : si l’on dessine chaque jour la position la plus haute du Soleil à la même heure (midi, heure solaire moyenne), on obtient une figure caractéristique en forme de « 8 » appelée analemme. C’est ce que l’on voit dans l’image d’en-tête.

Elle montre de façon visuelle la position du Soleil à midi — midi civil — pour chaque jour de l’année, et l’on constate bien que le Soleil n’est pas toujours à la même place, malgré le fait qu’il soit bien midi à notre montre pour chaque photo.
Une autre façon d’obtenir ce dessin, c’est au sol en traçant l’ombre de la pointe d’un poteau ou d’un lampadaire, par exemple, chaque jour de l’année, à midi (heure civile, hors heure d’été). À la fin de l’année, on observera une analemme au sol.

Plusieurs niveaux de précision

L’équation du temps, ici, ne tient compte que des paramètres orbitaux de la Terre : excentricité et ellipticité de l’orbite, et inclinaison de son axe de rotation. Ce sont là les deux paramètres les plus influents.

Ces paramètres sont dus à des causes différentes et arbitraires, mais les décalages qu’elles produisent au cours d’une année sont, en première approximation, identiques d’une année sur l’autre. Une équation assez simple constituée de la somme des deux sinusoïdes fonctions de d, peut donc être construite, où d est le jour de l’année (entre 1 et 365, ou 366 ; et le résultat Δt est en minutes décimales) :

$$\Delta t = -7,655 ⋅ \sin(d) + 9,873 ⋅ \sin(2d + 3,588)$$

Cette équation empirique est valable tous les ans, à notre époque (−1000/+1000 ans), et donne une estimation du décalage entre l’heure solaire et l’heure civile avec une justesse d’environ 2 minutes (soit 0,5° dans la position du Soleil dans le ciel). Il s’agit d’un calcul approché qui suffit amplement pour l’application des panneaux solaires photovoltaïques orientables mentionné dans l’introduction.

Dans d’autres cas, on a besoin d’une précision plus importante, et les calculs deviennent plus complexes. Là, sont alors pris en compte plus de paramètres.

$$\begin{aligned}T &= \frac{jd-2415020.0}{36525} \\ \epsilon &= 23.452294 - 0.0130125T - 0.00000164T^2 + 0.000000503T^3 \\ \nu &= \tan^2(\epsilon/2) \\ L &= 279.69668 + 36000.76892T + 0.0003025T^2 \\ e &= 0.01675104 - 0.0000418T - 0.000000126T^2 \\ M &= 358.47583 + 35999.04975T - 0.000150T^2 - 0.0000033T^3 \\ \Delta t &= \nu\sin(2L) - 2e\sin(M) + 4e\nu\sin(M)\cos(2L) - \frac{1}{2}\nu^2\sin(4L) - \frac{5}{4}e^2\sin(2M) \\ \end{aligned}$$

Où :

  • T : la date (exprimée en siècles de calendrier julien) ;
  • ε (epsilon) : obliquité (inclinaison) de l’axe de rotation ;
  • ν (nu) : l’anomalie vraie ;
  • L : la longitude moyenne du Soleil ;
  • e : excentricité de l’orbite ;
  • M : l’anomalie moyenne.

Et :

  • Δt : l’équation du temps.

Les deux paramètres que sont l’obliquité et l’excentricité sont variables d’année en année et ajustés avec des constantes, sont ici recalculées. En effet, ces paramètres varient très légèrement avec le temps et cette seconde approximation tient compte de ça. Cette nouvelle précision donne une justesse de quelques secondes sur l’équation du temps, et cette dernière conserve cette précision sur une plage de temps d’environ 6 000 ans.

Enfin, pour un calcul encore plus précis, on doit prendre en compte la variation de ces constantes elles-mêmes ! Là aussi avec des fonctions empiriques encore plus étendues. Tous ces paramètres évoluent en effet en fonction d’un grand nombre d’influences extérieures :

  • l’influence des autres astres (planètes, lunes…), qui modifient très légèrement l’orbite et l’inclinaison de la Terre ;
  • l’influence des forces de marée (du Soleil et de la Lune), qui tendent à ralentir la rotation terrestre au fil des éons ;
  • la précession du périastre (l’orientation de l’éclipse de notre orbite, qui tourne également) ;
  • la nutation (rotation de la direction de l’inclinaison de l’axe de la Terre).

Ces phénomènes-là sont beaucoup plus légers que ceux intervenant dans l’équation du temps simplifiée ou semi-simplifiée, mais leur prise en compte devient nécessaire lorsqu’on requiert une justesse très importante, de l’ordre de 0,01 seconde, et valables sur des dizaines de milliers d’années.

Ce que l’on considère comme des constantes en première approximation dans la version simplifiée est donc peu à peu paramétré en fonction du temps. Les constantes deviennent donc variables, et rendent donc plus précises les calculs. Ce genre de méthode, où la précision des calculs est plus ou moins complexe est souvent utilisé en astronomie selon le niveau de précision requis (et selon le niveau de puissance de calcul disponible, bien que ceci ne soit plus vraiment un souci aujourd’hui).

Et l’équation des équinoxes ?

L’équation du temps permet d’estimer le décalage du Soleil à cause de la variation d’une journée solaire durant l’année. Le jour sidéral, qui prend les étoiles distantes pour référence est bien plus régulier.

Bien plus, mais pas parfaitement.

Là aussi, divers paramètres légers peuvent influencer la durée d’un jour sidéral. Si l’on utilise les calculs expliqués juste au-dessus avec les influences des planètes et de la précession des équinoxes, alors on se rend compte que les jours sidéraux varient également. On se retrouve là également avec un temps sidéral moyen (moyenné sur une année) et un temps sidéral vrai (ou apparent).

Le décalage entre le temps sidéral moyen et le temps sidéral vrai est appelé équation des équinoxes.

Ici aussi, pour avoir quelque chose de très précis, les calculs deviennent fastidieux. Il faut savoir que les positions des autres planètes ont une influence sur notre orbite, mais l’inverse est vrai également, et les planètes entre elles s’influencent également. Dans l’ensemble, cela fait beaucoup d’ajustements.

Ceci dit, la mécanique céleste est complexe, mais régulière. Les calculs sont donc compliqués, mais sont essentiellement constitués de fonctions trigonométriques « simples ». Au final, on peut obtenir des valeurs extrêmement précises, de l’ordre du centième de milliardième de degré angulaire sur la position d’une étoile dans le ciel, au prix de nombreux calculs.

Ressources

Pages web en ligne :

Ouvrages papier :

  • Astronomical Algorithms, Secondth Edition, Jean Meeus, 1998 (ISBN : 978-0943396613 ; lien Amazon)
  • Textbook On Spherical Astronomy, Sixth Edition, W. M. Smart, 1977 (ISBN : 978-0521215169 ; lien Amazon)

Et mon outil en ligne qui affiche l’équation du temps à un moment donné :

image d’en-tête de Giuseppe Donatiello

1 commentaire

gravatar
mjwurtz écrit :

Bonjour,

A propos de cadrans solaire, un autre outil intéressant est la méridienne, qui affiche verticalement un "8" allongé représentant l'équation du temps. Un disque percé d'un trou permet de voir un point lumineux formé par le soleil traverser ce "8" à midi (heure solaire), les graduations indiquant non pas l'heure, mais le mois en cours (et un peu le jour si on interpole). La position des graduations montre aussi bien l'effet de la trajectoire elliptique de la terre autour du soleil.
Il y en a pas mal sur les édifices religieux en Alsace, par exemple à Colmar :
Collégiale Saint-Martin - Méridienne (Colmar) - Collégiale Saint-Martin de Colmar — Wikipédia

Sinon, merci : encore une fois très bon et intéressant article !


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