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Une technique anti-contrefaçons utilisée notamment sur les billets de banque sont les encres à couleur changeante. On le voit sur les billets de 50 € ou plus, notamment.

Comment ça marche ? Comment une encre peut-être être de plusieurs couleurs ?

Une couleur, zéro pigments

Habituellement, les couleurs sont produites par des pigments. Un pigment est une molécule qui lorsqu’elle reçoit la lumière incidente, absorbe une partie du spectre reçu, et renvoie le reste. La couleur du pigment correspond alors à la partie de la lumière qui est renvoyée.

L’espèce chimique utilisée dans le pigment détermine sa couleur. Si l’espèce chimique (la molécule) ne change pas, alors cette couleur ne change pas

Dans certains cas, les couleurs peuvent être produites sans pigments. C’est le cas de couleurs dites structurelles, où c’est la structure de la matière, l’agencement des atomes au niveau microscopique ou macroscopique qui est responsable de la production des couleurs, principalement grâce à des phénomènes d’interférences ondulatoire de la lumière, mais aussi de phénomènes relativistes, pour la couleur de l’or ou du cuivre par exemple.

Les encres qui changent de couleurs, ou encres optiquement variables tombent dans la catégorie des matériaux qui produisent de la couleur structurelle par phénomène d’interférences. Elles rejoignent donc les bulles de savon, les plumes de paon, les cristaux des pierres d’humeur sur les bijoux, les couleurs sur une flaque d’eau contenant du gazole, les couleurs obtenues avec un CD que l’on éclaire… bref, on en voit partout bien qu’on ne se pose pas souvent la question.

Contrôler la structure permet de choisir la couleur finale que l’on verra, mais on pourra aussi obtenir un effet de changement de couleur en fonction de l’inclinaison de la surface. Dans le cas des billets de 50 € mentionné au début, la partie encrée varie du vert au violet.

Origine d’une couleur structurelle

La couleur structurelle découle généralement de phénomènes d’interférences. On les reconnaît à leur aspect métallique, ou irisés.

Au cours de ces phénomènes, un rayon de lumière incidente issu de la lumière ambiante se retrouve scindé en deux rayons identiques (même direction, même longueur d’onde) mais décalés, déphasés. Quand ces deux rayons se recombinent, ils agissent l’un sur l’autre : ils interfèrent. Leur amplitude peuvent alors s’additionner ou se soustraire en fonction du déphasage :

Interférence de deux ondes.
Interférences de deux ondes. Les interférences peuvent être additives si les ondes sont en phase (à gauche), ou soustractives si elles sont décalées d’une demi-longueur d’onde (à droite) ; avec toutes les possibilités intermédiaires. (source)

Si l’on a deux couleurs — deux longueurs d’ondes différentes — il est possible que l’une soit totalement annulée, et l’autre soit au contraire augmentée. Le déphasage est bien identique pour les deux longueurs d’onde, mais chaque longueur d’onde ne va pas réagir de la même façon.
C’est ce mécanisme qui permet de colorer des surfaces structurellement à partir d’une lumière blanche polychromatique.

Origine des interférences

Pour obtenir une couleur structurelle, il faut que les rayons incidents soient scindés. Les rayons ainsi obtenus vont interférer et produire la couleur par addition ou soustraction.
L’origine de la scission se produit typiquement avec des revêtements présentant une couche mince transparente, des petits orifices, ou rainures très fines.

Quelques exemples peuvent être :

  • les sillons d’un CD-Rom (réseau de diffraction ; rainures)
  • l’épaisseur d’eau d’une bulle de savon (couche mince)
  • une couche d’huile ou de gazole sur une flaque d’eau (couche mince)
  • les plumes de paon, de coq, de canard Col Vert, de pigeon (réseau de diffraction)
  • les écailles de poisson, le dos de certains scarabées, les ailes de certains papillons (réseaux de diffraction + couche mince)

Dans ce cas des interférences par couche mince, une partie de la lumière est directement réfléchie sans entrer dans la couche transparente et l’autre passe dans la matière, se réfléchit à l’intérieur puis en ressort :

Scission de la lumière sur une couche mince.
Une partie de la lumière est réfléchie sur la surface, et l’autre partie se réfléchit sur le fond, avant de ressortir du matériau.

On peut remarquer que la partie transmise dans la couche mince du rayon va effectuer un trajet supplémentaire par rapport à la partie du rayon qui est réfléchi en surface. On parle d’une différence de marche dans le trajet optique.

C’est précisément la valeur de cette différence de marche qui va constituer le déphasage : les deux ondes initialement en phase au moment de se scinder en deux, vont être décalées au moment d’interférer.

Évidemment, le déphasage va dépendre de l’épaisseur de la couche mince, ainsi que de sa nature, mais ce n’est pas tout. L’inclinaison des rayons incidents va également être importante. En effet, plus le rayon est incliné, plus le trajet optique dans la couche mince va être importante, et cette augmentation fera varier le déphasage :

Différence de marche en fonction de l’inclinaison.
La différence de marche dépend de l’inclinaison des rayons incidents.

Sur la figure ci-dessus, on voit très bien que la différence de marche dépend de l’inclinaison. Il en résulte que selon l’inclinaison des rayons incidents, les couleurs issues des interférences vont également varier.

Cas des encres optiquement variables

L’effet où l’encre change de couleur en fonction de l’inclinaison vient de là : quand on incline le papier encré, on modifie en direct l’incidence et donc le déphasage, et par suite, la couleur résultante varie également.

Le déphasage est le même pour toutes les longueurs d’ondes, mais si l’on prend l’exemple d’un déphasage de 200 nm, celui-ci va totalement annuler les longueurs d’ondes de 400 nm (bleues), mais seulement partiellement les longueurs d’ondes de 500 nm (vert), 600 nm (jaune), ou rouges. Dans ces conditions, le bleu est annulé et retiré du spectre : la lumière blanche sans le bleu devient alors orange.
Si cette fois le déphasage est de 300 nm, les longueurs d’ondes de 400 nm (bleues) ne sont plus totalement annulées, mais le 600 nm (jaune), si. Le spectre blanc est donc dénué de jaune, et sera principalement rouge-bleu, donc violacé.

Selon l’angle, donc, les couleurs qui ressortent après interférences varient, et c’est ce qui provoque ces changements :

Encres à couleur changeante sur les billets de 200 € et 500 €.
Démonstration du changement de couleur de l’encre sur les [anciens] billets de 200 € et 500 €.

Conclusion

Les encres qui changent de couleur en fonction de l’orientation fonctionnent par des interférences ondulatoires lumineuses : la lumière interfère, soit constructivement, soit destructivement. Il en résulte que l’encre soit atténue, soit accentue certaines couleurs. De la lumière blanche, on passe donc, par exemple, à de la lumière verte. Et vu le fonctionnement de ces interférences, c’est l’angle d’incidence qui détermine quelle couleur est détruite, et laquelle est renforcée, d’où le changement de couleur lors de l’orientation du billet.

Ces encres sont utilisés sur d’autres éléments également, notamment tout ce qui peut nécessiter une protection anti-contrefaçon (cartes bancaires, tickets restaurants, par exemple), ou des objets suffisamment qualitatifs pour bénéficier d’un élément fantaisiste comme une encre qui change de couleur (pochette de CD, clés USB, cartes de collection…).

Enfin, certaines encres peuvent également changer de couleurs sous l’effet d’un courant électrique, de la chaleur ou de rayonnement ultraviolet. Dans ce cas, ces différents paramètres (courant, chaleur, UV) modifient physiquement ou chimiquement le processus de production de la couleur. Dans le cas des couleurs qui changent sous la chaleur, par exemple, c’est l’espèce chimique qui est altérée : la molécule elle-même est modifiée et change de couleur sous l’effet de la chaleur.

Ressources

image d’en-tête : travail personnel.

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