Il y a trois ans je publiais un article sur la production du froid. Je me permets de le compléter avec un nouvel article sur les climatiseurs, car malgré les apparences, un climatiseur n’est pas du tout un radiateur que l’on aurait monté à l’envers.
Chaleur, énergie, entropie
La chaleur c’est de l’énergie sous la forme d’agitation thermique : les molécules d’un corps chaud sont plus agitées que dans un corps froid. Vu sous cet angle, refroidir un corps reviendrait à calmer toutes ces molécules, à les ordonner.
Or, si avoir un système désordonné à partir d’un système ordonné est très simple, l’inverse l’est beaucoup moins ! Et ceci est valable aussi dans la vie courante : est-il plus simple d’obtenir un puzzle ordonné ou désordonnée ?
Pour tout dire, en fait, il est fondamentalement impossible qu’un système désordonné se réordonne tout seul. C’est si fondamental même, que cela porte le nom de « deuxième principe de la thermodynamique ».
Ce principe dit que la quantité « désordre » dans un système isolé ne peut qu’augmenter : c’est la notion d’entropie.
Il n’existe donc aucune machine qui puisse juste refroidir un corps qu’on lui présente : ça serait une violation du deuxième principe.
Les frigos, ou climatiseurs font toujours quelque chose de plus que juste refroidir un corps : ils entraînent un échauffement quelque part ailleurs : votre frigo provoque un échauffement sur la grille au dos, et le climatiseur libère également une grande quantité de chaleur vers l’extérieur (le tuyau, que l’on passe par la fenêtre, évacue toute cette chaleur).
C’est uniquement comme ça que l’on peut refroidir un corps : en réchauffant quelque chose d’autre à la place.
En réalité, ces appareils déplacent de la chaleur : ils prennent la chaleur au corps à refroidir pour l’évacuer dehors. Pour cela, il existe plusieurs méthodes, la plus simple étant celle que je vais expliquer ci-dessous.
Le climatiseur : machine à déplacer de la chaleur
Le climatiseur doit prendre la chaleur contenue dans l’air de la pièce pour l’évacuer dehors. Pour cela, il faut tout d’abord que la chaleur passe de la pièce à votre clim. Ceci ne peut se faire que si votre climatiseur est plus froid que votre intérieur : la chaleur ne s’écoulant toujours que du corps chaud vers le corps froid :
Le transfert de chaleur est alors naturel : le climatiseur se réchauffe et l’air de la pièce refroidit jusqu’à atteindre un équilibre.
De l’autre côté du climatiseur, le côté qui évacue la chaleur dehors, il faut que votre clim soit plus chaude que l’air dehors : de cette façon, la chaleur sortira de la clim pour aller se perdre dehors :
Au final, la chaleur sera passée de votre pièce, à la clim, puis dehors. Simple, non ?
En fait non : si on fait le bilan, il faut que votre clim soit plus froide que votre pièce, mais plus chaude que l’air dehors. Or ceci n’est pas possible a priori : un espace climatisé est souvent déjà plus froid dedans que dehors, et la clim continue bien de fonctionner.
Il y a donc une astuce.
L’astuce est de forcer la partie de la clim qui est dans votre maison à se refroidir et la partie dehors à s’échauffer.
Ceci est rendu possible grâce à la détente et à la compression d’un gaz. Quand on détend un gaz, il se refroidit : mettez un thermomètre directement à la sortie de votre bombe de déodorant (qui est pressurisée) et vous verrez : ça descend jusqu’à −50 °C.
Inversement, comprimez un gaz et il chauffe. On voit ça avec la pompe à vélo, qui chauffe soudainement quand on l’actionne tout en bouchant la sortie d’air.
Votre climatiseur utilise un circuit fermé contenant du gaz, qui est alternativement détendu puis comprimé.
La partie du circuit en contact avec l’air de votre pièce contient de l’air très fortement détendu. De cette façon, le gaz est très froid et la chaleur passe rapidement de l’air vers le gaz. Ainsi, l’air de votre maison refroidit et le gaz se réchauffe.
Ensuite, une pompe transporte le gaz devenu chaud vers le circuit situé à l’extérieur, où il est très fortement comprimé : il chauffe au-delà de la température extérieure et la chaleur s’en échappe.
Enfin, le gaz retourne dans le climatiseur pour être détendu. Le tout fonctionnant en circuit fermé et continu :
Le principe est assez simple : la détente puis la compression du gaz le force à accepter la chaleur dans la maison puis à libérer la chaleur dehors.
C’est de cette manière que cet appareil force les transferts de chaleur depuis l’air de votre pièce vers l’extérieur, et ainsi obtenir de l’air froid dans votre maison.
On peut déjà remarquer que plus il fait froid dans votre maison, plus la détente de gaz dans la maison doit être importante. De même, plus il fait chaud dehors, plus le compresseur doit échauffer le gaz pour arriver à dépasser la température de l’air extérieur.
Ceci est la raison pour laquelle un climatiseur consomme d’autant plus d’énergie que la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur est importante. Chaque degré « moins froid » représente une économie d’énergie conséquente.
Je place ceci à part, car c’est une digression mais qui a quand-même sa place ici.
La plupart des climatiseurs, et surtout les autres systèmes de production de froid tel que les réfrigérateurs, utilisent une autre astuce : plutôt que d’utiliser seulement du gaz, ils utilisent un produit dont la température de liquéfaction/ébullition est proche de la température ambiante. Ainsi, dans le détendeur, le liquide devient du gaz et dans le compresseur, le gaz redevient liquide. Ceci augmente très largement le rendement de l’appareil.
La raison à ça est que le changement d’état s’accompagne toujours d’un échange de chaleur. Il suffit alors de changer l’état du fluide dans le système pour forcer une absorption ou un dégagement de beaucoup de chaleur. Il n’y a pas besoin de compresser beaucoup : juste assez pour qu’un changement d’état soit forcé par une variation de pression du fluide.
Cette chaleur de changement d’état est appelée « chaleur latente » : on ne la ressent pas, mais elle est là, et c’est elle qui est transportée dans le circuit de refroidissement du climatiseur (et de votre frigo aussi), par un fluide dit caloporteur (« transporteur de calories » donc de chaleur).
Ce système à changement de phase, couplé avec des compresseurs et détendeurs est bien plus efficace qu’un simplement circuit à une seule phase (juste du gaz).
Similitudes avec le réfrigérateur et la pompe à chaleur
Une dernière note, enfin.
Le climatiseur transporte de la chaleur d’une région à refroidir à une autre région où on peut l’évacuer. Si on branche le circuit d’une clim à l’envers, alors la chaleur – les calories – sont transportées dans l’autre sens : d’une région où l’on peut les prendre facilement vers l’intérieur de la maison. Si on fait ça, on se retrouve avec une pompe à chaleur : les calories sont prises dehors et transportées à l’intérieur de la maison.
De façon schématique, si vous faites une ouverture de la dimension de votre frigo dans votre mur, que vous ouvrez le frigo sur le dehors et gardez la grille à l’intérieur, alors en hiver votre frigo agira comme une pompe à chaleur : des calories seront prises de l’intérieur du frigo (en contact avec l’air dehors) et transportées vers la grille dans votre maison. Cela fonctionnera (avec un rendement misérable, et si le frigo s’enclenche, mais ça marche).
Capter et transporter de la chaleur déjà existante est plus rentable que de créer de la chaleur à partir d’électricité ou de bois : on peut par exemple récupérer 400 W de chaleur avec une pompe d’une puissance de 100 W.
On dit alors que le coefficient de performance de la pompe à chaleur est de 4, et ça veut dire que pour un même investissement de 100 W d’électricité, on récupère 4 fois plus de chaleur avec une pompe à chaleur qu’avec un chauffage électrique.
Ceci est très rentable économiquement, mais il ne faut pas confondre ça avec un « rendement sur-unitaire » car ce n’est pas le cas. Un chauffage électrique converti de l’électricité en chaleur (le rendement maximum est de 1), alors que la pompe à chaleur transporte de la chaleur, et le transport ne constitue pas une conversion d’énergie et on ne parle donc pas de rendement : on peut très bien transporter 4 kWh de chaleur avec un appareil consommant 1 kWh.
image d’illustration de Bill Smith