Dans beaucoup de films de science-fiction faisant intervenir des aliens, ce sont les aliens qui viennent sur Terre pour nous envahir, et non les humains qui vont envahir une autre planète peuplée d’extra-terrestres. C’est le cas par exemple de Independence Day, ou encore plus récemment d’Avengers.
Ceci suppose que les extra-terrestres soient en mesure de voyager à travers la galaxie pour venir nous voir, typiquement à bord d’un vaisseau spatial, et très certainement, en empruntant des trous de ver (voir ça plus loin pour savoir pourquoi).
Une remarque peut donc être faite : étant donné que sur le plan de l’exploration spatiale nous ne sommes allées (en dehors de la Terre) que sur la Lune et nulle part ailleurs, ça signifie que les aliens sont techniquement beaucoup plus avancés que nous !
D’où la question que l’on peut se poser : comment classer le niveau d’avancement d’une civilisation ?
Une façon parmi d’autres de poser le problème est de voir quelle quantité d’énergie peut être produite, consommée et exploitée par la civilisation.
Ceci n’est pas si absurde : la production d’énergie de notre espèce n’a fait que croître depuis toujours. De la maîtrise du feu, à l’emploi de chevaux, d’esclaves, puis de poudre à canon, de machines à vapeur, à charbon, puis à explosion, électriques et enfin à l’énergie de fission nucléaire, nous consommons toujours plus d’énergie.
Une partie de l’énergie est utilisée pour l’exploration spatiale : aujourd’hui on utilise des fusées et des sondes à propulsion chimique, ionique ou solaire pour explorer d’autres planètes. L’exploration spatiale demande énormément de ressources, et on imagine très bien que voyager à travers la galaxie pour envahir une planète va en demander beaucoup plus encore.
L’échelle de Kardashev
Partant de cette base, il a été proposé de mesurer la quantité d’énergie mise en jeu par toute une civilisation, de la quantifier, et de classer une civilisation sur une échelle. C’est ce qu’a fait en 1964 l’astrophysicien Nikolaï Kardashev.
Il est parti du principe qu’une civilisation peut « récolter » l’énergie disponible dans l’univers, et il classe les civilisations en se basant sur l’ordre de grandeur de la quantité d’énergie captée.
Kardashev définit 3 types de civilisations : le Type I, le Type II et le Type III (aussi désignés K1, K2 ou K3).
Plus tard, Carl Sagan et d’autres étendront cette échelle pour lui donner davantage de « barreaux » au fur et à mesure qu’une civilisation se développe. Voyons tout cela.
Le Type I
Une civilisation de Type I est capable de capter et d’utiliser toute la puissance d’une planète.
Pour nous, ça veut dire la puissance disponible sur Terre. Ceci inclut le vent, les cyclones, les marrées, la chaleur, les volcans, les orages, les énergies fossiles (charbon, gaz, nucléaire…) et les énergies du vivant (bois, biocarburant…).
Quantitativement, ceci correspond environ à 10¹⁶ à 10¹⁷ watts.
Une telle civilisation occupe tous les continents et commence à s’étendre sur d’autres astres. D’un point de vue technologique, l’être humain tombe sous le type K1, mais d’un point de vue énergétique, on n’y est pas encore tout à fait.
Le Type II
Cette civilisation est capable de capter toute la puissance de son étoile (pour nous, ça serait donc le Soleil).
Le Soleil tire son énergie de la fusion thermonucléaire, et cette énergie rayonne dans toutes les directions autour du Soleil (nous ne recevons sur Terre qu’une minuscule partie de ce rayonnement). Une façon de faire serait de placer des panneaux solaires ou des vaisseaux solaires partout autour du Soleil et de canaliser toute l’énergie vers la Terre, les vaisseaux spatiaux, ou quoi que ce soit qui puisse utiliser cette énergie.
Le Soleil émet 3,86×10²⁶ watts. Kardashev proposait de mettre la barre à 10²⁶ watts.
Le Type II consomme donc environ un milliard de fois plus de puissance qu’un Type I.
Il contrôlerait alors son système solaire dans son ensemble, et occupe plusieurs planètes.
Au passage, l’idée d’une sphère ou d’un essaim (ou constellation) de panneaux ou de vaisseaux solaires autour d’une étoile pour en capter la quasi-totalité de l’énergie, se nomme une sphère ou un essaim de Dyson.
Le Type III
Plus fort encore, une civilisation de Type III est capable de récolter la puissance de toutes les étoiles de sa galaxie, et de l’utiliser à sa convenance.
Notre galaxie comportant environ 100 milliards d’étoiles de toutes sortes, cela représente la quantité énorme de 10³⁷ watts.
Là encore, le rapport de puissance énergétique entre un Type III et un type II est de l’ordre du milliard (10 milliards pour être précis).
Le Type III aurait par exemple placé des sphères de Dyson sur toutes les étoiles. Il pourrait canaliser cette énergie de façon à déplacer les étoiles (pour éloigner les étoiles sur le point d’exploser) ou les modifier…
Toutes les étoiles de la galaxie seront sous son contrôle, et le type III aurait typiquement la technologie pour voyager entre les étoiles d’une galaxie.
Le Type IV
Kardashev avait lui-même limité son échelle au type I, II et III, pensant qu’une civilisation ne pourrait jamais aller au-delà.
D’autres scientifiques, comme Carl Sagan ont depuis étendue l’échelle.
Il est ainsi ajouté à la liste un Type IV.
Une civilisation de ce type est, vous l’aurez compris, en mesure de capter toute la puissance d’une multitude de galaxies, y compris le rayonnement intergalactique.
Un type IV contrôlerait l’univers, tant sur le plan de la matière que sur les moyens de transport intergalactiques et même l’information.
Les Types V, VI et au-delà
Historiquement, nous pensions que la Terre était unique. Puis on a découvert les autres planètes. On s’est alors dit que le soleil était unique. Puis on a découvert que ce n’était qu’une étoile comme les autres. Puis la galaxie fut déclarée spéciale, et ensuite les autres galaxies furent découvertes…
Pourquoi notre univers, la prochaine étape, devrait-elle être unique ? Philosophiquement, il serait insensé de s’arrêter là.
Il existe donc l’hypothèse que notre univers ne soit qu’une parmi plein d’autres, le tout se trouve dans le multivers. Cette idée est fondée et loin d’être absurde, mais elle reste également de l’ordre de l’hypothèse : il n’y a encore aucune preuve de l’existence d’autres univers que la nôtre.
Une civilisation de type V serait logiquement capable de capter l’énergie de plusieurs univers, et de se déplacer de l’un aux autres.
Quant au type VI… Cette idée est bien plus étrange encore… Qu’un empire règne sur une seule planète ou à l’échelle de plusieurs univers, il est toujours prisonnier de l’espace et du temps : reclus dans l’ici et le présent et incapable d’aller au-delà des dimensions.
On pose l’idée d’un type VI comme celle d’une civilisation si avancée qu’elle contrôlerait l’espace et temps dans et en dehors des univers. Cette civilisation vivrait hors des limitations de l’espace-temps.
Si l’on résume tout ça dans un tableau :
Type | Récolte l’énergie… | Ordre de grandeur d’énergie captée |
---|---|---|
0 | … de moins d’une planète | 106 W |
I | … d’une planète entière | 1016 W |
II | … d’une étoile, ses planètes | 1026 W |
III | … d’une galaxie, toutes ses étoiles | 1036 W |
IV | … d’un univers, toutes ses galaxies | 1046 W |
V | … du multivers, tous ses univers | (?) |
VI | … de tout l’espace-temps | (?) |
Certains maintenant vont jusqu’à étendre l’échelle de Kardashev à 10 barreaux. Ils parlent alors de multivers (Type V), mégavers (Type VI), omnivers (type VII), et les civilisations dimensionnelles (type VIII) et multidimensionnelles (type IX) et enfin une civilisation totalement omniscience aux pouvoirs similaires à ce qu’on attribuait à un Dieu (type X, « godlike ») (source). Bien-sûr, il y a un haut niveau de spéculation dans tout ça et il s’agit ici davantage de fiction que d’autre chose, bien que la logique à ces hypothèses soit intéressante.
Quelques limites de cette échelle
Cette échelle a 3 — ou 4, ou 6 — barreaux définit les civilisations en fonction de leur consommation d’énergie (et donc aussi, indirectement à capter cette énergie de sources diverses et à l’utiliser).
Comme je l’ai expliqué ci-dessus, ceci n’est pas absurde, mais n’est pas parfait pour autant.
La consommation d’énergie ne traduit pas forcément le niveau d’avancement technologique.
Pour prendre un exemple, un téléphone en 2018 est des millions de fois plus puissant que le tout premier ordinateur, style ENIAC : il est plus puissant, mais consomme beaucoup moins d’énergie. Une civilisation pourrait faire pareil : l’avancement de la technologie produit des appareils plus efficaces et économes avec le temps.
Néanmoins, un seul ordinateur ENIAC consomme bien moins que les 2 milliards de smartphones actuellement actifs.
Il faut donc également considérer que les civilisations s’étendent, en population, comme en consommation de ressources.
Aujourd’hui, la technologie de notre espèce permettrait de coloniser la Lune, Mars, ou d’envoyer des vaisseaux générationnels habités très loin : ça prendrait du temps, des ressources, de l’argent et de la volonté, mais toutes les technologies sont là aujourd’hui.
Il n’est qu’un choix politique, économique, sociaux et éthiques de ne pas le faire.
Cela ne signifie pas que nous soyons une civilisation de type III : il n’y a pas nécessairement besoin d’une quantité astronomique d’énergie pour envoyer une fusée habitée loin d’ici, mais il en faut tout de même suffisamment pour le faire dans de bonnes conditions.
Parfois, l’échelle de Kardashev est donc un peu vague.
Aussi, que devons-nous compter dans la quantité d’énergie consommée par une civilisation, comme la nôtre ? Inclut-on l’énergie solaire consommée par les plantes que nous consommons ? Et l’énergie consommée par les plantes consommées par les animaux que nous consommons ? Ou ne comptons-nous seulement l’énergie que nous comptons activement (donc la notion « d’énergie » dont on parle généralement : électricité, pétrole, etc.).
Si généralement on prend la seconde proposition, il faut bien voir que cette quantité d’énergie seule ne suffirait pas à soutenir notre civilisation.
Enfin, dernier problème, l’échelle initiale de Kardashev est courte et ne permet pas mesurer des niveaux intermédiaires. Carl Sagan modifiera cependant cette échelle pour permettre ça (voir ci-dessous).
Où se situe l’espèce humaine ?
Carl Sagan a donc modifié l’échelle de Kardashev pour donner une valeur plus précise en fonction de la consommation d’énergie, mesurée directement en watt.
Il considère qu’une civilisation de type 1,1 serait capable de capter l’énergie équivalente à celle de 10 planètes (donc toutes les planètes de notre système solaire), tout en restant très loin de l’énergie d’une étoile. L’échelle reste logarithmique.
Selon la formule de Carl Sagan :
$$K = \frac{log_{10}W - 6}{10}$$
Le niveau intermédiaire $K$ (le chiffre après la virgule) et donnée à partir de la puissance consommée $W$.
Selon cette méthode de calcul, L’humanité du début du XXIᵉ siècle se trouverait autour de 0,75 sur l’échelle de Kardashev (la puissance consommée par les humains représentant autour de 12 000 millions de TEP par an), soit aussi environ un millième de la puissance de notre planète Terre.
Sachant que notre économie (et notre énergie) est en bonne partie basée sur le pétrole et le charbon, il faudrait des ressources en énergies fossiles 1000 fois plus importantes que ce qu’on a actuellement pour atteindre le Type I.
Ceci étant improbable, il est absolument nécessaire de se tourner vers d’autres sources d’énergie, plus durables et plus puissantes. On pense en particulier l’énergie solaire, la fusion nucléaire, et pourquoi pas l’énergie des cyclones, volcans ou tremblements de terre.
Enfin, pour finir sur les humains, si nous parvenons au Type I et que nous souhaitons continuer à évoluer, nous devrons conquérir d’autres planètes pour avoir plus d’énergie, d’où le rapport avec l’exploration spatiale et les extra-terrestres.
Où se situent les extra-terrestres ?
Si l’on prend l’exemple des extra-terrestres dans le film Avengers, ceux-ci envahissent New-York en passant par un trou de ver.
La simple mention du trou de ver suffit ici à donner une idée de l’énergie mise en œuvre par cette civilisation.
Un trou de ver, c’est un court-circuit dans la structure de l’espace-temps, qui permet de passer d’un endroit de l’univers à un autre plus rapidement que ne le ferait la lumière, typiquement en franchissant quelque chose comme une porte.
Ces « objets » sont théoriquement possibles et largement décrit, comme le pont d’Einstein-Rosen. En pratique, on pense qu’ils existent à l’échelle de Planck, c’est-à-dire de la taille incroyablement petite de 10⁻³⁵ m (soit 20 d’ordres de magnitude plus petit qu’un noyau atomique) et d’une durée de vie de 10⁻⁴³ s, mais on ne les observe pas, ni en petit, ni en grand.
Il n’est pas exclu non plus, par la théorie, que ces « portes spatio-temporelles » existent à d’échelles plus grandes, mais il faudrait une énergie faramineuse pour arriver à les agrandir et surtout à les maintenir ouvertes. Or, cette énergie est, selon les sources, de l’ordre de celle d’une galaxie entière et ses milliards d’étoiles.
Une civilisation capable de produire un trou de ver est donc au minimum une civilisation de type III.
En science-fiction, si vous apercevez des extraterrestres capables de voyager en utilisant des trous de ver, des « portails » (comme dans Stargate) ou ce genre de choses, vous avez à faire à un type III.
La civilisation galactique telle que décrite dans Star Wars ou encore dans l’œuvre d’Asimov, Foundation, sont typiquement de type II voire pré-III : ils contrôlent de multiples systèmes solaires et ont colonisés la galaxie.
Dans le cas de l’univers d’Asimov cependant, même si la galaxie est colonisée, il n’est pas fait mention de technologie particulièrement avancée (pas de captation d’énergie d’une étoile ou d’une galaxie, simplement une présence établie sur beaucoup de planètes). On voit ici une des limites de l’échelle de Kardashev.
Pourquoi évoluer ?
En tant que civilisation, on a historiquement toujours conquis et exploré le monde. Il a pris par exemple 1 500 ans après l’ère de César pour traverser l’océan et découvrir un nouveau continent. Et il a pris 450 ans de plus pour voyager jusqu’à la Lune. Certains visionnaires convoitent désormais l’idée d’aller sur Mars, soit ~50 ans après la Lune.
En tant qu’espèce vivante, et représentant de « la Vie », nous ne pouvons nous permettre de rester sur Terre : tôt où tard, notre planète sera détruite, et si ce n’est pas par nous-mêmes, ça sera par le Soleil, dont la durée de vie est limitée. Il nous reste environ 50 % d’autonomie, soit 4~5 milliards d’années avant que le Soleil explose. Il nous faudra donc partir d’ici là (et bien avant en fait, car le Soleil gagne en luminosité au fil des éons) si nous voulons survivre.
Partir où ? Comment ?
En considérant que si l’on veut voyager librement dans l’univers (par exemple comme dans Stargate, avec des portes), alors il nous faudra obligatoirement maîtriser la technologie des trous de ver.
En effet, avec les fusées actuelles, il faut 9 mois pour voyager sur la première planète possiblement habitable de notre propre système solaire — Mars — (et c’est déjà un problème). Pour arriver à la première étoile, il faut compter quelques dizaines de milliers d’années.
Si on arrivait à voyager à la vitesse de la lumière, la première étoile serait encore à 3 années de voyage, et traverser la Voie Lactée nous prendrait toujours 100 000 ans.
Voyager à la vitesse de la lumière serait bien trop lent : un aller simple vers les exoplanètes les plus proches découvertes aujourd’hui aurait déjà la durée de l’ordre d’une vie humaine !
Dit autrement : sans trous de vers, nous n’irons nulle part.
À ces échelles de temps, si nous n’évoluons pas, et si nous restons toujours au stade d’une civilisation de Type 0,7, ou même de Type 1, alors nous n’existerons plus dans quelques milliards d’années.
Alors non, pas la peine de se presser, mais il ne faut pas s’asseoir sur nos acquis pour autant : comparé à d’éventuelles autres civilisations, il est possible que nous ne soyons que des êtres primitifs ayant encore tout à découvrir et à inventer…
Image d’entête de dustycrosley (utilisée avec autorisation de l’artiste)