Au printemps, il arrive que les arbres aient déjà leurs bourgeons mais que le risque de gel n’ait, lui, pas encore disparu.
Les bourgeons sont fragiles et un simple coup de gel peut détruire toutes la future récolte. Il convient donc, pour l’exploitant d’un verger, de protéger ses plantations du froid lors de cette période de l’année.
Pour cela, on peut imaginer faire des feux au milieu des arbres : le feu va produire de la chaleur rayonnante en plus de mouvements convectifs qui empêchent l’air de stagner et de givrer. Ceci est une solution évidente, mais de plus en décriée : brûler du fioul est terriblement inefficient et polluant en plus d’être peu économique.
À la place, une solution consiste à arroser les arbres d’eau. Aussi étrange que ça puisse paraître, l’arrosage peut les empêcher de geler. On parle alors de système anti-gel par aspersion.
Comment ça marche ?
Une question de changement d’état
L’astuce ici est que le passage à l’état solide de l’eau libère de la chaleur tout en restant à la même température. Cette chaleur, un peu particulière et invisible, est nommée chaleur latente de changement d’état
Il faut savoir que l’eau liquide à 0 °C est nettement plus énergétique que la glace à 0 °C. Lorsque l’eau passe de liquide à solide, cette énergie est libérée.
En pratique, on n’obtient pas de la glace chaude, ni même un chauffage, mais la libération de cette chaleur va tout de même nous servir. Si cette eau se trouve sur le bourgeon d’un arbre, l’eau va geler et c’est le bourgeon qui va récupérer cette chaleur : sa température va rester juste au-dessus de 0 °C, sans geler.
Du point de vue du bourgeon, il lui vaut mieux être recouverte de glace à 0 °C que d’air à −4 °C ! En plus de ça, la glace va physiquement protéger le bourgeon du vent froid et glacé.
Attention cependant, car l’eau peut éventuellement rester liquide à des températures négatives. Ce n’est pas un problème pour le bourgeon, mais ceci se produit plus facilement avec de l’eau froide qu’avec de l’eau chaude.
Il s’agit de quelque chose à prendre en compte si l’on pense utiliser de l’eau très chaude sur les arbres : l’eau chaude, de façon étonnante, gèle plus rapidement que l’eau froide. C’est pratique en cuisine pour obtenir des glaçons plus rapidement, mais problématique pour empêcher les bourgeons de geler. Ce phénomène, appelé Effet Mpemba, n’est pas encore expliqué en 2022, et constitue une importante question en sciences.
Dans tous les cas, l’arrosage des verges constitue un moyen efficace pour palier les petites gelées printanières grâce à la physique de changement d’état de l’eau.
Autres exemples où le changement d’état est mis à profit
Ce phénomène, où la solidification d’un corps libère de la chaleur est mis à profit dans les chaufferettes de poche liquides, celles avec un petit bout de métal dedans et que l’on « clic ».
Le liquide, sous l’effet du clic, va se solidifier et libérer son énergie : l’ensemble chauffe alors durant 20~30 minutes à 50 °C. Ce n’est donc pas négligeable (voir mon article sur les chaufferettes de poches).
De même que passer de liquide à solide libère de l’énergie, passer de gaz à liquide en libère également ! La condensation — la liquéfaction, en réalité — est une méthode pour récupérer de l’énergie.
Les chaudières à condensation tirent profit de cela. La chaudière chauffe de l’eau qui est envoyée dans le circuit des radiateurs. La chauffe, réalisée avec du gaz ou du fioul libère des fumées chaudes. Lorsque l’eau du circuit revient vers la chaudière, on la fait passer à travers les fumées pour en récupérer la chaleur. L’eau contenue dans cette fumée se condense et l’on récupère la chaleur latente de liquéfaction, qui réchauffe alors l’eau du circuit (chaleur qui serait autrement évacuée dehors et perdue).
Les caloducs pour refroidisseurs de PC fonctionnent également sur ce principe
Dans leur cas, un liquide dans un tube en cuivre est en contact avec la surface chaude et s’évapore en absorbant la chaleur. La vapeur est canalisée vers le ventilateur ; là, la vapeur se liquéfie en libérant la chaleur, qui est évacuée. Le liquide retourne ensuite (par gravité) sur la surface chaude où le cycle peut recommencer.
Les systèmes de pompe à chaleur, les climatiseurs, le réfrigérateur utilisent tous l’énergie de changement d’état d’un corps comme moyen de capter, transporter ou évacuer de la chaleur.
La chaleur latente peut représenter une quantité très importante de chaleur, et donc d’énergie.
Qui plus est, l’eau elle-même possède une chaleur latente de fusion (énergie nécessaire pour faire fondre de la glace) très élevée, en plus d’avoir une capacité thermique très élevée également.
Quand l’eau s’évapore de la surface des océans, la vapeur constitue une grande quantité d’énergie. Quand, en altitude, cette vapeur se condense, la chaleur est libérée et l’air chauffe : c’est en partie cela qui est responsable des courants ascendants à l’origine des cumulonimbus (et donc des orages) ainsi que des cyclones.
Si les cyclones sont dévastateurs, le vent lui-même ne représente que 0,25 % de l’énergie totale véhiculée par cette formation atmosphérique. Les 99,75 % restants le sont sous forme d’énergie thermique dans l’eau et l’air. Il y a donc 400 fois plus d’énergie dans la chaleur de l’eau d’un cyclone que dans le vent soufflé…